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Représentation du personnel et Covid 19 : ce qui change avec l’Ordonnance du 1er avril 2020. Par Frédéric Chhum, Avocat et Claire Chardès, Juriste.
Parution : mercredi 8 avril 2020
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L’ordonnance du 1er 2020 n° 2020-389 [1] est venue préciser les modalités d’organisation des élections professionnelles en ces temps de crise sanitaire, mais également le devenir des délais et voies de recours en cas de contestation relative prévues dans le cadre de ces mêmes élections, ou encore les paramètres de protection des représentants du personnel dont le mandat est prolongé.

1. L’organisation des élections professionnelles et la suspension des délais.

1.1. La suspension du processus électoral.

L’article 1 de l’ordonnance prévoit la suspension du processus électoral engagé par l’employeur tel que prévu à l’article L. 2314-4 du Code du travail. Le processus est en effet suspendu « à compter du 12 mars 2020 » et jusqu’à « trois mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire ». [2]

En revanche, pour les employeurs qui, « entre la date d’entrée en vigueur de la présente ordonnance et la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire », ou avant même la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance, étaient déjà soumis à l’obligation d’engager le processus électoral, ceux-ci devront le faire « dans les trois mois qui suivent la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire ». [3]

Cette suspension implique la suspension de différents délais impartis dans le cadre de l’organisation des élections professionnelles, tels que : [4]

• Le délai de 90 jours dans lequel le premier tour des élections doit se tenir, et qui commence à courir à compter de la diffusion, par l’employeur, de ce que les élections professionnelles vont avoir lieu [5] ;

• Le délai de deux mois avant l’expiration du mandat des délégués en exercice dans lequel les organisations syndicales doivent être invitées à négocier le protocole d’accord pré-électoral, le délai de quinze jours avant l’expiration de ces mêmes mandats dans lequel le premier tour doit avoir lieu, le délai minimum de quinze jours qui doit séparer l’invitation à négocier et le jour de la première réunion de négociation, et enfin, pour les entreprises de 11 à 20 salariés, le délai de 30 jours dans lequel l’employeur doit inviter les organisations syndicales à négocier l’accord, qui court à compter du moment où l’employeur annonce la tenue des élections [6] (L. 2314-5) ;

• Le délai d’un mois dans lequel le processus électoral doit être engagé par l’employeur lorsque cela a été demandé par un salarié ou une organisation syndicale [7] ;

• Le délai maximal de quinze jours qui sépare les deux tours des élections professionnelles [8].

1.2. La suspension des délais de contestation et de décision.

Par ailleurs, cette suspension concerne également « les délais dans lesquels l’autorité administrative et le juge judiciaire doivent être saisis d’éventuelles contestations » [9].

Ainsi, cela concerne :
• le délai de quinze jours dans lequel les « organisations syndicales représentatives dans l’entreprise et les organisations syndicales ayant constitué une section syndicale dans l’entreprise », ou le cas échéant, le CSE doit contester la décision de l’employeur relative à la détermination du nombre et du périmètre des établissements distincts devant la DIRECCTE [10] ; (R. 2313-1)

• le délai de quinze jours dans lequel les organisations syndicales, ou selon le cas, le CSE, peuvent saisir le tribunal d’instance afin de contester la décision de la DIRECCTE, implicite ou non, quant à cette même détermination du nombre et du périmètre des établissements distincts de l’entreprise [11] ;

• les délais applicables quant à la problématique ci-avant énoncée, lorsqu’il existe une unité économique et sociale [12] ;

• le délai de 15 jours imparti aux fins de contester la décision afférente à la « répartition du personnel dans les collèges électoraux et la répartition des sièges entre les différentes catégories de personnel » [13].

Les « délais dont dispose l’autorité administrative pour se prononcer » lorsqu’elle est saisie d’une des demandes ci-avant mentionnées sont également suspendus.

De plus, « lorsque l’autorité administrative a été saisie après le 12 mars 2020 » de ces mêmes contestations, "le délai dont elle dispose pour se prononcer commence à courir à la date de fin de la suspension du processus électoral mentionnée au premier alinéa".

En d’autres termes, les délais dans lequel l’administration doit se prononcer recommencera à courir à l’issue des trois mois qui suivront la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.

Le même sort est réservé aux délais de contestation de la décision de l’autorité administrative, lorsque celle-ci « s’est prononcée après le 12 mars 2020 ».

Enfin, lorsque l’une des formalités a été exécuté, entre le 12 mars 2020 et la parution de l’ordonnance, conformément aux dispositions sur l’organisation des élections professionnelles (annonce de l’organisation des élections, invitation à négocier le protocole d’accord pré-électoral, ou encore déclenchement de la nécessité d’organiser des élections partielles), la suspension prend effet « à compter de la date la plus tardive à laquelle il a été fait application de l’une de ces dispositions ».

1.3. La régularité maintenue des scrutins ayant eu lieu.

La présente ordonnance n’a aucun impact sur la régularité du premier ou du second tour qui se serait déjà déroulé, y compris si celui-ci a eu lieu entre le 12 mars 2020 et la parution de l’ordonnance.

Aussi, les conditions d’électoral et d’éligibilité prévues par le Code du travail « s’apprécient à la date d’organisation de chacun des tours du scrutin ».

Enfin, les « processus électoraux suspendus ou reportés » en application de la présente ordonnance ne sont pas impactés par l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 [14].

1.4. La dispense d’organisation des élections partielles.

L’ordonnance prévoit que « lorsque le mandat des membres de la délégation du personnel du comité social et économique expire moins de six mois après la date de fin de la suspension du processus électoral mentionnée au premier alinéa de l’article 1er, il n’y a pas lieu à l’organisation d’élections partielles, que le processus électoral ait été engagé ou non avant ladite suspension » [15].

2. La prorogation des mandats.

Lorsqu’il y a des mandats en cours à la date du 12 mars 2020, et que ceux-ci ne sont pas renouvelés « en raison de la suspension ou du report du processus électoral », alors ceux-ci sont prorogés jusqu’à la proclamation des résultats des prochaines élections [16].

De fait, les dispositifs de protection contre la rupture du contrat de travail prévues par le Code du travail (licenciement, rupture du CDD, interruption ou non renouvellement d’une mission de travail temporaire) sont également maintenus pendant la durée de la prorogation des mandats.

3. L’organisation de réunion à distance.

Sous réserve d’en avoir informé les membres du CSE et CSE central, et pour l’ensemble des réunions de ces derniers, le recours à la visioconférence est autorisé. Aussi, l’utilisation de la visioconférence est permise « pour l’ensemble des réunions des autres instances représentatives du personnel » [17].

Le Code du travail prévoit ordinairement qu’il n’est possible d’y recourir que trois fois par année civile ; cette limitation est mise de côté pendant la période de l’état d’urgence sanitaire.

Selon la même condition d’information préalable des membres du CSE, il est également possible de recourir à la conférence téléphonique.

En revanche, le recours à la messagerie instantanée, est possible, seulement dans l’une des deux hypothèse suivante :
– lorsque le recours à la visioconférence n’est pas possible,
– lorsque cela est prévu par accord d’entreprise.

4. L’élargissement de l’obligation d’information du CSE.

L’ordonnance vient enrichir l’ordonnance parue le 25 mars 2020 (n° 2020-323), en prescrivant l’obligation pour l’employeur d’informer et de recueillir l’avis du CSE dès lors qu’il use des dispositions dérogatoires en matière de congés payés, par exemple [18] .

L’obligation d’informer et de recueillir l’avis du CSE est également et désormais prescrite en cas de recours aux dispositions portant modification des durées maximales de travail et temps de repos.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum