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L’action des services du ministère de l’Economie dans la lutte contre la cybercriminalité. Par Alexis Deprau, Docteur en Droit.
Parution : lundi 20 avril 2020
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S’il existe l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), ainsi que les services de police ou encore du ministère des Armées (pour la cyberdéfense), il s’avère que les services du ministère de l’Economie ont aussi un rôle à jouer en la matière.

Définie par le ministère de l’Intérieur comme l’« ensemble des infractions pénales susceptibles de se commettre sur les réseaux de télécommunication de type Internet » [1], la cybercriminalité a pour vocation de traiter des usages criminels d’Internet et des réseaux informatiques.

Cette cybercriminalité adapte la criminalité organisée aux nouvelles technologies. Il faut savoir que les actions criminelles sont liées à des groupes criminels, en effet, selon une étude menée par BAE Systems Detica et le John Grieve Centre for Policing and Community Safety en mars 2012 :
- 80% de la délinquance sur Internet serait le fait de groupes criminels organisés ;
- les groupes criminels investissent de plus en plus dans les outils numériques pour développer leurs activités, comme le recrutement de membres ou de nouvelles activités (vol de codes PIN de cartes bancaires) ;
- ces groupes criminels sont locaux, régionaux ou internationaux, c’est-à-dire qu’on y retrouve toutes les typologies classiques du crime organisé [2].
Ce préjudice financier est énorme, puisqu’en 2015, il était estimé « entre 375 et 575 milliards de dollars, avec un point moyen à 445 milliards par an. 160 milliards de dollars environ proviennent du vol de données personnelles à des centaines de millions de particuliers » [3].

Sans compter la perte d’emplois due à cette cybercriminalité. La destruction de ces emplois s’explique « par le pillage de dossiers industriels et de procédés de fabrication, les pirates permettent à des pays sans scrupule de produire et de vendre, en économisant les frais de recherche et de développement, des objets à bon marché » [4].

En tout état de cause, la cybercriminalité est une forme de criminalité organisée prise très au sérieux, aussi bien à l’étranger, qu’en France. Plus précisément, lors de la Cyber Security Conference de San Francisco en février 2014, le Directeur du renseignement intérieur américain (FBI), a expliqué que « le péril cyber-sécurité est si grave que, pour la seconde année consécutive, il domine désormais la liste des menaces globales du directeur national du renseignement. Ce péril surpasse à la fois le terrorisme, l’espionnage et, même, celui présenté par les armes de destruction massive » [5].

Il en va de même en France, puisqu’une étude de 2013 montre que la France est l’un des Etats plus visés par les pirates informatiques, notamment dans le cadre de l’espionnage industriel, les pirates visant les infrastructures électroniques au moyen d’attaques « APT, c’est-à-dire des attaques très ciblées, particulièrement sophistiquées, et dont les auteurs disposent de moyens et de temps pour arriver à leurs fins » [6].

Face au péril cybercriminel, l’Etat français dispose notamment de services spécifiquement liés à cette tâche au sein du ministère de l’Economie, la cellule Cyberdouane de la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), le service de Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (Tracfin), et le Service national des enquêtes de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

La lutte contre la cybercriminalité par la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED).

Le 12 juin 2019, après de longues et complexes investigations, la cellule Cyberdouane (unité de la DNRED), a lancé une vaste opération de démantèlement de French Deep Web-Market (FDW-M), plateforme historique du darkweb francophone. Ce site, fréquenté par des milliers d’utilisateurs et des centaines de vendeurs, proposait à la vente de nombreux produits et services illégaux tels que stupéfiants, armes, faux papiers, etc [7].

La DNRED dispose depuis le 10 février 2009, de sa propre structure de lutte contre la cybercriminalité, appelée service des cyberdouanes, ou encore cellule Cyberdouane [8] (elle remplace le Centre de recueil et d’analyse de l’Internet douanes (CRAIDO), créé en 1998) [9]. Cette cellule Cyberdouane a pour mission de lutter contre la cyberdélinquance, les trafics de marchandises prohibées et autres fraudes sur Internet. Pour cela, elle doit identifier « les personnes physiques ou morales qui se cachent derrière un site de vente en ligne, une adresse électronique ou un pseudonyme sur un site de petites annonces, un forum, un blog ou un réseau social » [10].

C’est en septembre 2014 que la cellule Cyberdouane s’était fait connaître du public en démantelant un trafic de stupéfiants sur Internet, et en récupérant une centaine de plants de cannabis à Laval [11].
Ce travail de renseignement est complété avec le Service national de douane judiciaire (SNDJ) qui pourra, à la suite des informations récoltées par la cellule Cyberdouane, mener une enquête si le procureur de la République considère que ces informations, appelées techniquement constatations douanières [12], sont à même de déclencher une enquête.
Face à l’absence de territorialité des actions criminelles menées sur Internet, les enquêteurs peuvent agir, à l’aide de commissions rogatoires internationales. Pour autant, ce même Service avoue régulièrement son impuissance pour la majorité des cas de sites hébergés à l’étranger [13].

