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Heures supplémentaires : précisions du régime probatoire et panorama de jurisprudence en 2019 / 2020. Par Frédéric Chhum et Camille Bouhoure, Avocats.
Parution : jeudi 16 avril 2020
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En 2019, le régime probatoire des heures supplémentaires a encore fait l’objet d’un contentieux abondant, que ce soit devant les juges du fond ou devant la Cour de cassation.

La Cour de cassation est de nouveau intervenue, dans un récent arrêt du 18 mars 2020, afin de préciser ce régime probatoire spécifique.

1) Quelle charge probatoire en matière d’heures supplémentaires et de temps de travail ?

Aux termes de l’article L.3171-4 du Code du travail, « En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. »

Depuis un arrêt du 25 février 2004 [1], la Cour de cassation précise qu’en matière d’heures de travail effectuées, la charge de la preuve « n’incombe spécialement à aucune des parties », ajoutant qu’il appartient dans un premier temps au salarié « d’étayer » sa demande.

Cette jurisprudence est depuis lors reprise systématiquement en matière de contentieux d’heures supplémentaires ou de temps de travail.

Cependant, la terminologie utilisée par la Cour de cassation était parfois source d’interprétation par les juges du fond.

Ainsi, et régulièrement, la Cour de cassation était amenée à casser des arrêts d’appel, après avoir relevé que les juges du fond faisaient reposer sur le seul salarié la charge de la preuve [2].

Pour mettre fin à cette confusion, la Cour de cassation a modifié sa terminologie, substituant le terme de « présentation » à celui d’« étaiement » dans son arrêt du 18 mars 2020, n°18-10919 [3].

Désormais, le salarié doit « présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies ».

Le régime probatoire distingue donc deux étapes :

-  La présentation préalable par le salarié d’éléments suffisamment précis quant aux horaires invoqués ;

-  La justification par l’employeur des horaires effectivement réalisés par le salarié.

2) Présentation par le salarié d’éléments suffisamment précis quant aux horaires invoqués.

La Cour de cassation se prononce régulièrement sur les éléments pouvant être qualifiés de suffisamment précis dans le cadre du contentieux d’heures supplémentaires.

Ainsi, la Cour de cassation réaffirme notamment que constitue un élément suffisamment précis un tableau récapitulatif des horaires effectués par le salarié [4]

La Cour de cassation précise en outre, dans un arrêt du 15 janvier 2020, n°18-15254 [5], qu’il n’est pas nécessaire pour le salarié de produire, à l’appui de ces tableaux, des éléments contemporains à la réalisation des heures invoquées

Dans un arrêt du 4 septembre 2019, n°18-10541 [6], la Cour de cassation va encore plus loin, estimant qu’obliger le salarié à produire un décompte hebdomadaire des heures supplémentaires reviendrait à faire peser sur lui seul la charge de la preuve.

Ainsi, et a contrario, la production d’un décompte hebdomadaire des heures supplémentaires effectuées ne serait pas nécessaire.

Dans une telle hypothèse, il appartiendrait cependant au salarié de présenter d’autres éléments sur les heures invoquées (attestations, relevé de pointage, courriels, etc.).

3) Justification par l’employeur des horaires effectivement réalisés par le salarié.

Dès lors que le salarié présente des éléments suffisamment précis, il appartient à l’employeur d’y répondre en justifiant des horaires effectivement réalisés par le salarié.

Aussi, et comme le rappelle très régulièrement la Cour de cassation, la charge de la preuve ne peut reposer sur le seul salarié [7].

En outre, l’employeur ne peut invoquer l’absence de réclamation antérieure, durant la relation contractuelle [8].

De même, dans un arrêt du 15 janvier 2020, n°18-15254 [9], la Cour de cassation rappelle que le fait pour un salarié de ne jamais avoir formulé de demandes durant la relation contractuelle ne fait pas obstacle à sa demande devant les juges du fond.

En effet, l’employeur doit verser aux débats des éléments de nature à justifier des horaires réalisés par le salarié (relevés de pointage ou de badgeage, des attestations ou encore des courriels).

De plus, la Cour de cassation estime que l’employeur ne répond pas à ses obligations probatoires lorsqu’il se contente de mettre en avant des incohérences ou l’absence de courriels pour chaque horaire invoqué par le salarié [10].

A défaut de produire de tels éléments, et si le salarié a quant à lui présenter des éléments sur les horaires invoqués, sa demande doit être accueillie [11].

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum

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