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Les contours du placement en rétention administrative. Par Eric Tigoki, Avocat.
Parution : lundi 6 avril 2020
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Si le refus de délivrance du visa ou d’un titre de séjour ne requiert, a priori, aucune exécution, il en va différemment de l’éloignement. C’est à cette nécessaire exécution que s’adosse la rétention administrative, qui permet de maintenir dans un lieu fermé un étranger qui fait l’objet d’une décision d’éloignement.

L’étranger, c’est - à - dire celui qui n’a pas la nationalité française [1], se trouve au cœur de dispositions et de dispositifs concernant son entrée et son séjour sur le territoire français. Il lui faut, pour y entrer, obtenir un visa ; pour y séjourner, être détenteur d’un titre de séjour [2], qu’il importe, dans la majeure partie des cas, de renouveler à une certaine fréquence, renouvellement qui n’est au demeurant pas acquis [3].
S’y ajoute la possibilité, pour l’étranger, d’être l’objet d’une mesure d’éloignement. Cette mesure s’explique notamment par le non-respect des règles relatives à l’entrée sur le territoire français et/ou à l’admission au séjour [4]. Elle peut aussi se déduire de la menace que constitue, pour l’ordre public, la présence de l’étranger sur le territoire français [5].

Si le refus de délivrance du visa ou d’un titre de séjour ne requiert, a priori, aucune exécution, il en va différemment de l’éloignement. C’est à cette nécessaire exécution que s’adosse la rétention administrative, qui permet de maintenir dans un lieu fermé un étranger qui fait l’objet d’une décision d’éloignement [6], dans l’attente de son renvoi forcé.

Deux observations doivent d’emblée être faites. Par la première, il s’agit de rappeler que cette rétention s’est pendant longtemps effectuée dans les locaux de l’administration judiciaire [7]. Il faudra en effet attendre la loi dite « Questiaux » du 29 octobre 1981, qui a inséré dans l’ordonnance du 2 novembre 1945 un article 35 bis aux termes duquel : « peut être maintenu, s’il y a nécessité absolue, par décision écrite motivée du préfet dans des locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire, pendant le temps strictement nécessaire à son départ » [8], pour voir consacrée dans le droit français la rétention administrative, c’est-à-dire dans les locaux ne relevant pas de l’administration judiciaire [9].

Par la deuxième, de rappeler qu’il existe deux régimes juridiques selon le type d’enfermement. Le départ doit être fait entre le régime juridique de la zone d’attente en zone frontalière et celui de la rétention administrative sur le territoire national. A la zone d’attente correspond le régime de l’admission. En revanche, l’étranger interpellé en situation irrégulière sur le territoire national relève de la procédure d’éloignement. [10].

Dès lors qu’elle est privative de liberté, le placement en rétention administrative ne devrait intervenir qu’en dernier recours, par ce qu’aucune autre mesure moins coercitive ne peut être prise, et en attendant que l’administration accomplisse les diligences nécessaires à l’éloignement effectif de l’étranger. C’est dire que l’édiction de cette mesure et son maintien sont subordonnées au respect de quelques conditions.
Seront successivement envisagés le placement en rétention (I) et ses suites (II)

I- Le Placement en rétention administrative.

La décision de placement en rétention est prise par l’autorité administrative, après l’interpellation de l’étranger ou, le cas échéant, lors de sa retenue aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour, à l’expiration de sa garde à vue, ou à l’issue de sa période d’incarcération en cas de détention. Ecrite et motivée, elle prend effet à compter de sa notification à l’intéressé. Le procureur de la République en est informé immédiatement. Par ailleurs, un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. Et c’est à l’administration qu’il revient d’exercer toute diligence à cet effet.
Se posent dès lors deux problèmes, liés aux conditions de la rétention (A) et à la condition de l’étranger retenu (B).

A- Les conditions de la rétention.

Le placement en rétention ne peut être envisagé que si l’administration se trouve dans l’impossibilité d’exécuter la mesure d’éloignement dont est l’objet l’étranger et par ce qu’elle redoute qu’il s’y soustraie. C’est à elle d’en apporter la démonstration.

