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Airbnb : Selon l’Avocat Général de la CJUE, l’encadrement des locations de meublés touristiques est compatible avec le droit européen. Par Romain Rossi-Landi, Avocat.
Parution : samedi 4 avril 2020
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Ce n’est pas nouveau, les locations de meublés touristiques sont dans le collimateur des pouvoirs publics et de la Mairie de Paris. Le gouvernement a renforcé l’encadrement de ce secteur de l’économie collaborative avec des sanctions de plus en plus fortes pour les fraudeurs.
A Paris, près de 2,1 millions d’euros d’amendes ont été infligés aux loueurs de meublés illégaux pour l’année 2018 (contre 1,3 M€ en 2017) [1] . Toutefois, depuis janvier 2019, les poursuites de la Mairie de Paris sont suspendues [2] et des centaines de sursis à statuer ont été ordonnés par le Tribunal de Paris dans l’attente de la décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE).

La CJUE a en effet été saisie suite à un renvoi préjudiciel [3] de la Cour de Cassation dans un arrêt rendu le 15 novembre 2018 [4].

La CJUE doit se prononcer sur la compatibilité de la réglementation nationale, telle que celle prévue par l’article L.631-7 du code de la construction et de l’habitation à la directive européenne 2006/123/CE du 12 décembre 2016 régissant la libre circulation des services. La décision de la CJUE est prévue dans les prochains mois.

Les conclusions de l’Avocat Général étaient donc très attendues, tant par la Mairie de Paris que par les fraudeurs qui sont toujours dans l’expectative du risque de devoir payer une amende pouvant aller jusqu’à 50.000 € en application de l’article L.651-2 du code de la construction et de l’habitation.

L’Avocat Général de la CJUE, Monsieur BOBEK, a rendu ses conclusions [5] le 2 avril 2020.

Selon l’Avocat Général, l’autorisation de changement d’usage est compatible avec le droit européen

S’agissant du champ d’application de la directive 2006/123, l’avocat général considère qu’une réglementation soumettant à autorisation le changement d’usage d’un bien destiné à l’habitation relève du champ d’application de la directive 2006/123.

En particulier, les dispositions en cause constituent un régime d’autorisation au sens de la directive. Les propriétaires de biens qui souhaiteraient louer leurs locaux meublés pour de courtes durées doivent se conformer à une procédure administrative visant à obtenir du maire, sous réserve du respect de certaines conditions, une autorisation administrative formelle.

En l’espèce, la loi ALUR n°2014-366 du 24 mars 2014 a ajouté un dernier alinéa à l’article L 631-7 du Code de la Construction et de l’Habitation selon lequel :
« Le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile constitue un changement d’usage au sens du présent article ».

Autrement dit, ces locations « répétées » de courtes durées sont alors considérées comme destinées à un usage hôtelier et non plus à un usage d’habitation.

Il s’agit donc d’un régime d’autorisation de changement d’usage qui nécessite alors une autorisation préalable de l’administration afin que le lot d’habitation devienne un lot commercial.

S’agissant de la compatibilité de ce régime d’autorisation avec la directive 2006/123, Monsieur BOBEK affirme que « ni la liberté d’entreprise ni le droit de propriété n’ont de caractère absolu et peuvent tous deux être limités ».

Selon lui, « lutter contre une pénurie de logements et chercher à garantir la disponibilité de logements suffisants (destinés à la location de longue durée) et abordables (en particulier dans les grandes villes), ainsi que la protection de l’environnement urbain, constituent des justifications valables pour l’établissement de régimes d’autorisation en général fondés sur une politique sociale. De telles raisons peuvent également être invoquées afin de justifier les critères prévus par un régime d’autorisation. »

Une très bonne nouvelle pour la Mairie de Paris.

• Mais l’obligation de compensation à Paris suscite des interrogations.

L’Avocat Général est en revanche beaucoup plus circonspect en ce qui concerne l’obligation de compensation mise en place par la ville de Paris.

A Paris, cette autorisation (de la Mairie de Paris) est en effet quasiment impossible à obtenir notamment à l’ouest et au centre de la ville, puisque le propriétaire souhaitant louer son bien sur internet doit impérativement présenter, au soutien de son dossier, en compensation, un bien d’activité d’une surface équivalente ou du double dans le même arrondissement et s’engager à le transformer en local d’habitation…

La municipalité impose d’acheter des « droits de commercialité » pour compenser le changement d’usage.

Obtenir ce changement d’usage est donc très complexe et coûteux, ce qui incite un grand nombre de propriétaires à frauder.

L’Avocat Général considère que « si l’instauration du régime d’autorisation est proportionnée, la proportionnalité de l’obligation de compensation, sous la forme de la transformation concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage, est un peu plus contestable », notamment telle qu’elle est conçue par la ville de Paris en ce qui concerne les propriétaires non professionnels.

L’Avocat Général donne lui-même un exemple : « celui d’un bailleur non professionnel qui possède un studio de 20 mètres carrés au cœur de Paris, qui n’est pas sa résidence principale, puisque cette personne habite à la périphérie de la ville. Dès lors que le régime d’autorisation et la condition essentielle de compensation qu’il prévoit s’appliquent à tous les propriétaires, ce bailleur devra également acheter un local commercial situé dans le même quartier, d’une surface identique ou double, et le transformer en logement résidentiel (destiné à la location de longue durée) afin de pouvoir louer le petit studio sur le marché de son choix. Une telle obligation est-elle également proportionnée à l’égard de ce type de propriétaires ? »

Un motif d’espoir pour les fraudeurs ?

En définitive, ces conclusions de l’Avocat Général marquent indéniablement une première victoire pour la Ville de Paris, mais rien n’est joué, les conclusions de l’avocat général ne lient pas la Cour de justice, même s’il est très souvent suivi.

Il appartiendra, en toute fin, à la Cour de Cassation de vérifier ces points, y compris la mise en œuvre concrète de l’obligation de compensation à Paris.

A suivre…

Romain ROSSI-LANDI Avocat à la Cour [->www.rossi-landiavocat.fr]

[1Source Le Figaro

[3Le renvoi préjudiciel permet aux juridictions des États membres, dans le cadre d’un litige dont elles sont saisies, d’interroger la Cour sur l’interprétation du droit de l’Union ou sur la validité d’un acte de l’Union. La Cour ne tranche pas le litige national. Il appartient à la juridiction nationale de résoudre l’affaire conformément à la décision de la Cour. Cette décision lie, de la même manière, les autres juridictions nationales qui seraient saisies d’un problème similaire.

[4N° de pourvoi 17-26156

[5Les conclusions de l’avocat général ne lient pas la Cour de justice. La mission des avocats généraux consiste à proposer à la Cour, en toute indépendance, une solution juridique dans l’affaire dont ils sont chargés. Les juges de la Cour commencent, à présent, à délibérer dans cette affaire. L’arrêt sera rendu à une date ultérieure.