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[Chronique] Avocates, inspirez-nous ! Entretien avec Nadine Rey (7).
Parution : samedi 4 avril 2020
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"Avocates, inspirez-nous !" est une initiative de Christine Mejean et d’Isabelle-Eva Ternik qui a pour objectif le partage d’expériences professionnelles à travers des entretiens menés avec des avocates aux profils et parcours diversifiés, que le Village de la Justice a eu envie de relayer.

Pour cette nouvelle chronique [1] nous rencontrons Nadine Rey, qui de par sa double activité d’avocate et d’art-thérapeuthe, met "le droit au service de la psyché et la psyché au service du droit".

"Avocates, inspirez-nous" : les origines du projet.

La loi du 1er décembre 1900 a permis aux femmes d’exercer la profession d’avocat. Olga Balachowsky-Petit a été la première femme à prêter serment le 6 décembre 1900 et Jeanne Chauvin a été la première femme à plaider dans une affaire de contrefaçon de corsets en 1907.
118 ans plus tard, en 2018, les avocates sont plus de 36.000 en France et représentent plus de 55% de la profession d’avocat [2]. Cependant, seules 24,5% d’entre elles sont associées dans les 100 plus grands cabinets d’affaires et leurs revenus moyens sur l’ensemble de leur carrière sont inférieurs de plus de 50% à ceux des hommes [3].
Apprenons à les connaître ! Comment les avocates appréhendent-elles leur métier ? Quelles sont leurs clefs de succès ? Quelle(s) transformation(s) apportent-elles au sein de la profession ?


Nadine Rey, Avocate en droit du travail et de la famille depuis 34 ans et Thérapeute relationnel / Art-thérapeute depuis 12 ans.

(Crédits photo. : Isabelle-Eva Ternik)

Ses attentes du metier d’avocat :

« Très jeune, j’exprimais le désir d’être avocat, alors même qu’il n’existait ni avocat ni juriste dans ma famille. Beaucoup plus tard, j’ai pris conscience que le combat en droit du travail, essentiellement du côté des salariés, faisait écho à mes origines familiales. Mes grands-parents et mes parents ont eu un passé communiste et je contribuais, à ma manière et dans les prétoires, à la cause. De même, devenir avocat et défendre des femmes victimes de violences, me permettait aussi de réparer la vie de ma grand-mère paternelle, elle-même victime, dans son passé, de violences conjugales. »

Son évolution :

« Pendant 25 ans, j’ai passionnément aimé mon métier d’avocat et j’ai eu le sentiment de ne jamais travailler. Puis avec ma formation parallèle en psychothérapie, je me suis peu à peu décalée de la seule application du droit, pour me passionner à nouveau, mais pour la psyché cette fois. Il y a une dizaine d’années, je m’apprêtais à raccrocher la robe lorsque le droit collaboratif, en provenance des Etats-Unis, est arrivé en France. Sans recourir au juge, les parties en conflit, accompagnées par leurs avocats respectifs spécifiquement formés, suivent les étapes d’un processus au terme duquel elles construisent elles-mêmes leurs propres solutions nécessairement singulières, prenant en compte leurs récits personnels, leurs besoins sous-jacents et les critères objectifs de leur situation. La solution coconstruite en pleine transparence et connaissance des besoins de l’autre, est forcément apaisante et pérenne. »

Le sens qu’elle donne à son métier aujourd’hui :

"Aider les personnes à donner du sens à ce qu’elles vivent."

« Idéaliste, je me suis toujours placée du côté des opprimés. Aujourd’hui, ma préoccupation essentielle est d’aider les personnes à donner du sens à ce qu’elles vivent, à comprendre l’altérité, les origines de leurs différends et à créer d’autres manières d’être.
S’agissant des femmes victimes de violences, nous ne parvenions pas à faire enregistrer de plaintes dans les années 1990. Les policiers disaient alors : « Rentrez chez vous. Occupez-vous mieux de votre mari, ça va s’arranger ! ». Aujourd’hui, en l’état de notre droit, une épouse peut porter plainte pour viol contre son mari, suite à un acte sexuel même relativement ancien. Face à une situation qui me paraît être passée d’un extrême à l’autre, (voir les suites mondiales des affaires Weinstein-MeToo), je défends aussi des hommes auteurs de violences. »

Sa philosophie professionnelle :

