Village de la Justice www.village-justice.com

Nommer sa sœur à un poste clé de sa commune, c’est pour un Maire de la prise illégale d’intérêts ! Par Cyril de Guardia de Ponté, Avocat.
Parution : dimanche 19 avril 2020
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/maire-nommant-soeur-direction-generale-des-services-commune-rend-coupable-delit,34821.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

En vertu de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 et du décret n° 86-68 du 10 janvier 1986, une déclaration de vacance avait été enregistrée concernant le poste de Directeur général des services auprès de la mairie de la commune de Givors. En septembre 2014, dans la lettre du maire au personnel de la mairie, ce dernier a annoncé une nomination audit poste... et pas n’importe laquelle ! Précédemment, le 27 novembre 2014, après une intervention des syndicats, le profil de poste correspondant à cette fonction avait été diffusé auprès du centre de gestion de la fonction publique territoriale en vue d’un recrutement. A l’issue d’une présélection, le Maire a retenu six candidats, dont l’intéressée, se révélant être sa propre sœur, qui ont été reçus pour un entretien par un jury de cinq personnes qui s’est prononcé à l’unanimité en sa faveur...

Le Maire de la commune de Givors a été cité pour avoir, courant 2014 et 2015, étant investi d’un mandat électif public, en l’espèce en sa qualité de maire, pris, reçu ou conservé, directement ou indirectement, un intérêt quelconque, dans une entreprise ou dans une opération dont il avait, au moment de l’acte, en tout ou en partie, la charge d’assurer la surveillance ou l’administration, en l’espèce en prenant un intérêt moral à la nomination de sa sœur, en qualité de directrice générale des services de la commune, alors qu’il avait la surveillance de ces opérations de nomination, après avoir notamment, d’une part, participé activement à la sélection des candidats, aux entretiens du jury de recrutement et au vote de ce dernier, d’autre part, signé personnellement les arrêtés municipaux de nomination de sa sœur.

Le 6 juillet 2017, le tribunal correctionnel avait déclaré le maire de la commune ainsi que de sœur coupables, respectivement, des faits de prise illégale d’intérêt et de recel de prise illégale d’intérêt.

Ces déclarations de culpabilité devaient être confirmées en appel et, enfin, par la Cour de cassation, laquelle s’inscrit dans une évolution de la jurisprudence allant dans le sens d’une répression toujours plus marquée envers les abus des élus dans le cadre de leurs fonctions.

I. Sur le délit de prise illégale d’intérêt

Selon les dispositions de l’article 432-12 du Code pénal :

« Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement, est puni de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 500.000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction. »

L’objectif du texte répressif est limpide : éviter qu’une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public ou titulaire d’un mandat électif public ne puisse être motivé par la satisfaction d’un intérêt purement privé, à l’opposé donc de l’intérêt général, ou l’obtention d’un bénéfice financier et(ou) matériel pour elle-même ou pour un membre de sa famille.

1. Une personne dépositaire de l’autorité publique

En l’occurrence, le prévenu avait la charge d’assurer la surveillance et l’administration de l’opération de recrutement au poste fonctionnel de directeur général des services de la commune dont il était le maire, ce qui ne laisse planer aucun doute sur sa qualité de personne dépositaire de l’autorité publique.

En sa qualité d’édile, il a ainsi accompli, entre le 27 novembre 2014 et le 22 janvier 2015, les formalités procédurales de publicité et de sélection des candidats, la désignation, puis procédé à la nomination par arrêté de la nouvelle directrice générale des services, sa propre sœur, seul ou en tant que membre du jury de recrutement qu’il avait mis en place.

2. Un intérêt « quelconque »

Ce qui rend aussi singulier le délit de prise illégale d’intérêt, prise illégale d’intérêts, c’est qu’un intérêt simplement moral suffit à sa constitution.

En effet, la Cour de cassation considère depuis un arrêt de 2008 que la preuve rapportée de ce que l’élu n’a tiré aucun profit de l’opération, et que la collectivité publique n’en a subi aucun préjudice, n’est pas de nature à exonérer la personne poursuivie de sa responsabilité pénale [1].

En clair, l’élément moral de l’infraction, c’est à dire l’intention coupable, est caractérisé par le seul fait que l’auteur ait accompli sciemment l’acte constituant l’élément matériel du délit de prise illégale d’intérêt, lequel consiste pour le prévenu à avoir eu, au moment de l’acte, la charge d’assurer la surveillance ou l’administration de l’affaire dans laquelle il a intérêt.

En l’espèce, la Haute autorité judiciaire a estimé que le lien familial unissant les deux prévenus, frère et sœur, constitue bel et bien un intérêt moral, et suffit donc à caractériser l’intérêt quelconque exigé par le texte et la jurisprudence.

Il n’est donc pas nécessaire que le maire ait agi dans une intention frauduleuse, illustrant parfaitement le célèbre adage selon lequel « La femme de César ne doit pas être soupçonnée » !

Tout édile se doit d’être parfaitement irréprochable.

De même, le fait que le prévenu, maire d’une commune, se soit soumis aux règles de recrutement instaurées par la loi n° 84- 53 du 26 janvier 1984 et le décret n° 86-68 du 10 janvier 1986, est sans incidence sur la caractérisation de l’infraction dès lors qu’il est, en toute connaissance de cause, intervenu à tous les stades de la procédure ayant abouti au recrutement d’un membre de sa famille, quelles que soient les compétences professionnelles de celui-ci.

II. Une jurisprudence de plus en plus sévère à l’égard des édiles

Cet arrêt s’inscrit dans une véritable tradition jurisprudentielle allant dans le sens d’une répression toujours plus féroce des écarts de conduites des élus.

Une étude de M. Xavier Samuel, conseiller référendaire à la Cour de cassation, en ce sens est particulièrement éloquente [2].

Il y révèle qu’un arrêt de la Chambre criminelle [3] était parfois cité au soutien de la thèse selon laquelle l’intérêt pourrait être de nature simplement morale.

Or l’interprétation en était délicate.

Si le moyen de cassation posait en effet cette question, la chambre l’avait en quelque sorte éludée en rappelant, dans ses propres motifs, les constatations souveraines des juges du fond, selon lesquelles l’économe du lycée en cause avait participé à la gestion de la société à laquelle il passait les commandes et dans laquelle il avait fait engager son fils.

Trois arrêts ont permis à la Chambre criminelle de la Cour de cassation de définir définitivement sa position : elle a reconnu de la manière la plus nette qu’un intérêt simplement moral constitue l’intérêt dont la prise, la réception ou la conservation est interdite :
- Cass, Crim., 20 février 1995, pourvoi n° N 94-81.186
- Cass, Crim.,5 novembre 1998 (Bull. n° 289).
- Cass, Crim.,29 septembre 1999 (Bull. n° 5683)

Comme l’indiquait le conseiller d’Etat rapportant devant le corps législatif, le 6 février 1810, les dispositions relatives au délit d’ingérence : « la considération qui environne les fonctionnaires naît principalement de la confiance qu’ils inspirent et tout ce qui peut altérer cette confiance ou dégrader leur caractère doit leur être interdit. »

Par Cyril de Guardia de Ponté Avocat associé au Barreau des Pyrénées-Orientales Tél. : 06.67.38.06.72 Courriel : cyrildeguardia.avocat@gmail.com Site : https://www.cyrildeguardia-avocat.fr/

[1Cass. crim, 22 octobre 2008, n° 08-82.068.

[311 janvier 1956, