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Locations airbnb : l’avocat de la Cour de justice vient de rendre ses conclusions ! Par Xavier Demeuzoy, Avocat.
Parution : vendredi 3 avril 2020
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L’avis de l’avocat général qui est généralement très suivi par les magistrats de la Cour vient d’être rendu ce jour et pourrait décider de l’avenir du marché de la location de courte durée.

Des centaines de procédures sont concernées rien qu’à Paris.

De façon inédite et exclusive, découvrez les enseignements des conclusions de l’avis de l’avocat général de la cour de justice sur la validité de la réglementation airbnb applicable en France.

La France, et tout particulièrement la Ville de Paris, vont-elles perdre une bataille capitale contre Airbnb ? Saisie par la Cour de cassation de plusieurs questions préjudicielles sur la conformité au regard du droit européen de la réglementation française en matière de locations saisonnières, la Cour de justice de l’Union européenne est appelée à trancher.

L’avis de l’avocat général qui est généralement très suivi par les magistrats de la Cour vient d’être rendu ce jour et pourrait décider de l’avenir du marché de la location de courte durée.

La réglementation des locations meublées touristiques ? De quoi parle-t-on ?

Dans les villes de plus de 200.000 habitants et les communes d’Île-de-France, l’article L631-7 du Code de la construction prévoit que seuls les logements à usage de résidence principale peuvent faire l’objet de locations meublées touristiques et ce, dans la limite de 120 jours par an

Par exemple, à Paris, vous pouvez louer votre résidence principale à hauteur de 120 jours sur une location de type airbnb. Mais si vous louez votre résidence secondaire sans autorisation de changement d’usage de la Ville, ou si votre local n’est pas déjà commercial, vous vous exposez à une amende pouvant atteindre 50.000 euros d’amende civile par le Tribunal comme développé dans cet article. Pour approfondir cette réglementation, un ouvrages’en réfère de façon exhaustive.

Des centaines (ou plutôt des milliers) de logements sont en infraction dans toute la France et essentiellement dans les zones touristiques de type Paris, Lyon ou Bordeaux.

Pourquoi la Cour de justice de l’union européenne (CJUE) est-elle saisie ?

Il y a quelques années, la Société C. a été condamnée au paiement d’une forte amende civile pour ne pas avoir respecté cette réglementation de l’article L.631-7 ; les studios de la société ayant été loués sans autorisation préalable de la Ville de Paris. Après avoir perdu devant la Cour d’appel, la société a argué devant la Cour de cassation que cette obligation d’autorisation était incompatible avec la libre prestations de services tiré du droit européen.

Dans ce contexte, et par un arrêt du 15 novembre 2018 des questions préjudicielles ont été posées à la Cour de justice de l’union européenne pouvant se résumer de la façon suivante :
- L’article L.631-7 du CCH qui encadre la réglementation contraignante en France est-il soumis à la directive européenne 2006/123/ CE ?
- Si le texte entre dans le champ de la directive, le législateur rédacteur de l’article L.631-7 du CCH pouvait-il entraver au nom de motifs impérieux la notion de liberté d’établissement de prestations de services que constitue la location meublée de courte durée ?
- Enfin, et surtout quels critères ou mesures seraient proportionnes aux objectifs d’intérêt général poursuivis ? Pour la Ville de Paris, dans quelle mesure l’octroi d’une telle autorisation peut-il être subordonné à la compensation actuellement appliquée ?

Quels sont les enjeux de l’arrêt de la Cour de justice ?

Comme expliqué dans une précédente analyse [1], la Cour de justice de l’union européenne ne répond pas par un simple avis, mais par un arrêt ou une ordonnance motivée.

La juridiction nationale destinataire est liée par l’interprétation donnée quand elle tranche le litige pendant devant elle.

Or, plus de 300 propriétaires assignés au Tribunal judiciaire par la Ville de Paris sont dans l’attente de la décision de la Cour de justice de l’union européenne. Toutes les affaires sont gelées par les tribunaux en France dans l’attente de la position de la cour de justice de l’union européenne qui doit statuer sur la conformité de l’article L631-7 du Code de la construction avec le droit européen.

Plus loin encore, des milliers de propriétaires dans les grandes villes de France non encore poursuivis en justice louent leur logement en infraction avec ce texte et s’exposent en théorie à une amende maximum du tribunal de 50.000 euros.

C’est ainsi qu’a Paris 35 agents municipaux assermentés et 4 cabinets d’avocats de la Ville de Paris contrôlent et assignent inlassablement depuis plusieurs années les propriétaires présumés en infraction.