1- L’impossibilité d’exécuter la mesure d’éloignement.

L’étranger ne peut être éloigné vers le pays dont il a la nationalité que si l’on est certain de son appartenance à ce pays et si l’autorité administrative dispose d’un moyen de transport approprié. S’il est relativement facile de trouver une place sur un vol commercial et d’organiser les escortes, il en va différemment de l’obtention du laissez-passer consulaire.
De fait, pour qu’un étranger soit éloigné, il est indispensable de déterminer sa nationalité et que son pays accepte de le reconnaitre comme son ressortissant. Encore faut-il qu’il soit détenteur d’un document d’identité ou d’un document de voyage, ce qui n’est souvent pas le cas. D’où la nécessité de se faire délivrer par les autoritaires du pays dont l’étranger est supposé être le ressortissant un laissez-passer consulaire. Les démarches entreprises dans ce sens ne sont pas toujours couronnées de succès. Certains consulats peuvent garder le silence, d’autres opposer un refus ; d’autres encore répondre hors délai. Des mesures ont été prises par le Ministre de l’intérieur (Direction générale des étrangers de France) pour surmonter cette difficulté. C’est de cette volonté que participent par exemple la nomination d’un ambassadeur chargé des migrations ou encore le déploiement, auprès des préfets de région, de conseillers diplomatiques avec pour missions, notamment, d’appuyer les démarches auprès des autorités consulaires [11].

2- Le risque de soustraction.

Deux situations doivent être distinguées : le risque de soustraction et le risque non négligeable de fuite.
Le risque de soustraction concerne l’étranger qui ne présente pas de garanties de représentations effectives propres à prévenir le risque mentionné au 3° du II de l’article L.511-1 du CESEDA. Dédié au principe de l’octroi d’un délai de départ volontaire à l’étranger qui est l’objet d’une obligation de quitter le territoire français, cet article prévoit la possibilité de l’en priver dès lors qu’il existe un risque que l’étranger se soustraie à cette obligation. Et ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans des cas énumérés par le CESEDA. [12].
Est visé par ce risque de soustraction l’étranger qui fait l’objet d’une mesure d’éloignement autre que celle qu’impliquent les dispositions du règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride [13]

Le risque non négligeable de fuite, quant à lui, concerne l’étranger qui fait l’objet d’une décision de transfert en application de l’article L.742-3 ou d’une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge en application du règlement (UE) sus visé. Et ce risque non négligeable de fuite peut, sauf circonstance particulière, être regardé comme établi dans les cas également énumérés par le CESEDA. [14]

Difficile dans l’un et l’autre cas d’y échapper, surtout lorsqu’on se figure les conditions à remplir pour que le juge des libertés et de la détention ordonne une assignation à résidence [15]

B- La Condition de l’étranger retenu.

1-L’étranger retenu bénéficie tout d’abord, sur le plan général, d’un ensemble de droits.

Il en va ainsi de celui d’être assisté d’un interprète. L’administration met en effet un interprète à la disposition de l’étranger maintenu en centre ou local de rétention administrative qui ne comprend pas le français, dans le seul cadre des procédures de non admission, d’éloignement et des demandes d’asile. Dans les autres cas, la rétribution du prestataire est à la charge de l’étranger.
Pendant la durée du séjour en rétention, il est hébergé et nourri à titre gratuit.
Le droit d’accéder à un service médical. S’il en fait la demande, il est examiné par un médecin de l’unité médicale du centre de rétention administrative qui assure, le cas échéant, la prise en charge médicale durant la rétention administrative. S’y ajoute la possibilité de faire l’objet, à la demande du retenu, d’une évaluation de son état de vulnérabilité par des agents de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (dans le cadre de la convention, entre l’Etat et l’OFII, qui détermine les conditions d’affectation et d’intervention des agents de cet établissement public) et en tant que de besoin par un médecin de l’unité médicale du centre de rétention administrative.
Il bénéficie d’actions d’accueil, d’information, de soutien moral et psychologique et d’aide pour préparer les conditions matérielles de son départ. [16]

2-Il dispose en outre de la possibilité de former des recours. D’une part, il peut former un recours contre la mesure d’éloignement dont il est l’objet et qui explique son placement en rétention.

Lorsque la décision d’éloignement est notifiée le jour même, l’étranger a 48 heures pour déposer un recours devant le juge administratif. Il ne peut en principe pas être éloignée tant que le juge n’a pas donné sa réponse. Le juge rend sa décision dans les 96 heures lors d’une audience publique à laquelle est convoquée la personne retenue [17].
Il dispose, d’autre part, de la possibilité de contester la mesure de placement ou sa prolongation. Ce recours, qui ne suspend pas la procédure d’éloignement, est formé devant le juge des libertés et de la détention dans un délai de 48 heures. Il a la possibilité de faire appel sous 24heures si le Jude des libertés et de la détention rejette son recours [18].
Enfin, il a la possibilité, en cas de craintes graves dans le pays d’origine pour sa vie, sa sécurité, son intégrité, de faire une demande d’admission au séjour au titre de l’asile. Si la France est l’Etat membre responsable de l’examen de cette demande, le préfet peut décider de mettre fin à la rétention. Il peut aussi, s’il estime, au vu de certains éléments, que cette demande est présentée dans le seul but de faire échec à l’exécution de la mesure d’éloignement, prendre une décision de maintien en rétention pendant le temps strictement nécessaire à l’examen de sa demande d’asile par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides et, en cas de décision de rejet ou d’irrecevabilité de celle-ci, dans l’attente de son départ. L’étranger peut demander au président du tribunal administratif l’annulation de la décision de maintien en rétention dans les 48 heures suivant sa notification, pour contester les motifs retenus par le Préfet pour estimer que sa demande d’asile a été présentée dans le seul but de faire échec à l’exécution de la mesure d’éloignement.
3-La condition matérielle de la personne placée en rétention administrative est déterminée par l’article. R553-3 du CESEDA.
Des termes de cet article, il ressort que les centres de rétention administrative, dont la capacité d’accueil ne pourra pas dépasser cent quarante places, offrent aux étrangers retenus des équipements de type hôtelier et des prestations de restauration collective. Ils répondent à des normes suivantes bien précises. [19].

Les centres de rétention administrative susceptibles d’accueillir des familles disposent en outre de chambres spécialement équipées, et notamment de matériels de puériculture adaptés.
Le placement en rétention n’est pas une fin en soi, de sorte qu’il convient de s’intéresser à ses suites.

II- Les suites du placement en rétention administrative.

Une alternative : la prolongation (A) ou la fin du maintien en rétention (B)

A- La Prolongation de la rétention administrative.

La décision initiale, on l’a vu, est prise par le préfet de département et, à Paris, le Préfet de Police pour une durée de 48 heures (donc 2 jours). [20]

Première prolongation :
Si l’éloignement de l’étranger n’a pu se faire dans les 48heures après son placement en rétention, la rétention peut être prolongée une première fois de 28 jours francs.

Deuxième prolongation :
Si l’éloignement ne s’est pas fait après la première prolongation, le Préfet peut demander au Juge des libertés et de la détention une deuxième prolongation de 30 jours francs, en cas d’urgence absolue ou de menace d’une particulière gravité pour l’ordre public, ou lorsque l’impossibilité d’exécuter la mesure d’éloignement résulte de la perte ou de la destruction des documents de voyage de l’intéressé, de la dissimulation par celui-ci de son identité ou de l’obstruction volontaire faite à son éloignement.
Cette demande de deuxième prolongation peut également être formulée par l’autorité administrative lorsque la mesure d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’étranger ou de l’absence de moyens de transport. Tel peut encore être le cas lorsque la délivrance des documents de voyage est intervenue trop tardivement pour procéder à l’exécution de la mesure d’éloignement.

