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Comment évaluer la perte de revenus de la victime de la route qui travaillait avant son accident ? Par Michel Benezra, avocat.
Parution : samedi 11 avril 2020
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La nomenclature « Dintilhac » vise à indemniser les préjudices de la victime de l’accident et celui visant les pertes des revenus de la victime est l’un des plus importants. Le poste "PGPF" permet alors l’indemnisation des pertes de gains professionnels futurs de la victime de la route, après sa consolidation. Mais, comment l’évalue t-on ?

I/ Les pertes de revenus de la victime qui travaillait avant son accident.

Les enjeux de la fixation de la date de consolidation ont déjà été abordés dans un autre article, mais rappelons que c’est le moment « où le caractère permanent de l’incapacité s’affirme » et en conséquence, devient le point de départ du versement d’indemnités.

En pratique, les pertes de gains professionnels futurs ou PGPF vont être calculés par l’avocat de la victime de la route.

Nous allons considérer pour cet article que la victime exerçait une activité professionnelle avant l’accident : salariés ou non-salariés, professions libérales, commerçants, artisans, agriculteurs, etc..

En effet, une difficulté va surgir, dans les cas où la victime ne travaillait pas avant l’accident soit parce qu’elle était sans profession avant l’accident (personnes néanmoins en capacité de travailler) soit parce qu’elles ne travaillaient pas (mère ou père au foyer, chômage courte ou longue durée, etc.) ou les enfants, étudiants [1].

L’avocat intervenant en réparation du dommage corporel va ensuite, déterminer le "manque à gagner" de la victime, en calculant la différence entre les deux revenus ci-avant mentionnés.

Attention :
° L’avocat ne manquera pas d’actualiser selon un indice de revalorisation, le jour de la liquidation des préjudices.
° L’avocat imputera le recours des tiers payeurs qui doit impérativement être réalisé « poste par poste » sauf préjudices à caractère personnel : pensions d’invalidité [2], rente accident du travail [3].

II/ Les pertes de revenus de la victime sont sous le contrôle de la cour de cassation : [4]

Le juge ne peut pas aller au-delà des demandes des parties.

Dans ce cas d’espèce, une victime d’un accident de la circulation assignent le responsable et son assureur en indemnisation de ses préjudices corporels. La cour d’appel d’Aix-en-Provence, en 2015, condamne l’assureur à indemniser la victime de la route de ses préjudices corporels.

La victime accidentée obtient alors une indemnisation au titre de ses pertes de gains professionnels futurs (PGPF) après sa consolidation (perte de ses revenus après consolidation) mais cette indemnisation n’a pas été imputée, de la rente accident du travail de l’assurance maladie, comme le demandait l’avocat de la victime.

La cour d’appel en voulant corriger le « tir » et donc, l’argumentation de l’avocat, a statué ultra-petita, ce que la Cour de cassation n’a pas manqué de sanctionner.

« Qu’en statuant ainsi, alors que Mme X…réclamait au titre du poste de préjudice des pertes de gains professionnels futurs une somme correspondant à cette perte de revenus après déduction du montant de la rente, la cour d’appel, qui a modifié les termes du litige, a violé les textes susvisés ».

III/ Les pertes de revenus de la victime sous le pouvoir d’appréciation des juges du fond : [5] :

Les juges du fond disposent bien d’un pouvoir souverain pour apprécier les éléments de référence pour déterminer les pertes de revenus ou PGPF des victimes.

Dans ce cas d’espèce, un infirmier libéral, a été victime en 2006 d’un accident de la circulation alors qu’il était passager d’un véhicule assuré chez Groupama Méditerranée (l’assureur).

Après expertise, la victime accidentée a assigné l’assureur en indemnisation de ses préjudices, en présence de la Caisse autonome de retraite et de prévoyance des infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, pédicures-podologues et orthophonistes (la CARPIMKO) et de la caisse primaire d’assurance maladie des Alpes de Haute-Provence.

(…)Ayant relevé que M. J… avait été contraint du fait de l’accident d’abandonner son métier d’infirmer libéral et constaté qu’il ne pourrait plus l’exercer, c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation de l’étendue de sa perte de gains professionnels futurs et des modalités propres à en assurer la réparation intégrale, que la cour d’appel, sans se baser sur un revenu ou une durée d’exercice professionnel hypothétiques, a estimé que les revenus de M. J… au jour de l’accident étaient équivalents au montant des indemnités journalières versées par la CARPIMKO au titre de son activité libérale, puis, constatant qu’il s’était installé comme infirmier libéral depuis très peu de temps avant l’accident, a retenu que sa perte de gains professionnels futurs devait être calculée en fonction de ses revenus au jour de l’accident en intégrant une progression raisonnable moyenne de son activité correspondant à un revenu annuel 2,1 fois supérieur, (…)

La Cour de cassation a considéré par cet attendu que la cour d’appel a réalisé une appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve débattus devant elle et sans se fonder sur des revenus hypothétiques pour calculer la perte de revenus de l’infirmier.
La Cour d’appel s’est bien fondée sur une évolution logique et habituelle de la profession d’infirmier (nouvelle certes) mais constituant bien un préjudice certain et non hypothétique.

Aussi sur le fondement de la réparation sans perte ni profit, chaque victime peut apporter les éléments de référence qu’elle souhaite pour justifier sa perte de revenu, après consolidation.

Ce cas d’espèce est intéressant puisque l’infirmier libéral venait tout juste de se mettre à son compte avant d’avoir son accident et la Cour de cassation n’a pas sanctionné la cour d’appel qui n’a pas souhaité se fonder sur la moyenne classique des 6 derniers mois de référence pour établir les anciens revenus de la victime.

Michel Benezra, avocat associé BENEZRA AVOCATS Droit Routier & Dommages corporels info@benezra.fr / 01.45.24.00.40 https://www.benezra-victimesdelaroute.fr

[2article L341-1 Code de la Sécurité Sociale

[3article L434-1 Code de la Sécurité Sociale