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Le point sur le télétravail. Par Cécile Villié, Avocat.
Parution : lundi 13 avril 2020
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De plus en plus d’entreprises et de salariés optent pour la pratique du télétravail. En effet, selon une étude réalisée en 2019 par Malakoff Médéric-Humanis, les télétravailleurs représentent dorénavant 29 % de l’effectif des entreprises de plus de dix salariés, soit 5,2 millions de personnes.

Le télétravail est régi par les articles L.1222-9 à L.1222-11 du Code du travail modifiés par l’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017 et par la loi 2018-217 du 29 mars 2018.

Il est défini comme « toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication.  » [1].

Ainsi, en fonction du poste occupé, tous les salariés ne peuvent prétendre au statut de télétravailleur.

En outre, il est important de ne pas confondre le télétravail et le travail à domicile, ce dernier étant régi par les articles L.7412-1 et suivants du code du travail.

I) La mise en place du télétravail :

Il existe trois modalités de mise en œuvre du télétravail :
o Par accord collectif (branche, entreprise, établissement, groupe) ;
o Par une charte élaborée par l’employeur après avis du Comité Social Economique (CSE) s’il existe ;
o Par un accord entre l’employeur et le salarié.
Un employeur ou un salarié ne peut donc pas imposer le télétravail.

a) Par accord collectif ou charte.

Cet accord doit être conclu selon les conditions de droit commun. Il doit donc être signé :

o Soit par un ou plusieurs syndicats représentatifs ayant recueilli, seul ou ensemble, au moins 50 % des suffrages exprimés en faveur d’organisations représentatives au premier tour des dernières élections des titulaires du CSE ;
o Soit par des syndicats représentatifs ayant recueilli, seul ou ensemble, plus de 30 % de ces suffrages et être approuvé par la majorité des salariés.

L’accord collectif ou la charte doivent comporter :

• Les conditions de passage en télétravail, en particulier, en cas d’épisode de pollution mentionné à l’article L. 223-1 du code de l’environnement ;
• Les conditions de retour à une exécution du contrat de travail sans télétravail ;
• Les modalités d’acceptation par le salarié des conditions de mise en œuvre du télétravail ;
• Les modalités de contrôle du temps de travail ou de régulation de la charge de travail ;
• La détermination des plages horaires durant lesquelles l’employeur peut habituellement contacter le salarié en télétravail ;
• Les modalités d’accès des travailleurs handicapés à une organisation en télétravail, en application des mesures prévues à l’article L. 5213-6 du code du travail.

b) Accord entre l’employeur et le salarié.

Le télétravail doit provenir de la volonté du salarié. Il peut être mis en place dès l’embauche ou ultérieurement.
En l’absence de charte ou d’accord collectif, le salarié et l’employeur formalisent par tout moyen leur accord de recourir au télétravail. Il est toutefois recommandé de formaliser cet accord par écrit et d’en conserver la preuve.

Par ailleurs, en l’absence de charte ou d’accord collectif, l’employeur peut, en principe, refuser toute demande de passage en télétravail sans avoir à motiver son refus.

II) Droits et obligations.

Le télétravailleur a les mêmes droits et obligations que le salarié travaillant dans les locaux de l’entreprise.

En revanche, outre les obligations de droit commun, l’employeur possédera d’autres obligations vis-à-vis du télétravailleur.

a) Obligations de l’employeur.

L’employeur doit informer le salarié en télétravail des restrictions à l’usage d’équipements informatiques ou de services de communication électronique et des sanctions en cas de non-respect.

Il doit également permettre la réversibilité du télétravail et donner au télétravailleur la priorité pour occuper ou reprendre un poste sans télétravail qui correspond à ses qualifications et compétences professionnelles et de porter à sa connaissance la disponibilité de tout poste de cette nature.

L’employeur doit organiser chaque année un entretien portant notamment sur les conditions d’activité et la charge de travail du télétravailleur.

En outre, l’employeur doit respecter la vie privée du salarié. Si un moyen de surveillance est mis en place, il doit être pertinent et proportionné à l’objectif poursuivi et le télétravailleur doit en être informé.