Troisième prolongation :
Le juge des libertés et de la détention peut, à titre exceptionnel, être de nouveau saisi, avant l’expiration du délai de 30 jours, lorsque dans les 15 derniers jours de rétention l’étranger a fait obstruction à l’exécution d’office de la mesure d’éloignement ou présenté, dans le seul but de faire échec à la mesure d’éloignement, une demande de protection contre l’éloignement en raison de son état de santé ou une demande d’asile ou lorsque la mesure d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé et qu’il est établi par l’autorité administrative que cette délivrance doit intervenir à bref délai.

Quatrième prolongation :
Une prolongation de 15 jours francs peut encore être accordée par le Juge des libertés et de la détention si, dans les 15 derniers jours de la rétention, l’une des circonstances ayant justifié l’octroi d’une troisième prolongation survient.
La durée maximale de la rétention administrative ne peut excéder 90 jours (48 h + 28 jours + 30 jours + 15 jours + 15 jours) ou, par dérogation, 210 jours lorsque l’étranger a été condamné à une peine d’interdiction du territoire pour des actes de terrorisme ou si une mesure d’expulsion a été prononcée à son encontre pour un comportement lié à des activités à caractère terroriste pénalement constatées. Encore faut-il dans ce dernier cas qu’il existe une perspective raisonnable d’exécution de la mesure d’éloignement.

B- La Fin de la rétention administrative.

La rétention administrative prend fin par l’éloignement de l’étranger, son assignation à résidence ou sa libération par le juge. Trois hypothèses peuvent être envisagées, au regard de l’autorité compétente pour en décider.

1-La fin de la rétention à la suite d’une décision de l’autorité administrative. Elle peut intervenir dans différentes situations.

Tel est par exemple le cas lorsqu’un délai de 90 jours s’est écoulé (depuis la décision initiale) sans que la mesure d’éloignement ait été exécutée. Il peut aussi arriver, ce qui est rare, que l’étranger soit mis en liberté lorsqu’il décide de demander une protection internationale. Autre situation, celle dans laquelle l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) considère qu’il ne peut examiner la demande d’asile selon la procédure accélérée (c’est-à-dire, pour le demandeur d’asile maintenu en rétention en application du premier alinéa de l’articleL.556-1 du CESEDA, dans un délai de 96 heures à compter de la réception de la demande) ou s’il reconnait à l’étranger la qualité de réfugié ou lui accorde le bénéfice de la protection subsidiaire. Il en va encore de même, lorsqu’un Etat requis a refusé de prendre en charge ou de reprendre en charge un étranger relativement à l’examen de sa demande d’asile. La rétention administrative prend bien évidemment fin lorsque l’autorité administrative parvient à mettre en exécution la mesure d’éloignement.

2-La fin de la rétention à la suite d’une décision du juge administratif.

Elle peut se produire dans différentes circonstances. L’on songe à celle où le juge administratif, saisi d’une requête en annulation par l’étranger, annule la mesure d’éloignement. Dans ce cas, ainsi que le rappelle l’article L.554-2 du CESEDA, il est immédiatement mis fin au maintien de l’étranger en rétention et celui-ci est muni d’une autorisation provisoire de séjour jusqu’à ce que l’autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas.
Le même résultat est obtenu, lorsque le juge administratif, tout en rejetant la demande d’annulation de la mesure d’éloignement, se borne par exemple à annuler le refus de délai de départ volontaire. Ici la mise en liberté s’accompagne d’un rappel de l’obligation de quitter le territoire français adressé à l’étranger.
Une autre hypothèse est liée à la situation dans laquelle l’étranger, bien qu’ayant présenté une demande d’asile, a été maintenu en rétention par une décision de l’autorité administrative. L’étranger peut demander au président du tribunal administratif l’annulation de la décision de maintien dans les 48 heures suivant sa notification, pour contester les motifs retenus par l’autorité administrative pour estimer que sa demande d’asile a été présenté dans le seul but de faire échec à l’exécution de la mesure d’éloignement. En cas d’annulation de la décision querellée, il est immédiatement mis fin à la rétention et l’autorité administrative compétente délivre à l’étranger une attestation de demandeur d’asile (Art.L.556-1 du CESEDA).

