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Le licenciement pour faute grave. Par Avi Bitton, Avocat et Marion Franceschini, Juriste.
Parution : mercredi 15 avril 2020
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Qu’est-ce qu’une faute grave ?
Dans quel délai le salarié peut-il être sanctionné ?
Quelles sont les conséquences du licenciement pour faute grave ?

Le licenciement pour motif personnel est inhérent à la personne du salarié. Pour être valable, ce licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse [1]. Parmi les multiples licenciements, existe le licenciement disciplinaire. Ce dernier doit être fondé sur une faute simple, une faute grave, ou une faute lourde.

Concernant le licenciement pour faute grave, plusieurs règles s’appliquent, d’abord sur la définition même de la faute grave (I), ensuite sur la prescription des faits fautifs à l’appui du licenciement (II), et enfin sur les conséquences du licenciement pour faute grave (III).

I. Définition de la faute grave.

La faute grave n’est pas définie par le Code du travail mais plutôt par les tribunaux :

- La faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de fait imputable au salarié [2] ;

- Le ou les faits incriminés constitue(nt) une violation d’une obligation découlant du contrat de travail ou d’un manquement à la discipline de l’entreprise [3] ;

- La faute grave rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise [4].

Les faits invoqués doivent être précis et matériellement vérifiables.

La charge de la preuve de la faute grave pèse sur l’employeur [5].

La gravité de la faute est appréciée en fonction des critères suivants :

-  Les circonstances
-  La nature des agissements
-  Le caractère isolé ou répété
-  Les éventuels manquements antérieurs
-  L’existence ou non de mises en garde ou de précédentes sanctions
-  Les conséquences des agissements pour l’employeur ou les autres salariés
-  L’ancienneté du salarié
-  Les fonctions exercées et le niveau de responsabilité dans l’entreprise du salarié
-  Le motif invoqué pour refuser des changements de conditions de travail
-  L’attitude de l’employeur avant la rupture du contrat de travail, qui peut, dans certains cas, expliquer, excuser ou atténuer celle du salarié

L’appréciation de la gravité d’une faute peut varier selon le contexte, les points de repère précités, ou la tolérance antérieure de l’employeur.

De manière générale, les faits fautifs les plus souvent invoqués à l’appui d’un licenciement pour faute grave sont :

-  Les absences injustifiées, les retards répétés
-  Les violences, les insultes, les menaces
-  La malhonnêteté, les détournements, les vols
-  Les harcèlements (moral, sexuel) et comportements incorrects
-  Les critiques, le dénigrement, les dénonciations calomnieuses ou mensongères, l’abus de la liberté d’expression
-  Les indiscrétions, les négligences
-  L’indiscipline, l’insubordination
-  Les technologies de l’information et de la communication (TIC) (connexions, réseaux sociaux)
-  Le manquement à l’obligation de loyauté
-  Le mensonge, le dol, la dissimulation
-  Les infractions aux règles d’hygiène et de sécurité

Ces faits constitueront ou non une faute grave en fonction des circonstances. Ainsi, il a été jugé qu’un harcèlement moral avéré ne constitue par forcément une faute grave.

II. Prescription de la faute grave.

Les faits fautifs sont soumis à deux délais de prescription.

i. Le premier à l’article L1332-4 du code du travail fixe un délai de prescription de deux mois pour l’engagement de poursuites disciplinaires à l’encontre d’un salarié fautif. Passé ce délai, l’employeur ne peut plus le sanctionner.

Selon ce même article, ce délai court « à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance […] », c’est-à-dire au moment où l’employeur prend connaissance de l’information exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés au salarié [6].

Il revient à l’employeur de rapporter la preuve de la date à laquelle il a eu connaissance des faits [7].

Il reste cependant possible pour l’employeur d’évoquer des faits datant de plus de deux mois non encore sanctionnés pour justifier de la gravité d’un fait, objet principal du licenciement qui, lui, date de moins de deux mois [8].

ii. Le second à l’article L1332-5 du même code dispose quant à lui qu’« aucune sanction antérieure de plus de trois ans à l’engagement des poursuites disciplinaires [à la date d’envoi de la lettre de convocation à entretien préalable] ne peut être invoquée à l’appui d’une nouvelle sanction. »

Ne pas pouvoir tenir compte de faits antérieurs à plus de trois ans pour apprécier la gravité de la faute actuelle et sa proportionnalité avec la sanction appliquée, tel est l’apport de cette prescription. Un employeur qui invoquerait de tels éléments les verrait probablement écartés de l’appréciation des juges.

En tout état de cause, une faute ne peut être sanctionnée qu’une seule fois en vertu de la règle « non bis in idem » [9].

Toutefois à cet égard, une évolution de la jurisprudence est à noter.

