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Administration de substances nuisibles : définition et sanctions. Par Avi Bitton, avocat.
Parution : vendredi 17 avril 2020
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Administration de substances nuisibles : éléments constitutifs, circonstances aggravantes, peines encourues, distinction avec l’empoisonnement.

L’infraction d’administration de substances nuisibles peut constituer un délit ou un crime, selon son résultat.

Prévue à l’article 222-15 du Code pénal, on la définit souvent en comparaison avec l’empoisonnement. En effet, contrairement à l’empoisonnement, ce délit n’implique pas l’intention de tuer mais seulement l’intention de nuire à la santé d’autrui.

Au contraire, l’empoisonnent [1] est un attentat à la vie et non simplement à l’intégrité physique ou psychique. Il s’agit toujours d’un crime, réprimé de la même manière, que la mort s’ensuive ou que la victime survive.

I/ Les éléments constitutifs.

Cette infraction est constituée lorsque l’auteur a administré une ou plusieurs substances nuisibles (A) avec la volonté de porter atteinte à l’intégrité physique ou psychique de la victime (B).

A. Une administration de substance nuisible.

La substance administrée ne doit pas être mortifère. Si c’est le cas, la qualification à retenir est celle de l’empoisonnement. En effet, l’empoisonnement entre dans la catégorie des infractions formelles. Ainsi, le fait d’administrer une substance mortifère, même si la victime ne décède pas, constitue un empoisonnement.

Le terme de substance est entendu au sens large. Elle peut être solide, liquide, gazeuse ou autre.

Cette substance peut avoir été administrée directement ou indirectement et avec ou contre le gré de la victime.

Par exemple :

- un salarié cache dans la voiture de son chef d’équipe des embouts radioactifs [2]

- une domestique donne à la femme de son employeur des doses de médicament supérieures à celles prescrites [3]

- un homme fait prendre de "l’ecstasy" à une jeune femme en vue d’annihiler sa résistance afin d’abuser d’elle sexuellement [4]

- le fait de multiplier des relations sexuelles non protégées en cachant sa séropositivité, a été qualifié d’administration de substance nuisible [5].

L’administration de cette substance nuisible doit avoir eu pour résultat une atteinte à l’intégrité physique ou psychique de la victime. En l’absence de résultat, l’infraction n’est pas constituée.

Enfin, le lien de causalité entre le résultat et l’administration de la substance doit être établi. Cette dernière condition rend la qualification extrêmement difficile notamment lorsqu’il s’agit de prouver le lien entre une catastrophe écologique comme Tchernobyl ou l’installation d’antenne-relai et l’apparition de diverses pathologies.

B. L’intention de porter atteinte à l’intégrité physique ou psychique.

L’intention de l’auteur permet dans de nombreux cas de choisir entre la qualification d’empoisonnement, d’administration de substance nuisible, de blessure involontaire ou homicide involontaire.

Premièrement, pour que l’infraction soit constituée, il est nécessaire d’établir la connaissance de la nocivité de la substance.

Le fait d’administrer une substance nuisible dont les effets n’étaient pas connus, empêche la qualification de l’infraction. De même, cette volonté de porter atteinte à l’intégrité physique ou psychique exclut du champ de l’infraction toutes les erreurs de manipulation ou de dosage, les imprudences et les négligences. Une autre qualification pénale pourrait alors être recherchée dans les atteintes involontaires.

Si la victime décède alors que l’auteur ne voulait qu’altérer sa santé, l’infraction d’empoisonnement ne pourra pas être retenue. En effet cette dernière implique nécessairement l’intention de tuer. Une autre qualification pourrait être recherchée comme par exemple les violences volontaires ayant entrainé la mort sans intention de la donner.

A l’inverse si l’auteur a eu recours à une substance mortelle à des doses insuffisantes pour tuer, c’est l’empoisonnement qui doit être retenu.

Enfin si l’auteur a eu recours à une substance non mortelle avec l’intention de donner la mort, l’empoisonnement ne peut pas être retenu.

II / La répression.

S’agissant d’une infraction de résultat, la répression diffère selon que l’atteinte constitue une contravention, un délit (A) ou un crime (B).

A) La répression de la contravention et du délit.

Lorsque l’administration de substance nuisible n’a pas entrainé d’incapacité temporaire de travail (ITT) et qu’aucune circonstance aggravante ne peut être retenue, seul l’article R.624-1 du Code pénal sanctionnant les contraventions de violences de 4ème classe peut servir de fondement aux poursuites.

Lorsque l’administration de substance nuisible a entrainé une ITT inférieure ou égale à 8 jours et qu’il n’existe aucune circonstance aggravante, seul l’article R.625-1 du Code pénal sanctionnant les contraventions de violence de 5ème classe peut servir de fondement aux poursuites.