L’avocat de la Cour de justice vient de rendre ses conclusions le 2 avril 2020 ? Son avis est-il décisif ?

Oui, après avoir entendu les parties plaider le dossier en novembre dernier, l’avocat général rend des conclusions qui sont transmises à la Cour qui est actuellement en train de délibérer.

Les conclusions de l’avocat général ne lient pas la Cour de justice. La mission des avocats généraux consiste à proposer à la Cour, en toute indépendance, une solution juridique dans l’affaire dont ils sont chargés. En pratique, l’avis juridique argumenté de l’avocat général est régulièrement suivi par la Cour.

Quelles sont les conclusions de l’avocat général sur la validité de l’article L631-7 et finalement de la réglementation française ?

L’avocat général Bobek vient de communiquer ses conclusions ce jour dont les enseignements majeurs peuvent se décomposer de la façon suivante :

L’article L.631-7 du CCH relève de la directive services 2006/123/CE

Dans ses conclusions communiquées ce jour, l’avocat général Michal Bobek conclut que la directive 2006/123 est applicable à des dispositions nationales et municipales encadrant l’accès à un service qui consiste en la location, en contrepartie du paiement d’un prix, même à titre non professionnel, de manière répétée et pour de courtes durées, d’un local meublé à usage d’habitation à une clientèle de passage n’y élisant pas domicile.

Oui, des raisons impérieuses d’intérêt général justifient ce régime d’autorisation fixée par l’article L.631-7 du CCH...

L’avocat estime que ni le droit de propriété, ni la liberté d’entreprise n’ont de caractère absolu. Bien au contraire ils peuvent être limités. L’avocat général poursuit ainsi que "c’est sans hésitation que je reconnais que la lutte contre une pénurie structurelle de logements, d’une part, et la protection de l’environnement urbain, d’autre part, peuvent effectivement être avancées pour justifier ensemble ou séparément l’instaurant du régime d’autorisation."

Dans ce contexte, l’avocat général considère que le régime d’autorisation fixé par l’article L 631.7 du CCH se trouve justifié par des raisons impérieuses d’intérêt général (lutte contre la pénurie de logements, recherche de disponibilité de logements suffisants et abordables...).

... mais sous réserve pour le juge national de s’assurer du respect du principe de proportionnalité et de non-discrimination : la critique du modèle parisien par l’avocat général !

Dans ses conclusions l’avocat général ne dénigre pas le principe même d’une autorisation préalable mise en place par le texte mais s’interroge et critique même le dispositif parisien pour apprécier la notion de proportionnalité. Ainsi, et c’est un apport fondamental de cet avis, l’avocat général estime qu’il appartiendra à la juridiction nationale de s’assurer du respect de ces principes de proportionnalité et de non discrimination.

L’avocat général a ainsi pointé du doigt la complexité et les contradictions du mécanisme de compensation à Paris pour opérer un changement d’usage et notamment les différences de traitement selon que le propriétaire est un particulier ou un professionnel de l’immobilier.

L’avocat général prend ainsi l’exemple pour un particulier qui souhaite transformer un studio en local commercial pour faire de la location courte durée. La complexité du mécanisme obligatoire interpelle l’avocat général sur son caractère (dis)proportionné qui est pourtant une condition de validité fixée par la directive !

Plus loin encore, l’avocat s’interroge de savoir si un tel mécanisme n’est finalement pas réservé aux seuls plus riches et s’il faut laisser ce jeu "à ceux jouant déja au monopoly (grandeur nature ?)" (sic).

Conclusion :

Force est d’admettre qu’il ne fait aucun doute pour l’avocat général qu’un processus contraignant d’autorisation de changement d’usage puisse être justifié par des considérations liées à un motif impérieux de type pénurie de logements.

Mais l’avocat général qui n’a pas souhaité ouvrir la boite de pandore européenne, a habilement préconisé à la Cour de confier aux juges nationaux le soin de s’assurer que la réglementation française n’est pas contraire aux principes de proportionnalité et de non discrimination prévus par le droit européen.

Sur ce domaine, certaines communes à commencer par la Ville de Paris pourraient rencontrer les plus grandes difficultés à démontrer le respect de ces principes tant le processus de changement d’usage est particulièrement complexe, longue et coûteuse...

L’avis de la Cour de justice sera donc enrichissant à découvrir. Réponse dans quelques mois.

Xavier Demeuzoy - Avocat au Barreau de Paris - www.demeuzoy-avocat.com

[1Analyse à lire ici.