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Contrôle URSSAF : le poids des mots dans le cadre du travail dissimulé. Par François Taquet et Michelle Amante, Avocats.
Parution : mardi 7 avril 2020
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« Travail illégal », « travail dissimulé »... à première vue, ces mots recouvrent des notions similaires. Mais à première vue seulement car nous verrons que la réalité est différente. Qui plus est, nous étudierons que certaines garanties prévues en faveur du cotisant disparaissent lorsque le travail est "illégal" ou "dissimulé" … Le sujet est ardu, mais vaut la peine de s’y intéresser !

Le français est sans conteste une langue subtile. Et l’utilisation d’un terme, plutôt que d’un autre (fut il similaire) peut entrainer des conséquences différentes. Il en est ainsi, dans le cadre du contrôle URSSAF des mots « travail illégal » et « travail dissimulé » (eux même issus du Code du travail). A première vue, ces mots recouvrent des notions similaires. Mais à première vue simplement car nous verrons que la réalité est différente. Qui plus est, nous étudierons que certaines garanties prévues en faveur du cotisant disparaissent lorsque le « travail illégal » (ou certaines situations de travail illégal) ou le « travail dissimulé » est caractérisé… Le sujet est ardu, mais vaut la peine de s’y intéresser, car du poids des mots peut parfois naître un vice de procédure….

I – Travail illégal, travail dissimulé…deux réalités différentes.

On sait que plusieurs situations définies par le Code du travail sont constitutives de travail illégal (C trav. art L 8211-1) :
▪ le travail dissimulé
▪ le marchandage qui consiste à fournir de la main d’œuvre de façon à causer le préjudice au salarié fourni ou permettant d’éluder l’application de la loi, du règlement ou de la convention collective
▪ le prêt illicite de main d’œuvre
▪ l’emploi d’étranger non autorisé à travailler
▪ le cumul irrégulier d’emplois
▪ la fraude ou la fausse déclaration en vue d’obtenir des revenus de remplacement

Quant au travail dissimulé, il recoupe lui-même deux grandes situations (C trav L 8221-1) : la dissimulation d’activité (C trav art L 8221-3) et la dissimulation d’emploi salarié (C trav art L 8221-5).

La dissimulation d’activité concerne toute personne physique ou morale non immatriculée ou n’ayant fait aucune déclaration aux organismes sociaux (URSSAF, administration fiscale). En ce qui concerne la dissimulation d’emploi salarié, il s’agit du fait de se soustraire aux formalités telles que déclaration d’embauche, remise d’un bulletin de salaire, déclarations sociales.

La situation peut ainsi être schématisée :

Article L 8211-1 du Code du travail : travail illégal qui recoupe :
1° le travail dissimulé
2° le marchandage
3° le prêt illicite de main-d’œuvre
4° l’emploi d’étranger non autorisé à travailler
5° le cumuls irréguliers d’emplois
6° la fraude ou fausse déclaration dans le but d’obtenir frauduleusement des revenus de remplacement.

Article L 8221-1 du Code du travail : travail dissimulé qui recoupe :
1° Le travail totalement ou partiellement dissimulé, défini et exercé dans les conditions prévues aux articles L. 8221-3 (travail dissimulé par dissimulation d’activité) et L 8221-5 (travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié)
2° La publicité, par quelque moyen que ce soit, tendant à favoriser, en toute connaissance de cause, le travail dissimulé ;
3° Le fait de recourir sciemment, directement ou par personne interposée, aux services de celui qui exerce un travail dissimulé

Les définitions étant posées, il convient maintenant d’envisager la portée de ces termes dans le cadre du contrôle URSSAF

II - La portée de ces termes dans le cadre du contrôle URSSAF.

Nous envisagerons les différentes phases où ces termes sont utilisés en insistant sur le choix des mots retenus par les rédacteurs

● Dispense d’envoi d’un avis de contrôle
▪ L’URSSAF est tenue à l’envoi d’un avis de contrôle ; toutefois, l’organisme en est dispensé dans le cas où le contrôle est effectué pour rechercher des infractions aux interdictions mentionnées à l’article L 8221-1 du code du travail (travail dissimulé) (CSS art R 243-59 I al 2)
▪ Le cotisant n’aura donc pas connaissance de la " Charte du cotisant contrôlé ", mentionné sur l’avis, présentant à l’intéressé la procédure de contrôle et les droits dont il dispose pendant le déroulement de la vérification et à son issue (CSS art R 243-59 I al 2)
● Entretien de fin de contrôle