« La pensée existentialiste, à laquelle je me réfère, prône que chaque individu est maître de son destin. Se reconnaître responsable en « adulte debout », offre la liberté de changer, de ne plus autoriser l’autre, quel qu’il soit, à agir sur nous, et donc de créer notre propre vie.
Tout au long de ma carrière, j’ai retransmis cette manière d’être et j’ai, notamment, exhorté les femmes à sortir de leur statut de victimes.
Et j’ai toujours dit les choses comme je les ressentais. Pour exemple : « Ton grand-père t’a touché les seins quand tu étais petite ? Mais quel connard ! Tu avais quel âge ? 8 ans. Mais tu as 35 ans aujourd’hui, jusqu’à quand vas-tu autoriser ce connard à te pourrir la vie ? Ta responsabilité [4] rime avec ta liberté de changer et ta souffrance sera finie, dès que tu l’auras décidé ». Mes clientes, physiquement redressées, sortaient de mon cabinet, remplies d’espoir. »

Sa double activité :

« J’ai toujours trouvé paradoxal que les avocats, faisant métier d’accompagner les êtres humains, principalement en difficultés de surcroît, n’aient aucune formation en psychologie. Certes, un avocat n’est pas « psy », mais - de par sa fonction - il est nécessairement thérapeute au sens grec du terme : « serviteur, celui qui prend soin de quelqu’un ». Tous accompagnants tels les mère, père, professeurs, médecins, assistants sociaux et avocats sont thérapeutes.
Pour ma part, je mène deux cabinets de front : un cabinet d’avocate et un cabinet d’art-thérapeute : cela me permet tour à tour de mettre le droit au service de la psyché et la psyché au service du droit. »

Ses caractéristiques d’exercice :

« Formée à pouvoir entrer dans le monde de l’autre et à accueillir ses émotions telles qu’elles se manifestent et sachant que la vérité avance toujours voilée, je suis assistée par un « clown intérieur » très puissant ! L’humour aide beaucoup à conserver une juste distance et à permettre aux personnes de relativiser toutes choses vécues. »

Sa vision de l’avenir du métier / l’avocat du futur :

"Seuls les avocats, qui seront capables d’accompagner les personnes sur le plan humain vers leurs propres solutions singulières, continueront d’exister."

« Les avocats font désormais face, d’un côté, à la déjudiciarisation, de l’autre, au big data et à la legaltech qui permettent de trouver - à moindre coût - une solution juridique statistiquement exacte en une nanoseconde. Mais solution « statistiquement exacte » ne signifie pas solution « juste » ! Seuls les avocats, qui seront capables d’accompagner les personnes sur le plan humain vers leurs propres solutions singulières, continueront d’exister. »

Ses conseils aux étudiants :

« Plus on grandit, moins on rêve. Attention à ne pas s’installer dans une pensée opérationnelle qui enferme dans des cases… Une question m’apparaît centrale pour trouver sa voie professionnelle : « Que faire pour créer ma vie ? ». Notre société actuellement victimaire a tendance à nous empêcher de nous déployer en tant qu’adultes autonomes. »

Ses conseils aux jeunes avocats :

« Il faut se libérer de ses peurs et de ses inhibitions, et travailler, au-delà des dossiers que l’on nous confie, les différents moyens de notre propre puissance d’être et de notre liberté de parole ».

Ses trucs et astuces pour réalimenter le moteur au quotidien :

« Quand ça va mal, je me dis : c’est un passage… ce n’est qu’un passage, demain cela ira mieux. »

Equilibre vie pro. et vie perso. :

"Avocat ne vous définit pas en tant qu’être, c’est un métier. Et si on n’y prend garde, ce métier nous bouffe !"

« Aux confrères que je forme ou que j’accompagne en thérapie, je dis : « Vous n’êtes pas un avocat. Avocat ne vous définit pas en tant qu’être, c’est un métier. » Et si on n’y prend garde, ce métier nous bouffe ! Il faut prendre conscience de l’indispensable séquençage du temps, pour pouvoir être toujours pleinement présent, à soi, à l’autre. Lorsqu’on arrive le matin au cabinet, on met le masque d’avocat ; au déjeuner, on le dépose et on le reprend, de retour à à 14 heures ; le soir, quand on quitte le cabinet, on l’y laisse, pour pouvoir prendre le masque de mère/père, femme/mari, amante/amant etc. »

A votre avis, être une femme est-il un atout dans l’avocature ?

« Pour les clients, il me paraît que c’est neutre. Sauf peut-être s’agissant des femmes victimes de violence qui préfèrent un avocat-femme. Il en va de même pour des hommes victimes ou auteurs. »

Avez-vous déjà été témoin d’attitudes sexistes ?

« Je n’ai jamais eu à subir d’attitudes sexistes et je n’en ai jamais été le témoin ».

Propos recueillis par: Christine Méjean et Isabelle-Eva Ternik, Avocates.

[1Découvrez le précédent entretien avec Hanane Bencheikh, avocate en droit des société.

[2Source : www.justice.gouv.fr

[3Source : Rapport Haeri 2017.

[4Dans le choix mnésique de l’événement.