Il doit également prévenir l’isolement du télétravailleur par rapport à sa hiérarchie et aux autres salariés.

L’article L.1222-10 du Code du travail issu de l’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017 ne prévoit plus que l’employeur doit prendre en charge tous les coûts découlant directement de l’exercice du télétravail, notamment le coût des matériels, logiciels, abonnements, communications et outils ainsi que de la maintenance de ceux-ci. Toutefois, l’employeur n’est pas dispensé de toute obligation.

En effet, l’obligation de prise en charge des frais professionnels est prévue sans restriction par la jurisprudence et celle-ci, de portée générale, devrait couvrir les télétravailleurs. La Cour de cassation estime également que si le salarié accède à la demande de l’employeur de travailler à son domicile, celui-ci doit l’indemniser de la sujétion constituée par l’utilisation d’une partie de son domicile pour les besoins de son activité professionnelle et prendre en charge les frais engendrés par cette utilisation [2].

De plus, si les salariés exerçant leur activité dans les locaux de l’entreprise bénéficient des titres-restaurant, les télétravailleurs doivent aussi en recevoir si leurs conditions de travail sont équivalentes. Ainsi, si leur journée est organisée en 2 vacations entrecoupées d’une pause réservée à la prise d’un repas, ils doivent recevoir un titre-restaurant. Toutefois, la Cour de cassation a admis que l’employeur prévoit une tarification différente en fonction de l’éloignement du lieu de travail par rapport au domicile des salariés [3].

b) Droits du salarié.

Le salarié doit bénéficier à son domicile d’un espace lui permettant de travailler dans de bonnes conditions. Il doit également veiller à ce que son installation électrique comporte une prise de terre et un disjoncteur aux normes ainsi qu’être équipé d’une ligne internet haut débit. Enfin, le salarié doit assurer son espace de travail. En pratique, il devra solliciter une extension de sa garantie d’assurance.

Le télétravailleur bénéficie de la même protection sociale que les autres salariés de l’entreprise.

De plus, l’accident survenu sur le lieu où est exercé le télétravail pendant l’exercice de l’activité professionnelle est présumé être un accident du travail.

Enfin, le refus du salarié d’accepter le télétravail n’est pas un motif de rupture de son contrat de travail.

c) Obligations du salarié.

Le télétravailleur est soumis aux mêmes obligations que le travailleur en entreprise, notamment au niveau des horaires de travail.

Le télétravailleur peut en pratique aménager son temps de travail plus librement que le travailleur en entreprise. Néanmoins, la législation sur la durée du travail et les règles concernant le décompte d’éventuelles heures supplémentaires doivent être respectées. L’employeur peut donc contrôler le temps de travail de son salarié. Les modalités de ce contrôle sont précisées dans l’accord collectif ou la charte sur le télétravail.

En cas d’absence d’accord collectif ou de charte dans l’entreprise, il sera nécessaire que le télétravailleur et l’employeur se mettent d’accord sur les modalités d’acceptation par le salarié des conditions de mise en œuvre du télétravail ainsi que sur les modalités de contrôle du temps de travail ou de régulation de la charge de travail.

Le non-respect de ces horaires par le télétravailleur peut entraîner un avertissement de la part de son employeur.

Par ailleurs, le respect des horaires fixés dans l’accord entre l’employeur et le salarié crée une obligation mutuelle. En effet, le salarié se doit d’être joignable et de travailler durant les horaires fixés et l’employeur se doit de respecter le droit à la déconnexion de son salarié.

En cette période d’épidémie de COVID-19, l’employeur peut imposer au salarié de télétravailler comme cela est recommandé par le gouvernement.

Cécile Villié en collaboration avec Pierre Launay avocat - droit du travail [->www.villie-avocat.com]

[1Article L.1222-9 alinéa 1er du Code du travail

[2Cass. soc., 7 avr. 2010, n° 08-44.865

[3Cass. soc., 22 janv. 1992, n° 88-40.938