3-La fin de la rétention à la suite d’une ordonnance du juge judiciaire. [21]

L’étranger qui conteste la régularité de la décision de placement en rétention administrative saisit le juge des libertés et de la détention par simple requête adressée par tout moyen au juge avant l’expiration d’un délai de 48 heures à compter de sa notification. Il peut saisir à tout moment le juge des Libertés et de la détention pour demander sa libération si de nouvelles circonstances de fait ou de droit intervenues depuis le placement en rétention administrative ou son renouvellement semblent la justifier. De même, le juge des libertés et de la détention peut, à tout moment, après avoir mis l’autorité administrative en mesure de présenter ses observations, de sa propre initiative ou à la demande du ministère public, décider de la mise en liberté de l’étranger lorsque des circonstances de fait ou de droit le justifient [22].
Garant des libertés individuelles, le contrôle du Juge judiciaire porte sur différents points. Relativement à la mesure de placement, ce contrôle portera notamment sur : l’interpellation, qui intervient en général dans le cadre d’un contrôle d’identité relevant des articles 78-1 et suivants du code de procédure pénale ; la garde à vue (décision de placement en garde à vue, notification immédiate des droits, information du Procureur de la république, conditions de l’audition par les services de police, assistance d’un interprète…) ; les droits en rétention. Relativement à la prolongation, le contrôle portera surtout sur les diligences de l’administration et sur l’existence d’une perspective raisonnable de départ.
La portée de ce contrôle reste cependant limitée par les textes. Il suffit par exemple de songer aux dispositions de l’article L.552du CESEDA. L’article L552-2 prévoit, s’agissant de la notification des droits, que le juge « tient compte des circonstances particulières liées notamment au placement en rétention simultané d’un nombre important d’étrangers pour l’appréciation des délais relatifs à la notification de la décision, à l’information des droits et à leur prise d’effet ». L’article L.552-13 est également significatif à cet égard, qui limite la possibilité de mainlevée de la mesure de rétention aux cas où la violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou d’inobservation des formalités substantielles a eu pour effet de « porter atteinte aux droits de l’étranger ». Il en va enfin de même de l’article L. 552-8, qui interdit au juge des libertés et de la détention de soulever, lors de la seconde prolongation, des irrégularités antérieures à la première prolongation [23].
En tout état de cause, le Juge des libertés et de la détention peut prononcer la mainlevée de la mesure de placement en rétention administrative et remettre l’étranger en liberté, si elle est entachée d’irrégularité ou s’il constate une irrégularité des actes de procédure préalables au placement en rétention. L’étranger peut également être assigné à résidence par une ordonnance du juge des libertés et de la détention, s’il justifie de garanties de représentations effectives. Enfin, la mise en liberté peut être consécutive au refus d’accorder une prolongation du maintien en rétention, pour sanctionner le défaut de diligences et la carence de l’administration.
L’ordonnance du juge des Libertés et de la détention est susceptible d’appel devant le premier président de la cour d’appel ou son délégué, qui est saisi sans forme et doit statuer dans les 48 heures de sa saisine. L’appel peut être formé par l’intéressé, le Ministère public et l’autorité administrative [24].
L’appel n’est pas suspensif. Toutefois, le Ministère public peut demander au premier président de la cour d’appel ou à son délégué de déclarer son recours suspensif lorsqu’il lui apparait que l’étranger ne dispose pas de garanties de représentation effectives ou en cas de menace grave pour l’ordre public. Dans ce cas, l’appel accompagné de la demande qui se réfère à l’absence de garanties de représentation effectives ou à la menace grave de l’ordre public, est formée dans un délai de 10 heures à compter de la notification de l’ordonnance au procureur de la République et transmis au premier président de la cour d’appel ou à son délégué [25].
L’ordonnance du premier président ou de son délégué n’est pas susceptible d’opposition. Le pourvoi en cassation est ouvert à l’étranger, à l’autorité administrative qui a prononcé la rétention et au ministère public. [26]

Ce qui précède démontre combien il est difficile de trouver, en la matière, un équilibre entre le respect des libertés individuelles et celui des décisions administratives. Toutefois, eu égard au rapport des forces, c’est sans doute le plus faible qui devrait être le plus protégé.