Pour exemple du travail de partenariat entre la cellule Cyberdouane et les services des douanes judiciaires, des résultats très positifs de coopération ont été observés. Comme entre 2011 et 2013, quand des trafiquants ont créé un réseau virtuel de trafic de drogues, et que les deux services des Douanes ont pu arrêter un trafic générant un chiffre d’affaires qui s’est élevé jusqu’à 1, 2 milliards de dollars [14].

Mais il faut savoir que le partenariat concerne aussi les autres services de l’Etat voués à la lutte contre la cybercriminalité avec le partage d’informations au travers de la plate-forme PHAROS. Enfin, toujours en matière de coopération, la cellule Cyberdouane prend part à une « veille coordonnée » avec les diverses administrations s’attelant à la cyberdélinquance, comme l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC, rattaché à la Police nationale), la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ou encore la Direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF, rattachée à la DGFiP) [15].

Une lutte aussi menée par le service de Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (Tracfin).

A l’origine, Tracfin était rattaché depuis 1990 à la Direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI), Tracfin a pris son autonomie pour devenir un service de renseignement financier à part entière avec le décret du 6 décembre 2006 [16]. Si sa mission porte majoritairement sur les circuits financiers clandestins, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme [17], ce service peut aussi être saisi dans son domaine d’action sur des dossiers en lien avec la cybercriminalité.
La cybercriminalité a même été définie par Tracfin comme l’urgence absolue dans son rapport annuel de 2019 sur « les tendances et analyse des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme » [18].

Une mission encore complétée par l’apparition du Service national des enquêtes (SNE).

Le SNE est une entité dépendante de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) [19]. Institué par le décret du 23 décembre 2009 [20], il a une compétence en matière de cybercriminalité et de cyberdélinquance en tant qu’il mène des enquêtes visant à la recherche et à la constatation des infractions et manquements au droit national et communautaire et à la collecte d’informations économiques, en matière de qualité et de sécurité des produits et services, de loyauté des transactions, de protection des intérêts des consommateurs ainsi que du bon fonctionnement des marchés et d’équilibre des relations commerciales entre entreprises [21].
A l’instar de Tracfin ou de la cellule Cyberdouane, le Service national des enquêtes comprend aussi un centre de surveillance du commerce électronique et une unité de renseignement [22]. Les efforts de surveillance de ce Service se concentrent notamment à l’égard du secteur de la vente de billets d’avion ou de réservation d’hôtels en ligne [23].

L’action de ces différents services est une nécessité, surtout avec l’évolution rapide de la cybercriminalité et la sophistication accrue des moyens des cybercriminels. La cybercriminalité est l’affaire de tous (particuliers comme entreprises), surtout dans un monde où la prédation est de plus en plus une affaire d’informatique.

Alexis Deprau, Docteur en droit, juriste

[2FREYSSINET (E.), La cybercriminalité en mouvement, Lavoisier, Cachan, 2012, p. 107.

[3RAUFER (X.), Cyber-criminologie, CNRS éd., Paris, 2015, p. 87.

[4Ibid., p. 88.

[5Ibid., p. 95.

[10de MONTGOLFIER (A.) et DALLIER (P.) Rapport d’information sur le rôle des douanes dans la lutte contre la fraude sur Internet, Commission des finances, n°93, Sénat, 23 octobre 2013, p. 36.

[12Ibid., p. 36.

[13de MONTGOLFIER (A.) et DALLIER (P.), op. cit., 23 octobre 2013, p. 39.

[14LEONETTI (X.), Guide de cybersécurité. Droits, méthodes et bonnes pratiques, L’Harmattan, Paris, 2015, 2015, p. 138.

[15de MONTGOLFIER (A.) et DALLIER (P.), op. cit., 23 octobre 2013, p. 37.

[16D. n°2006-1541 du 6 décembre 2006 érigeant la cellule TRACFIN en service à compétence nationale et modifiant le Code monétaire et financier (partie réglementaire), JORF, n°284, 8 décembre 2006, p. 0, texte n°17.

[17Ibid., art. 1.

[19D. n°2001-1178 du 12 décembre 2001 relatif à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, JORF, n°289, 13 décembre 2001, p. 19 783, texte n°2.

[20D. n°2009-1630 du 23 décembre 2009 portant création d’un service à compétence nationale dénommé « Service national des enquêtes », JORF, n°299, 26 décembre 2009, texte n°19.

[21Ibid., art. 2.

[22Ibid., art. 4.

[23Xavier LEONETTI, op. cit., 2015, p. 140.