Antérieurement, la Cour de cassation exigeait pour que les sanctions antérieures puissent être invoquées à l’appui d’un licenciement, que les faits reprochés soient identiques ou similaires. C’est-à-dire qu’elle ne recevait que la récidive spéciale (faits identiques ou similaires) et non générale (tout type de faits fautifs) à l’appui de la nouvelle sanction [10].

Un premier assouplissement de la notion de « faits identiques » est apparu avec la référence à des faits « de même nature » [11].

Et plus encore récemment, la Cour de cassation admet que l’employeur invoque des sanctions antérieures (deux avertissements) pour justifier le licenciement, peu important que celles-ci aient sanctionné « des faits de nature différente » [12].

La Cour affirme ainsi clairement à présent le caractère général de la sanction antérieure invoquée à l’appui d’un licenciement, sans violation de la règle « non bis in idem ». Une solution qui pourra certainement être transposée aux faits antérieurs non encore sanctionnés.

III. Conséquences de la faute grave.

La faute grave rendant le maintien du salarié dans l’entreprise impossible, le prononcé du licenciement n’a pas à respecter un préavis [13], sauf dispositions contractuelles ou conventionnelles plus favorables.

Dès lors en principe, aucune indemnité compensatrice de préavis n’est due au salarié licencié pour faute grave.

De plus, le salarié perd son droit à l’indemnité de licenciement [14].

En revanche, le salarié a droit à l’indemnité de congés payés pour la période de référence en cours. En effet, l’indemnité de congés payés est due quel que soit le motif du licenciement [15].

Enfin et contrairement à une idée encore bien souvent répandue, le licenciement pour faute grave ne prive pas le salarié de son droit à l’assurance chômage (« allocation d’aide au retour à l’emploi » de Pôle emploi). En effet, en vertu des articles L5422-1 et L5422-20 du code du travail qui renvoient aux dispositions du décret n°2019-797 du 26 juillet 2019 relatif au régime d’assurance chômage [16] :

« § 1er - Ont droit à l’allocation d’aide au retour à l’emploi les salariés dont la perte d’emploi est involontaire. Remplissent cette condition les salariés dont la perte d’emploi résulte : - d’un licenciement ; […] »

Ainsi aucune mention règlementaire n’exclue un licenciement en particulier pour accéder au droit à l’allocation d’aide au retour à l’emploi.

S’agissant des conditions d’attribution du chômage (durée d’affiliation, inscription à Pôle emploi etc.), il convient de se reporter aux dispositions du décret précité ou de se rapprocher du Pôle emploi le plus proche du domicile du salarié.

Avi Bitton, Avocat, Ancien Membre du Conseil de l’Ordre Marion Franceschini, Juriste Courriel: [->avocat@avibitton.com] Site: [->https://www.avibitton.com]

[1L1232-1 du Code du travail

[2Cass. soc., 23 févr. 2005, n° 02-46.271

[3Cass. soc., 25 avr. 1990, n° 87-45.275

[4Cass. soc., 27 sept. 2007, n° 06-43.867

[5Cass. soc., 9 octobre 2001, n°99-42.204 ; Cass. soc., 17 mai 2011, n°10-16.207) et si un doute subsiste, il profite au salarié (article L. 1235-1 du Code du travail ; Cass. soc., 11 déc. 1986, n° 84-41.395

[6Cass. soc., 17 févr. 1993, n° 88-45.539 ; Cass. soc., 23 mars 2004, n° 01-47.342 ; Cass. soc., 13 oct. 2015, n° 14-21.926

[7Cass. soc., 24 mars 1988, n° 86-41.600 ; Cass. soc., 12 oct. 1999, n° 97-42.850 ; Cass. soc., 10 déc. 2003, n° 01-45.488 ; Cass. soc., 31 mai 2006, n° 03-46.066 ; Cass. soc., 22 oct. 2008, n° 07-41.443 ; Cass. soc., 22 oct. 2008, n° 07-41.444

[8Cass. soc., 22 mars 2006, n° 03-44.362

[9Cass. soc., 12 mars 1981, no 79-41.110

[10Cass. soc., 30 sept. 2004, no 02-44.030 ; Cass. soc., 1er juill. 2015, n° 14-15.429 ; Cass. soc., 19 janv. 2017, n° 15-24.404

[11Cass. soc., 14 janv. 2003, n° 00-43.879

[12Cass. soc., 3 avr. 2019, pourvoi n° 16-29.102, arrêt n° 536 F-D

[13articles L1234-1 et L1234-5 du code du travail

[14article L. 1234-9 du Code du travail

[15article L. 3141-28 du Code du travail

[16Annexe A, Titre I, Chapitre 1, article 2, modifié par décret n°2019-1106 du 30 octobre 2019