Eric TIGOKI Avocat au barreau de Paris - G794 11 boulevard Sébastopol 75001 Paris 06 76 39 88 50

[1Aux termes de l’article L.111 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) « sont considérés comme étrangers au sens du présent code les personnes qui n’ont pas la nationalité française, soit qu’elles aient une nationalité étrangère, soit qu’elles n’aient pas de nationalité. »

[2visa long séjour, titres de séjour, autorisation provisoire de séjour, attestation de demandeur d’asile.

[3L’on notera qu’il est des situations particulières dans lesquelles, en attente de leur renouvellement, la durée de validité d’un titre de séjour peut être prolongée. C’est ce que prévoit par exemple l’Ordonnance n°2020-328 du 25 mars 2020 portant prolongation de la durée de validité des documents de séjour.
Son article 1er dispose : « La durée de validité des documents de séjour suivant, qu’ils aient été délivrés sur le fondement du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ou d’un accord bilatéral, arrivés à expiration entre le 16 mars et le 15 mai 2020, est prolongée de 90 jours (…) » J.O 26 mars 2020 Texte 63 sur 112

[4Tel est le cas de l’obligation de quitter le territoire français

[5Tel est par exemple le cas de l’expulsion

[6Doit cependant être signalé le cas du demandeur d’asile dont le placement en rétention peut, depuis la loi du 20 mars 2018, intervenir dès le début de la procédure de détermination de l’Etat responsable, c’est-à-dire en l’absence d’une mesure effective d’éloignement.

[7Pratique légalisée par deux lois : Loi n° 80-9 du 10 janvier 1980 relative à la prévention de l’immigration clandestine et portant modification de l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour en France des étrangers et portant création de l’office national d’immigration, dite « loi Bonnet », et loi n° 81-82 du 2 février 1981 renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes, dite « loi Peyrefitte ». Ces lois fondent cette mesure privative de liberté sur l’article 120 du code pénal

[8Ces dispositions sont désormais codifiées au sein du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) entré en vigueur le 1er mars 2005. Elles figurent au titre V du livre V intitulé : « Rétention d’un étranger dans des locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire »

[9Les centres de rétention administrative ont été créés le 5 avril 1984 par décision du Premier ministre et mis en place par le biais de simples circulaires sur le fondement de l’ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France. Avant le décret du 19 mars 2001, aucun texte réglementaire ne fixait les lieux d’implantation et le nombre de centre autorisés. Voir Site Internet du Sénat 30 mars 2020 « Immigration - La gestion des centres de rétention administrative peut encore être améliorée ».

[10C’est ce second cas qui sera ici étudié

[11voir Information du 9 janvier 2019 relative à la réorganisation de l’appui aux demandes de laissez-passer consulaires (LPC) et aux modalités de centralisation des demandes.

[12a) Si l’étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n’a pas sollicité la délivrance d’un titre de séjour ;
b) Si l’étranger s’est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s’il n’est pas soumis à l’obligation du visa, à l’expiration d’un délai de trois mois à compter de son entrée en France, sans avoir sollicité la délivrance d’un titre de séjour ;
c) Si l’étranger s’est maintenu sur le territoire français plus d’un mois après l’expiration de son titre de séjour, de son récépissé de demande de carte de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour, sans en avoir demandé le renouvellement ;
d) Si l’étranger s’est soustrait à l’exécution d’une précédente mesure d’éloignement ;
e) Si l’étranger a contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document d’identité ou de voyage ;
f) Si l’étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu’il ne peut justifier de la possession de documents d’identité ou de voyage en cours de validité, qu’il a refusé de communiquer les renseignements permettant d’établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour ou a communiqué des renseignements inexacts, qu’il a refusé de se soumette aux opérations de relevé d’empreintes digitales ou de prise de photographies prévues au deuxième alinéa de l’article L.611-3, qu’il ne justifie pas d’une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale ou qu’il s’est précédemment soustrait aux obligations prévues aux articles L.513-4 , L.513-5,L.552-4,L.561-1,L.561-2 et L.742-2 ;
g) si l’étranger, entré irrégulièrement sur le territoire de l’un des Etats avec lesquels s’applique l’acquis Schengen, fait l’objet d’une décision d’éloignement exécutoire prise par l’un de ces Etats ou s’est maintenu sur le territoire d’un de ces Etats sans justifier d’un droit au séjour ;
h) si l’étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français

