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La responsabilité de l’agence de tourisme en cas de retard ou d’annulation de vol. Par Anaïs Escudié et Guilhem Della Malva, Juristes.
Parution : mardi 7 avril 2020
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La réservation d’un vol via une agence de voyage est une pratique fréquente, que ce soit en « vol sec » ou dans le cadre d’un forfait touristique C’est un service intéressant pour les passagers, qui n’ont pas à effectuer de longues recherches auprès de différentes compagnies pour trouver le meilleur vol, et peut être également les meilleurs hôtels au meilleur prix sur les dates les plus intéressantes pour eux. Cette situation peut cependant porter à confusion : à qui s’adresser en cas de retard ou d’annulation de son vol pour obtenir une compensation ou un remboursement ?

Responsabilité de l’agence de voyage selon la loi française.

Parmi les dispositions du Code du Tourisme, on retrouve notamment l’article L.211-16. D’après cet article, “le professionnel qui vend un forfait touristique […] est responsable de plein droit de l’exécution des services prévus par ce contrat, que ces services soient exécutés par lui-même ou par d’autres prestataires de services de voyage“. L’article est clair : si l’une des prestations du contrat (le transport ou un autre service) n’est pas correctement effectuée, le professionnel (dans notre cas, l’agence de tourisme) engage sa responsabilité de plein droit devant le voyageur, son client.

Le but de cet article est d’offrir une protection élevée au voyageur qui paie une somme importante pour des services multiples. La mauvaise exécution de l’un de ses services, dont le transport en avion, signifie que le contrat entier n’a pas été correctement effectué et le passager a donc le droit de réclamer une compensation. Afin d’éviter au voyageur de devoir s’adresser à de multiples interlocuteurs et de simplifier sa démarche de réclamation, la loi prévoit donc que le voyageur peut n’adresser ses réclamations qu’à l’agence de tourisme, qui le compensera et pourra se retourner ultérieurement contre le prestataire qui n’a pas ou a mal exécuté son obligation.

Une chose à remarquer : l’article L.211-16 prévoit explicitement que cette responsabilité n’existe que dans les cas de forfait touristique. Dans le cas du retard ou de l’annulation d’un vol sec réservé via une agence de voyage, celle-ci n’est pas responsable ni du remboursement des billets, ni d’une indemnisation des passagers.

État de la jurisprudence française et européenne.

Dans un arrêt du 8 mars 2012 (11-10.226), la Cour de Cassation a précisé que lorsqu’un passager engage la responsabilité d’une agence de voyage, il ne peut pas invoquer le règlement européen contre celle-ci. En effet, le règlement européen ne donne d’obligations qu’aux compagnies aériennes, pas aux agences. Cette solution a été en partie reprise par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), dans une décision [1] du 26 mars 2020 [2]. Il est ainsi affirmé que le passager d’un vol retardé ou annulé peut réclamer une indemnisation non pas contre l’agence de voyage, mais contre la compagnie aérienne. Et ce, même si le passager et la compagnie n’ont pas conclu de contrat entre eux et que le vol en cause fait partie d’un voyage à forfait.

Dans deux arrêts le 27 juin 2018 [3] et l’autre le 11 juillet 2018 [4], les juges de la première chambre civile de la Cour de Cassation ont cependant confirmé que l’agence de voyage était, dans le cas d’un forfait touristique, responsable de la bonne exécution du transport des voyageurs. Ceci signifie qu’en cas de vol retardé ou annulé, les passagers peuvent exiger une réparation du préjudice subi à l’agence de voyage. Et ce, bien qu’elle n’ait pas provoqué la perturbation de son propre fait.

Il faut tirer la conclusion suivante de ces décisions : lorsqu’il s’adresse à son agence de tourisme, un voyageur ne peut réclamer d’indemnité forfaitaire telle que celle donnée par le règlement européen. Celle-ci reste responsable de plein droit de la bonne exécution du contrat, et devra compenser son client si celui-ci apporte la preuve du préjudice subi et des justificatifs pour le montant réclamé à titre de réparation. Il faudra donc se référer aux mécanismes classiques.

La CJUE s’est également exprimée sur le sujet du remboursement du billet d’avion. Le remboursement se distingue de l’indemnisation : le premier revient à rendre son argent à celui qui paie pour un service qui n’a finalement pas été exécuté ; la seconde est une compensation due après un préjudice subi, comme le retard d’un vol. Dans un arrêt [5] du 10 juillet 2019, la CJUE a affirmé que le remboursement d’un billet, suite à l’annulation d’un vol réservé dans le cadre d’un forfait touristique doit être réclamé à l’agence de voyage, et pas à la compagnie.

Voyage annulé dans le cadre de la pandémie de Covid-19.

Une grande partie des voyages prévus avant l’été ont été annulés du fait du confinement d’une majeure partie de la population mondiale en lien avec la crise du Covid19. Les agences de voyage sont donc extrêmement touchées par cette situation, et voient leur trésorerie se détériorer très rapidement. De très nombreux clients souhaitent exercer, au même moment, leur droit au remboursement des frais payés aux voyagistes, alors que la plupart des compagnies aériennes ne remboursent pas les vols. Dans ce contexte, et seulement concernant les réservations de forfaits touristiques, le gouvernement a choisi de protéger les agences de voyages grâce à l’ordonnance n° 2020-315 du 25 mars 2020. [6]

Les agences de voyages peuvent, plutôt que de rembourser immédiatement leurs clients qui ont réservé un forfait touristique, leur proposer un avoir valable sur une future réservation, sur une durée d’au-moins 18 mois. Les voyagistes n’ont donc plus l’obligation de rembourser immédiatement les passagers concernés. Il faut noter que cet avoir, s’il n’est pas utilisé par le client, est remboursable à l’issue de cette période de 18 mois.

Anaïs Escudié, Présidente de RetardVol et Guilhem Della Malva, Juriste expert chez RetardVol

[1Libuše Králová contre Primera Air Scandinavia A/Shttps://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/premiere_chambre_civile_568/273_8_22471.html

[2aff. C‑215/18

[317-14.051

[417-17.823

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