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Les modifications procédurales récentes de l’expropriation pour cause d’utilité publique. Par Christophe Degache, Avocat.
Parution : vendredi 10 avril 2020
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Le Code de l’expropriation qui avait été modifié en faisant l’objet d’une nouvelle codification le 1er janvier 2015 vient de connaître avec l’entrée en vigueur des décrets des 11 et 20 décembre 2019 de nouvelles modifications substantielles qui impactent d’ailleurs l’ensemble du droit positif français.

L’article L 1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique dispose : « L’expropriation, en tout ou partie, d’immeubles ou de droits réels immobiliers ne peut être prononcée qu’à la condition qu’elle réponde à une utilité publique préalablement et formellement constatée à la suite d’une enquête et qu’il ait été procédé, contradictoirement, à la détermination des parcelles à exproprier ainsi qu’à la recherche des propriétaires, des titulaires de droits réels et des autres personnes intéressées. Elle donne lieu à une juste et préalable indemnité. ».

Cet article pose le cadre général et habituel de l’utilisation de la procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique.

Cette procédure qui touche à un droit fondamental de l’individu, constitutionnellement protégé le droit de propriété, est strictement encadrée.

Cette procédure vient encore de connaître récemment des changements majeurs qui bouleversent la pratique.

Cette schizophrénie législative conduit à poser les repères suivants.

I- La représentation obligatoire.

Le décret n°2019-1333 du 11 décembre 2020 entré en vigueur le 1er janvier instaure le principe de la représentation obligatoire par avocat.

L’article R 311-9 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique dispose à présent :

« Les parties sont tenues de constituer avocat. L’Etat, les régions, les départements, les communes et leurs établissements publics peuvent se faire assister ou représenter par un fonctionnaire ou un agent de leur administration ».

Ce texte pose sans l’avouer clairement une distinction entre expropriés et expropriants. En effet, les personnes exonérées du ministère d’avocat et des coûts afférents à celui-ci sont clairement les autorités expropriantes à savoir les collectivités publiques détentrices du pouvoir d’expropriation au nom de l’utilité publique.

Les esprits chagrins verront dans cette modification fondamentale une régression des droits tendant à empêcher l’exproprié de faire valoir ses droits faute de moyens pour pouvoir payer un avocat. Cette absence de représentation d’une partie aura dans l’esprit non avoué du législateur pour effet d’accélérer la procédure (faute de combattant), de minorer le coût de l’acquisition foncière (faute de demande d’indemnisation supérieure) et de désengorger les juridictions (faute de saisine du juge par l’exproprié).

Les esprits positifs dont le législateur doit immanquablement faire partie, y verra une augmentation de la garantie des droits du justiciable qui sera obligatoirement assisté d’un avocat (en théorie).

L’hypocrisie législative ou l’incompétence législative, c’est selon génère d’autres impacts procéduraux importants.

II- La procédure accélérée.

Au titre du régime général, le décret du 20 décembre 2019 crée un article 481-1 au sein du code de procédure civile instaurant la procédure accélérée et abroge l’article 492-1 du code de procédure civile qui prévoyait une procédure en la forme des référés en cas d’urgence.

La procédure accélérée au fond ne doit pas être confondue avec une procédure de référés dont le résultat est par essence provisoire. Elle remplace la procédure dite en la forme des référés.

Le décret du 20 décembre 2019 relatif à la procédure accélérée au fond devant les juridictions judiciaires modifient les articles R231-1, R311-23 et R423-10 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, ces dispositions sont notamment utilisées pour expulser un occupant sans droit ni titre de l’immeuble exproprié.

Il s’agit essentiellement d’un changement sémantique qui ne perturbera pas la pratique.

III- L’exécution provisoire de droit.

L’article 514 du code de procédure civile a également été modifié par le décret du 11 décembre 2019.

Il dispose à présent.

« Lorsqu’il est prévu par la loi que l’exécution provisoire est facultative, elle peut être ordonnée, d’office ou à la demande d’une partie chaque fois que le juge l’estime nécessaire et compatible avec la nature de l’affaire.

Elle peut être ordonnée pour tout ou partie de la décision. ».

Ces dispositions s’appliquent aux instances introduites devant les juridictions de 1erdegré à compter du 1er janvier 2020.

Cela implique que si la loi ne prévoit pas expressément que l’exécution provisoire est facultative

En matière d’expropriation, l’autorité expropriante peut prendre possession du bien exproprié dans le délai d’un mois après le paiement de la somme fixée par le juge de l’expropriation.

Ainsi concrètement, une procédure d’appel durant entre un an et un an et demi ce malgré les efforts du législateur pour réduire les droits d’appel des justiciables, l’exproprié voulant contester l’indemnisation de son bien qu’il juge trop faible se verra déposséder de celui-ci bien avant que la décision d’appel soit rendue, ce qui aura sans doute pour conséquence de le dissuader de former appel.

Il s’agit là d’une restriction forte des droits de l’exproprié.

Il est trop tôt pour faire un bilan de ces évolutions procédurales mais celles-ci semblent s’inscrire dans un mouvement défavorable aux expropriés dont le salut viendra sans doute du juge européen.

Christophe Degache Avocat au Barreau de la Haute-Loire DEA Droit public [->christophe.degache@bbox.fr]