[13arrêté d’expulsion, interdiction judiciaire du territoire, signalement aux fins de non admission ou décision d’éloignement exécutoire prise en application du CESEDA, obligation de quitter le territoire français, reconduction à la frontière en exécution d’une interdiction de retour sur le territoire français, interdiction de circulation sur le territoire français ou interdiction administrative du territoire, étranger ayant fait l’objet d’une décision d’assignation à résidence en application des 1° à 6° de l’article L.561-2, n’a pas déféré à la mesure d’éloignement ou, y ayant déféré, est revenu en France alors que cette mesure est toujours exécutoire. [[Art.L561-2 du CESEDA

[14-Si l’étranger s’est précédemment soustrait, dans un autre Etat membre, à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de sa demande d’asile ou à l’exécution d’une décision de transfert ;
-  Si l’étranger a été débouté de sa demande d’asile dans l’Etat membre responsable ;
-  Si l’étranger est de nouveau présent sur le territoire français après l’exécution effective d’une décision de transfert ;
-  Si l’étranger refuse de se soumettre au relevé de ses empreintes digitales ou s’il altère volontairement ces dernières pour empêcher leur enregistrement ;
-  Si l’étranger aux fins de se maintenir sur le territoire français, a contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document d’identité ou de voyage ;
-  Si l’étranger a dissimulé des éléments de son parcours migratoire, de sa situation familiale ou de ses demandes antérieures d’asile. La circonstance tirée de ce qu’il ne peut justifier de la possession de document d’identité ou de voyage en cours de validité ne pouvant toutefois suffire, à elle seule, à établir une telle dissimulation ;
-  Si l’étranger qui ne bénéficie pas des conditions matérielles d’accueil ne peut justifier du lieu de sa résidence effective ou permanente ;
-  Si l’étranger qui a refusé le lieu d’hébergement proposé en application de l’article L.747-7 du CESEDA ne peut justifier du lieu de sa résidence effective ou permanente ou si l’étranger qui a accepté le lieu d’hébergement proposé a abandonné ce dernier sans motif légitime ;
-  Si l’étranger ne se présente pas aux convocations de l’autorité administrative, ne répond pas aux demandes d’information et ne se rend pas aux entretiens prévus dans le cadre de la procédure de détermination de l’Etat responsable de l’examen de sa demande d’asile ou de l’exécution de la décision de transfert sans motif légitime ;
-  Si l’étranger s’est précédemment soustrait aux obligations prévues aux articles L.513-4, L.552-4, L.561-1, L.561-2 et L.742-2 du CESEDA ;
-  Si l’étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à la procédure de détermination de l’Etat responsable de l’examen de sa demande d’asile ou à la procédure de transfert [[art.L.551-1 du CESEDA

[15En effet, aux termes de l’article L.552-4 du CESEDA, à titre exceptionnel, le juge peut ordonner l’assignation à résidence de l’étranger lorsque celui-ci dispose de garanties de représentation effectives, après une remise à un service de police ou à une unité de gendarmerie de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité, en échange d’un récépissé valant justification de l’identité et sur lequel est portée la mention de la mesure d‘éloignement en instance d’exécution. L’assignation à résidence concernant un étranger qui s’est préalablement soustrait à l’exécution d’une obligation de quitter le territoire français en vigueur, d’une interdiction de retour sur le territoire français en vigueur, d’une interdiction de circulation sur le territoire français en vigueur, d’une interdiction administrative du territoire en vigueur, d’une mesure de reconduite à la frontière en vigueur, d’une interdiction du territoire dont il n’a pas été relevé ou d’une mesure d’expulsion en vigueur doit faire l’objet d’une motivation spéciale.

[16Pour la conduite de ces actions, l’Etat a recours aux agents de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII).