Suivant le modèle de la « charte du cotisant contrôlé » prévue à l’article R. 243-59 I al 5 du Code de la sécurité sociale, à l’issue de ses investigations, lorsque des observations avec ou sans redressements sont envisagées, l’agent de contrôle, propose un entretien au cotisant afin de lui présenter le résultat de ses analyses et les suites éventuelles. Ces dispositions sont cependant exclues en cas de « constat de travail dissimulé ou d’obstacle à contrôle » (rappelons que suivant les dispositions de l’article R 243-59 I al 5 du Code de la sécurité sociale, « les dispositions contenues dans la charte sont opposables aux organismes effectuant le contrôle » ; donc, le cotisant peut opposer aux URSSAF l’ensemble des précisions contenues dans la Charte).

● Durée du contrôle
▪ Le Code de la sécurité sociale limite la durée du contrôle pour les entités de moins de dix salariés (conformément à la loi n° 2018-727 du 10 août 2018, cette disposition est applicable à titre expérimental aux entreprises de moins de vingt salariés pour une durée de trois ans à compter de la publication de ladite loi) tant pour le contrôle sur place que pour le contrôle sur pièces (CSS art L 243-13). Le délai court entre le début effectif du contrôle et la lettre d’observations. Ce délai peut être prorogé une fois à la demande de l’entreprise contrôlée ou du contrôleur. La prorogation est de droit. Par exception, cette limite du temps de contrôle ne s’applique pas lorsqu’il est établi pendant cette période une situation de travail dissimulé, défini aux articles L 8221-3 (travail dissimulé par dissimulation d’activité) et L 8221-5 du code du travail (travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié).
▪ La durée de la période contradictoire (de 30 jours) peut être prolongée sur demande du cotisant reçue par l’organisme avant l’expiration du délai initial, à l’exclusion des situations où est mise en œuvre la procédure d’abus de droit ou en cas de travail dissimulé (CSS art L 243-7-1 A excluant les infractions mentionnées à l’article L. 8211-1 - 1° à 4° du code du travail soit le travail dissimulé, le marchandage, le prêt illicite de main-d’œuvre, l’emploi d’étranger non autorisé à travailler)

● Décision implicite d’accord
Une décision implicite de l’URSSAF ne peut pas faire échec à un redressement consécutif à un constat de travail dissimulé (Cass civ. 2°. 4 avril 2019 pourvoi n° 18-13786)

● Attestation de vigilance
S’agissant de l’attestation de vigilance prévue à l’article L 243-15 du Code de la sécurité sociale, il est prévu que la contestation des cotisations et contributions dues devant les juridictions de l’ordre judiciaire ne fait pas obstacle à la délivrance de l’attestation ; « toutefois, l’attestation ne peut pas être délivrée quand la contestation fait suite à une verbalisation pour travail dissimulé » (CSS art D 243-15).

● Auditions
Possibilité pour les agents de contrôle, dans le cadre du travail illégal (renvoi aux articles L 8271-1-2 et L 8271-1 du Code du travail), et avec le consentement des intéressés d’entendre tout employeur ou toute personne rémunérée, ayant été rémunérée ou présumée être ou avoir été rémunérée afin de connaître la nature des activités de cette personne, ses conditions d’emploi et le montant des rémunérations s’y rapportant, y compris les avantages en nature. De même, conformément à l’article 28 du code de procédure pénale, l’article 61-1 du même code est applicable (C trav art L 8271-6-1)
Lorsque le travail illégal est constaté par un agent de contrôle dans le cadre d’un contrôle d’assiette, « il est fait mention au procès-verbal d’audition du consentement de la personne entendue. La signature du procès-verbal d’audition par la personne entendue vaut consentement de sa part à l’audition » (CSS art R 243-59 II al 5).

