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La cession du droit au bail commercial. Par Jean-Loïc Tixier-Vignancour, Avocat.
Parution : lundi 30 mars 2020
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La cession du droit au bail se distingue de la cession du fonds de commerce, opération au cours de laquelle est vendue en sus du droit au bail d’autres éléments du fonds, notamment la clientèle du cédant.
Les Tribunaux ne sont pas tenus par la qualification donnée par les parties à leur acte, ce qui nourrit un contentieux important devant les tribunaux.
On s’attachera ici à examiner les conditions dans lesquelles un locataire peut céder son seul droit au bail.

I- L’accord du bailleur.

En application de l’article 1717 du code civil, le locataire peut céder son bail sauf si son contrat de bail le lui interdit. L’article L.145-16 du code de commerce répute non écrites les conventions tendant à interdire au locataire de céder son bail commercial à l’acquéreur de son fonds de commerce ou de son entreprise, de sorte qu’un bail commercial pourra prévoir l’interdiction de céder son seul droit au bail, non son fonds de commerce.
En présence d’une clause prévoyant l’interdiction de céder le seul droit au bail, le cédant devra en conséquence recueillir l’accord de son bailleur. Cet accord peut être recueilli avant la cession du droit au bail ou par l’intervention du bailleur à l’acte de cession. Si le bailleur n’a pas concouru à l’acte, la cession du droit au bail devra lui être signifiée dans les conditions prévues à l’article 1690 du code civil, c’est-à-dire par exploit d’huissier.

Les Tribunaux ont pu reconnaître que certaines cessions qui n’avaient pas fait l’objet des formalités de l’article 1690 étaient opposables au bailleur, réputés les avoir accepté tacitement. Pour que l’acceptation tacite soit reconnue, elle ne doit pas être équivoque [1]. Ne vaut pas acceptation par le bailleur la simple connaissance de la cession [2] ou la seule perception par le bailleur de loyers versés par le cessionnaire [3].

En présence d’une clause interdisant la cession du seul droit au bail, il ne peut y avoir d’abus du bailleur à refuser cette cession, ce qui lui permettra en pratique de monnayer son accord en obtenant une augmentation du loyer ou une fraction du prix de cession.

II- Les formalités légales à accomplir.

En cas de cession du droit au bail commercial, les formalités de publicité prévues aux articles L141-12 et L141-13 du code de commerce ne sont pas applicables [4], de sorte que les créanciers du cédant ne pourront former opposition au prix de cession.
En application de l’article 1216 du code civil, la cession du droit au bail devra être constatée par écrit à peine de nullité.
La cession du droit au bail ne doit pas nécessairement comporter la stipulation d’un prix au bénéfice du cédant, c’est-à-dire que la cession peut s’effectuer à titre gratuit.
Il a été jugé que l’inscription du cessionnaire au registre du commerce et des sociétés au jour de la cession n’est pas une condition de validité de la cession du droit au bail [5].
En application des articles L-214-1 et suivants du code de l’urbanisme, la Commune peut disposer d’un droit de préemption en cas de cession à titre onéreux. Dans ce cas, le cédant devra préalablement informé la Commune de son intention de vendre son droit au bail, en complétant une déclaration d’intention d’aliéner (DIA). Elle comporte l’indication du prix et des conditions de la cession, l’activité de l’acquéreur pressenti, le nombre de salariés du cédant et la nature de leur contrat de travail, l’indication du chiffre d’affaires réalisé. La Commune a deux mois pour se prononcer, son silence valant renonciation à préempter.
Pour être valablement cédé, le bail commercial doit être en cours, de sorte que toute cession conclue après la date d’effet d’un congé avec refus de renouvellement est inefficace.
Les cessions de droit au bail sont assujetties aux droits d’enregistrement.

III- Sanctions en cas de cession irrégulière.

Le non-respect des formalités prévues aux articles 1216 et 1690 du code civil a pour conséquence l’inopposabilité de la cession au bailleur.
Il en résulte que le cessionnaire n’a aucun droit au maintien dans les lieux vis-à-vis du bailleur, qui pourra donc demander son expulsion au Juge des référés. Le cessionnaire ne pourra pas demander le renouvellement du bail.
L’irrégularité de la cession permet au bailleur de remettre en cause le bail en poursuivant sa résolution, soit par application d’une clause résolutoire insérée au bail, soit en saisissant le Tribunal d’une demande en résolution.
Tant que le bailleur n’aura pas pris une initiative pour obtenir la résolution du bail commercial, le cédant reste libre de céder à nouveau le bail, notamment à son cessionnaire initial [6].

IV- Cas particulier du départ à la retraite ou de l’invalidité du cédant.

L’article L145-51 du code de commerce institue un droit de cession du bail avec changement d’activité au bénéfice du locataire qui fait valoir ses droits à la retraite ou qui a été admis au bénéfice d’une pension d’invalidité.
La nature des activités dont l’exercice est envisagé doit toutefois être compatible avec la destination, les caractères et la situation de l’immeuble.
Le locataire doit alors signifier par acte d’huissier au bailleur, et à ses éventuels créanciers inscrits sur son fonds de commerce, son intention de céder son bail commercial en précisant la nature des activités dont l’exercice est envisagé ainsi que le prix proposé.
Le bailleur dispose d’une priorité de rachat aux conditions fixées dans la notification qu’il doit exercer dans un délai de deux mois.
Si le bailleur s’oppose au changement d’activité, il doit saisir le Tribunal judiciaire dans le même délai.
Pendant la période d’opposition, le locataire doit respecter les autres clauses du bail : exploiter, garnir le local et payer le loyer.

Jean-Loïc TIXIER-VIGNANCOUR Avocat au barreau de Paris (01.44.76.09.20) http://www.tixier-avocats.com

[1Cass. 3ème Civ. 10 mai 1989 n°87-17504 : JCP G 1989 IV p.256

[2Cass. Assemblée plénière 14 février 1975 Galouyé c/ Libeccio

[3Cass. Com. 11 décembre 1961 : Bull. civ. III n°467

[4Cass. Com. 6 décembre 1982 n°81-14422 : Bull. civ. IV n°396

[5Cass. 3ème Civ. 1er février 1995 n°226 : RJDA 4/95 n°411

[6Cass. 3ème Civ. 22 mars 1995 n°578 : RJDA 6/95 n°692