[17voir infra

[18voir infra

[191° Une surface utile minimum de dix mètres carrés par retenu comprenant les chambres et les espaces librement accessibles aux heures ouvrables ;
2° Des chambres collectives non mixtes, contenant au maximum six personnes ;
3° Des équipements sanitaires, comprenant des lavabos, douches et w.-c., en libre accès et en nombre suffisant, soit un bloc sanitaire pour dix retenus ;
4° Un téléphone en libre accès pour cinquante retenus ;
5° Des locaux et matériels nécessaires à la restauration conformes aux normes prévues par un arrêté conjoint du ministre de l’agriculture, du ministre chargé de la santé et du ministre chargé de la consommation ;
6° Au-delà de quarante personnes retenues, une salle de loisirs et de détente distincte du réfectoire, dont la superficie est d’au moins cinquante mètres carrés, majorée de dix mètres carrés pour quinze retenus supplémentaires ;
7° Une ou plusieurs salles dotées d’équipement médical, réservées au service médical ;
8° Un local permettant de recevoir les visites des familles et des autorités consulaires ;
9° Le local mentionné à l’article R.553-7, réservé aux avocats ;
10° Un local affecté à l’organisme mentionné à l’articleR.553-13 ;
11° Un local, meublé et équipé d’un téléphone, affecté à l’association mentionnée au premier alinéa de l’articleR.553-14 ;
12° Un espace de promenade à l’air libre ;
13° Un local à bagages

[20Il importe de rappeler que les centres de rétention administrative, qui ont une vocation nationale, reçoivent dans la limite de leur capacité d’accueil et sans considération de la compétence géographique du préfet ayant pris l’arrêté de placement en rétention, les étrangers quel que soit le lieu de leur résidence ou de leur interpellation. Le préfet ayant procédé au placement en rétention de l’étranger exerce les compétences relatives à la mesure d’éloignement qu’il met en exécution jusqu’au terme de la procédure engagée quel que soit le lieu où l’étranger en cause est maintenu en rétention.

[21La loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France a opéré un nouveau partage de compétences entre les ordres juridictionnels et administratif en cette matière : si le juge administratif continue de connaitre de la légalité des décisions d’éloignement, c’est au juge judiciaire qu’il revient depuis lors de connaitre de la légalité de la décision du placement en rétention, en plus du contentieux de la prolongation.
L’objectif était d’attribuer un bloc de compétence au juge judiciaire sur le contrôle des circonstances dans lesquelles l’étranger a été privé de liberté, de son interpellation à son placement en rétention, incluant le contrôle de la légalité de la décision de placement en rétention. Cette disposition était issue d’un amendement au projet de loi initial du gouvernement, déposé par le rapport du texte à l’Assemblée nationale, qui était ainsi motivée : « Le juge des libertés et de la détention (…) doit exercer un entier contrôle sur la décision de placement en rétention. La question de la légalité de la décision de placement en rétention doit lui échoir et par conséquent ne plus relever de l’office du juge administratif ». Elle tirait les conséquences de l’arrêt rendu le 12 juillet 2016 par la Cour européenne des droits de l’Homme contre la France, dans lequel elle avait considéré que le fait que la compétence du juge administratif, saisi d’un recours contre l’arrêté de placement en rétention, fût limité à la vérification de la légalité interne et externe de l’acte, sans s’étendre au contrôle de la régularité des actes accomplis avant la rétention, constituait une violation du droit au recours effectif garanti par l’article 5§1 de la Convention.

[22Art.R.552-18 du CESEDA

[23Ce que déplorait le syndicat de la magistrature, en ces termes : « En matière de privation de liberté et au regard des conditions de la défense des personnes étrangères, une telle restriction ne se justifie pas. S’il y a, dans la procédure initiale, une irrégularité qui justifierait la non prolongation de la rétention, elle doit pouvoir être relevée à tout moment de l’instance » Audition par la Mission d’information de l’Assemblée nationale sur l’application de la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France

[24Art. L552-9 du CESEDA

[25Art.L.552-10 du CESEDA

[26Art. R552-24 du CESEDA