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Le cadre juridique du sharenting. Par Blandine Poidevin, Avocat.
Parution : jeudi 16 avril 2020
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« Sharenting » expression anglo-saxonne associe deux mots : « sharing » qui signifie « partage » et « parenting ». Publier des photographies de ses enfants sur les réseaux sociaux est, en effet, devenu une pratique tellement courante qu’elle dispose d’un terme spécifique.
Un cadre juridique précis s’applique également.

Quid du droit à l’image de l’enfant et de l’exercice de l’autorité parentale ?

L’image est un des attributs de la personnalité. Selon la Cour de cassation, « Toute personne a sur son image et sur l’utilisation qui en est faite, un droit exclusif et peut s’opposer à sa diffusion sans son autorisation » [1].

Chacun a droit de s’opposer à l’utilisation ou à la diffusion de son image. L’utilisation ou la diffusion de l’image d’autrui suppose donc son consentement.

Lorsque la personne qui apparaît sur l’image est mineure, il est nécessaire de recueillir l’autorisation des titulaires de l’autorité parentale [2].

Des parents ont-ils le droit de poster et partager des photos de leurs enfants sur les réseaux sociaux ?

Une autorité conjointe.

L’article 371-1 du Code civil dispose que « L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. Elle appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne. Les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité ».

L’autorité parentale est exercée par les deux parents en commun jusqu’à la majorité de l’enfant. L’article 373-2 précise que la séparation des parents est sans incidence sur l’exercice de l’autorité parentale.

Ainsi, même séparés, les parents continuent d’exercer conjointement l’autorité parentale sur leurs enfants. Les deux parents se voient confier les mêmes droits quant à l’éducation de leurs enfants, qu’ils vivent en couple ou qu’ils soient séparés.

Cependant, l’exercice conjoint de l’autorité parentale ne signifie pas que toutes les décisions concernant l’enfant doivent être prises par les deux parents d’un commun accord puisqu’en pratique, il serait impossible d’imposer aux parents de demander l’accord de l’autre pour effectuer tous les actes qu’implique la vie courante de l’enfant.

Jurisprudence.

Plusieurs décisions en France ont tranché de cette question dans le cadre de procédure de séparation entre les parents. Dans ces affaires, le juge aux affaires familiales en charge de la procédure de séparation a été saisi d’une demande visant à obtenir la cessation de toute publication de l’enfant par l’autre parent, y compris sous astreinte.
Ces demandes se fondent sur l’autorité parentale conjointe et l’intérêt de l’enfant. 

Voici quelques illustrations :

(a) Une demande en ce sens a été formulée par une mère dans le cadre d’une procédure de divorce devant la Cour d’appel de Paris. En l’espèce, le père de famille avait publié sur son compte Facebook plusieurs photographies de ses enfants, âgés au jour du jugement de 9 et 6 ans.

Dans un arrêt du 9 février 2017, la Cour d’appel de Paris a fait droit à la demande de la mère et a « interdit à chacun des parents de diffuser des photographies des enfants sur tous supports sans l’accord de l’autre parent », en précisant qu’une telle interdiction s’impose aux fins de « respecter l’exercice conjoint de l’autorité parentale qui nécessite l’accord des deux parents concernant les décisions à prendre dans l’intérêt de l’enfant ».

En faisant interdiction à chacun des parents de « diffuser des photographies des enfants sur tous supports sans l’accord de l’autre parent », la Cour d’appel de Paris considère que diffuser des photographies de ses enfants, que ce soit sur les réseaux sociaux ou sur un autre support, correspond à un acte non usuel nécessitant l’accord des deux parents.

(b) La Cour d’appel de Versailles avait déjà eu à se prononcer en ce sens :
En l’espèce, un père avait demandé à son ex-femme de cesser de publier des photographies de leur enfant âgé de 4 ans sur son compte Facebook et de supprimer les commentaires et photographies déjà publiés relatifs à l’enfant. Les juges Versaillais ont alors fait droit à cette demande en ordonnant à la mère de cesser de publier tout document concernant l’enfant sans autorisation du père et de supprimer tous les commentaires et photographies de l’enfant déjà publiés sur Facebook.
La Cour d’appel de Versailles a retenu que « la publication de photographies de l’enfant et de commentaires relatifs à celui-ci sur le site Facebook ne constitue pas un acte usuel mais nécessite l’accord des deux parents » [3].

(c) Cette solution se démarque toutefois de la position qu’avait prise la Cour d’appel de Bordeaux dans un arrêt du 4 janvier 2011 :
En l’espèce, une mère demandait à ce que son ex-concubin retire les photographies qu’il avait publiées sur Facebook de leur fille âgée de 6 ans. Les juges ont toutefois rejeté cette demande au motif que « (…) les photographies de l’enfant photographies s’inscrivent dans le cadre de communication personnelle entre amis (photos d’anniversaire de l’enfant) (…) ».
Ainsi, si on s’en tient au raisonnement de la Cour d’appel de Bordeaux, si le parent configure son compte Facebook de manière à ce que les photographies qu’il publie ne puissent être consultées que par ses « amis », il n’aurait pas besoin d’avoir l’accord de l’autre parent pour les publier.

Blandine Poidevin, Spécialiste des technologies de l’information et de la communication

[1Cass. Civ. 1ère, 27 février 2007, n° 06-10393

[2Cass. 1ère civ., 12 décembre 2000, n°98-21.311, X. c/ Julien, Juris-Data n° 2000-007309, Cass. 1ère civ., 12 juillet 2006, n°05-14.831, FS-P+B, Sté Hachette Filipacchi assoc. c/ Mme X., Juris-Data n° 2006-034563

[3CA Versailles, 2e ch. Sect. 1, 25 juin 2015, n°13/08349, JurisData n 2015-015861