En revanche dans ces derniers cas, si les circonstances aggravantes [6] sont retenues, les peines encourues sont de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros.

Les peines encourues sont de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende lorsque l’infraction a été commise : sur un mineur de quinze ans par un ascendant ou une personne ayant autorité ou avec deux circonstances aggravantes.

Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende lorsqu’elle a été commise dans trois de ces circonstances.

Lorsque l’administration de substance nuisible a entrainé une ITT supérieur à 8 jours, la peine encourue est de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.

Les peines sont élevées à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende lorsque l’infraction a été accompagnée d’une des circonstances aggravantes [7].

Si l’infraction a été commise avec deux des circonstances susmentionnées, les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende.

Si l’infraction a été commise avec trois de ces circonstances, les peines sont de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende. Il en va de même lorsque l’infraction a été commise sur un mineur de quinze ans par un ascendant ou une personne ayant autorité.

Si l’administration de substance nuisible a entraîné une mutilation ou infirmité permanente, la peine encourue est de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende.

B) La répression du crime.

i) Une répression en fonction du résultat.

Lorsque l’administration de substance nuisible a entraîné la mort, la peine encourue est celle de quinze ans de réclusion criminelle.
Elle est élevée à vingt ans si le crime a été accompagné de l’une des circonstances aggravantes [8], notamment si l’auteur a la qualité d’ascendant ou de conjoint de la victime.

Elle peut atteindre trente ans de réclusion si l’infraction a été commise par un ascendant ou une personne ayant autorité sur un mineur de quinze ans.

Sont alors applicables les dispositions de l’article 132-23 du Code pénal sur la période de sûreté.

Lorsque l’administration de substances nuisibles a entraîné une mutilation ou une infirmité permanente et qu’elle a été accompagnée de l’une des circonstances aggravantes [9], la peine est alors de quinze ans de réclusion criminelle.

La peine est également portée à quinze ans de réclusion criminelle lorsque l’auteur est le conjoint ou le concubin de la victime ou qu’il a agi avec préméditation.

Elle est portée à vingt ans lorsque l’infraction a été commise sur un mineur de quinze ans par un ascendant ou une personne ayant autorité.

Sont alors applicables les dispositions de l’article 132-23 du Code pénal sur la période de sûreté.

Lorsque l’administration de substances nuisibles revêt le caractère de violences habituelles sur un mineur de quinze ans ou sur une personne particulièrement vulnérable, l’auteur est passible de trente ans de réclusion criminelle si ces violences ont causé la mort de la victime ; vingt ans de réclusion lorsque les faits ont entraîné une mutilation ou une infirmité permanente.

Sont également applicables les dispositions de l’article 132-23 du Code pénal sur la période de sûreté.

Les personnes déclarées coupables d’administration de substances nuisibles peuvent également faire l’objet des peines complémentaires énumérées aux 1° à 7°, 9° bis, 11° et 12° de l’article 222-44 du Code pénal.

Par exemple : l’interdiction de détenir ou de porter une arme ; la suspension ou l’annulation du permis de conduire ; l’obligation d’accomplir un stage de sensibilisation aux dangers de l’usage des produits stupéfiants…

Sont également applicables les sanctions prévues par l’article 222-45 du Code pénal :
- l’interdiction des droits civiques, civils et de famille,
- l’interdiction d’exercer une fonction publique.

ii) Une répression indifférente au résultat.

Par opposition, le crime d’empoisonnement est réprimé par les mêmes peines, que le résultat soit la mort, des blessures, ou que la victime survive sans aucune séquelle.

L’empoisonnement appartient ainsi à la catégorie des infractions formelles par opposition aux infractions de résultat.

Il s’agit toujours d’un crime, puni de 30 ans de réclusion criminelle [10].

La peine est portée à la perpétuité lorsqu’il est commis avec l’une des circonstances aggravantes [11].

La peine de sûreté est également applicable.

En cas d’empoisonnement sur les parents, les enfants ou le conjoint, la juridiction se prononce sur le retrait total ou partiel de l’autorité parentale.

Avi Bitton, Avocat, Ancien Membre du Conseil de l’Ordre Tél. : 01.46.47.68.42 Courriel: [->avocat@avibitton.com] Site: [->https://www.avibitton.com]

[1article 221-5 du Code pénal

[2TGI
Cherbourg, 31 mars 1981 : D. 1981, jurispr. p. 536

[3Crim. 10 mai 1972 : D. 1972, jurispr. p. 733

[4CA Paris, 10e ch., 26 nov. 2008

[5Crim. 5 oct. 2010, n° 09-86.209. Bull. crim. 2010, n° 147

[6article 222-13

[7article 222-12

[8article 222-8

[9article 222-10 du Code pénal

[10art. 221-5 du Code
pénal

[11articles 221-2, 221-3 et 221-4 du Code pénal

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