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Comment prouver la discrimination dans le cadre des relations de travail ? (1ère partie) Par Pierre Blexmann, Avocat.
Parution : mercredi 8 avril 2020
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La promotion de l’Égalité n’est certes pas nouvelle puisque le premier article de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 disposait déjà que « les hommes et femmes naissent et demeurent libres et égaux en droits ».

Mais les atteintes au principe constitutionnel sont protéiformes, partout et intemporelles.

Plus qu’un effet de mode, la lutte contre les discriminations se doit donc d’être polymorphe, audacieuse et évolutive.

Depuis le 1er mai 2008, la prohibition de toute discrimination dans le cadre des relations de travail est codifiée à l’article L. 1132-1 du Code du travail.

Est visée par l’interdiction toute situation dans laquelle une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre dans une situation objectivement comparable.

L’article susvisé énumère les motifs suivants de discrimination :
-  l’origine,
-  le sexe,
-  les mœurs,
-  l’orientation sexuelle,
-  l’identité de genre,
-  l’âge,
-  la situation de famille,
-  la grossesse,
-  les caractéristiques génétiques,
-  la particulière vulnérabilité résultant de la situation économique, apparente ou connue de son auteur,
-  l’appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race,
-  les opinions politiques,
-  les activités syndicales ou mutualistes,
-  l’exercice d’un mandat électif local,
-  les convictions religieuses,
-  l’apparence physique, le nom de famille,
-  le lieu de résidence ou la domiciliation bancaire,
-  l’état de santé, la perte d’autonomie ou le handicap,
-  la capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français.

La présente liste est régulièrement enrichie par le législateur.

Un traitement inégal fondé sur l’un de ces motifs est illicite de jure car ils reposent tous sur une appréciation subjective de la personne visée par la discrimination.

Pour autant, la généralité du principe de l’interdiction semble induire que la liste n’est pas exhaustive, contrairement à celle prévue à l’article 225-1 du Code pénal figée au nom du principe de l’application stricte de la loi pénale.

Les deux listes ne sont d’ailleurs pas tout à fait identiques puisque les motifs tirés de l’exercice d’un mandat électif local et de la domiciliation bancaire sont expressément prohibés par le Code du travail et non par le Code pénal.

Si le caractère illégal de la discrimination sous toutes ses formes est désormais bien ancré dans l’esprit de tous, la réelle difficulté réside dans l’administration de sa preuve.

Les situations discriminatoires et a fortiori le harcèlement discriminatoire ont en effet comme particularité d’être dissimulé(e)s dans leur immense majorité, à l’exception de rares cas de discrimination flagrante, voire ostensible, qui relèvent autant du droit que de la psychiatrie.

Je me souviens notamment d’une cliente qui avait sollicité mon assistance après avoir vu son salaire réduit à 80 % suite à l’annonce de sa grossesse, son employeur ayant été jusqu’à revendiquer ladite « sanction » pour l’avoir mis en situation délicate vis-à-vis de sa clientèle…

Lorsque la discrimination est moins visible, le premier obstacle vient souvent de la victime elle-même qui doit tout d’abord accepter qu’elle en est la cible.

Pour faciliter cette prise de conscience, le législateur a organisé un système de preuve allégé.

Un système de preuve allégé.

L’article L. 1134-1 du Code du travail dispose en effet que toute personne qui s’estime victime d’une discrimination doit présenter devant la juridiction saisie « des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte ».

La partie défenderesse devra alors justifier que la mesure ou la situation dénoncée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

En cas de doute, le juge penchera en faveur de la victime si celle-ci est salariée, ce qui est le cas dans la grande majorité des cas de discrimination [1].

En pratique, cela revient à demander à la victime de procéder à une démonstration en deux étapes :

1. Pointer les éléments qui pourraient s’analyser comme des mesures discriminatoires telles que le figement d’un coefficient, une évaluation défavorable ou une sanction inappropriée,

Puis,

2. Corréler la survenance de ces éléments factuels avec l’existence d’une des situations visées par la loi telles qu’une grossesse, une activité syndicale ou un état de santé dégradé par exemple.

La Cour de cassation considère que la concomitance de ces éléments de fait avec un des motifs légaux de discrimination permet en effet de faire présumer une discrimination.

Notamment dans un arrêt de 2009 [2], la Haute Juridiction a établi que tous les éléments de fait apportés par le Demandeur, à savoir les comptes-rendus de ses entretiens d’évaluation, les notifications de ses sanctions disciplinaires, la preuve de la tentative avortée de son licenciement et les bulletins de paie de plusieurs de ses collègues, démontraient qu’il était le seul à ne pas avoir changé de coefficient en douze ans.

Cette vue d’ensemble était de nature de faire naître une présomption de discrimination syndicale que l’employeur n’avait pas été en mesure de justifier objectivement.

Dès lors, la Cour de cassation avait censuré l’arrêt d’appel qui avait rejeté la demande du salarié au motif qu’il ne prouvait pas la discrimination dont il s’estimait victime.

Il en résulte d’une part que les dispositions légales n’exigent pas que la victime prouve la discrimination et, d’autre part, que tous les éléments de fait versés aux débats doivent être pris en compte par le juge pour former son intime conviction [3].

Pour autant, il convient de préciser que la présomption d’une situation ou d’un harcèlement discriminatoire n’est ni un blanc-seing donné à la supposée victime ni l’interdiction absolue pour le présumé harceleur d’exercer son pouvoir hiérarchique de contrôle et de sanction.

Ainsi, si par exemple le licenciement d’une salariée en état de grossesse médicalement constaté est nul par principe, l’employeur peut toutefois rompre le contrat s’il justifie d’une faute grave de l’intéressée non liée à son état de grossesse ou de l’impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l’accouchement [4] [5].

À charge pour l’employeur de prouver la faute grave.

Pierre Blexmann Avocat à la Cour

[1article L. 1235-1 du Code susvisé

[2Cass. soc. 30 avr. 2009, n° 06-45.939, arrêt n° 913 FS-P+B

[3Cass. soc. 24 septembre 2008, n° 06-45.579, JSL 27 oct. 2008, n° 242-2

[4article L. 1225-4 du Code du travail

[5CJCE, 4 octobre 2001, Maria-Luisa Jimenez Melgar