● Procédure contradictoire
En cas de travail dissimulé (C trav art L 8221-1) la lettre d’observations doit indiquer en plus des mentions prévues à l’article R 243-59 III, faire référence au document préparatoire prévu à l’article R 133-1 du Code de la sécurité sociale (CSS art R 243-59 III al 2 s)
● Majorations de retard
Le calcul des majorations de retard prévu à l’article L 243-7-7 du CSS concerne les infractions définies aux articles L 8221-3 (travail dissimulé par dissimulation d’activité) et L 8221-5 du code du travail (travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié)
● Redressement forfaitaire
Le redressement forfaitaire prévue à l’article L 242-1-2 du Code de la sécurité sociale, concerne les infractions définies aux articles L 8221-3 (travail dissimulé par dissimulation d’activité) et L 8221-5 du code du travail (travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié)
● Suppression des mesures d’exonération
Le bénéfice de toute mesure de réduction ou d’exonération, totale ou partielle, de cotisations de sécurité sociale, de contributions dues aux organismes de sécurité sociale ou de cotisations ou contributions est supprimé (sauf lorsqu’elle représente une proportion limitée de l’activité ou des salariés régulièrement déclarés) en cas de constat des infractions mentionnées aux 1° à 4° de l’article L 8211-1 du code du travail (soit dans le cadre du travail illégal : le travail dissimulé, le marchandage, le prêt illicite de main-d’œuvre, l’emploi d’étranger non autorisé à travailler) (CSS art L 133-4-2)
● Solidarité financière
Annulation des réductions ou exonérations des cotisations ou contributions dont le donneur d’ordre a bénéficié au titre des rémunérations versées à ses salarié dans le cadre de la solidarité financière (CSS art L 133-4-5), lorsque le donneur d’ordre n’a pas rempli l’une des obligations définies à l’article L 8222-1 du code du travail (travail dissimulé)

La situation peut être ainsi résumée dans le tableau ci-après  :

Situation Références Mentions
Dispense d’envoi d’un avis de contrôle CSS art R 243-59 I al 2 Recherche des infractions aux interdictions mentionnées à l’article L 8221-1 du code du travail (travail dissimulé)
Entretien de fin de contrôle Charte du cotisant contrôlé  Exclu en cas de constat de travail dissimulé
Durée du contrôle CSS art L 243-13 Exclu en cas de travail dissimulé, défini aux articles L 8221-3 (travail dissimulé par dissimulation d’activité) et L 8221-5 du code du travail (travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié).
Prolongation de la Période contradictoire CSS art L 243-7-1 A Exclu en cas d’ infractions mentionnées à l’article L 8211-1 - 1° à 4° du code du travail soit le travail dissimulé, le marchandage, le prêt illicite de main-d’œuvre, l’emploi d’étranger non autorisé à travailler
Décision implicite d’accord Cass civ. 2°. 4 avril 2019 pourvoi n° 18-13786 Exclu en cas de travail dissimulé
Attestation de vigilance CSS art D 243-15 Exclu en cas de verbalisation pour travail dissimulé 
Auditions (avec le consentement des intéressés) C trav art L 8271-6-1 Applicable en cas de travail illégal (renvoi aux articles L 8271-1-2 et L 8271-1 du Code du travail)
Auditions dans le cadre d’un contrôle d’assiette CSS art R 243-59 II al 5
Procédure contradictoire (référence au document préparatoire) CSS art R 243-59 III al 2 s En cas de travail illégal
Majorations de retard CSS art L 243-7-7 En cas de travail dissimulé, concerne les infractions définies aux articles L 8221-3 (travail dissimulé par dissimulation d’activité) et L 8221-5 du code du travail (travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié)
Redressement forfaitaire CSS art L 242-1-2 concerne les infractions définies aux articles L 8221-3 (travail dissimulé par dissimulation d’activité) et L 8221-5 du code du travail (travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié)
Suppression des mesures d’exonération CSS art L 133-4-2 Applicable en cas de constat des infractions mentionnées aux 1° à 4° de l’article L 8211-1 du code du travail (soit dans le cadre du travail illégal : le travail dissimulé, le marchandage, le prêt illicite de main-d’œuvre, l’emploi d’étranger non autorisé à travailler)
Solidarité financière (annulation des réductions ou exonérations des cotisations ou contributions) CSS art L 133-4-5 Applicable lorsque le donneur d’ordre n’a pas rempli l’une des obligations définies à l’article L 8222-1 du code du travail (travail dissimulé)

Sans nul doute, le juriste peine à assimiler les raisons de ces subtilités… ! Quant au cotisant, il ne les comprend guère… ! Finalement, ne reviendrait-il pas aux pouvoirs publics de rendre la matière plus simple, plus compréhensible et plus protectrice des droits des cotisants ?

François Taquet, Professeur de Droit social (IESEG, Skema BS), Avocat, spécialiste en Droit du travail et protection sociale, Directeur scientifique du réseau d’avocats GESICA Michelle Amante, Avocate au Barreau de Lyon, Délégué Régional du Réseau d’Avocats GESICA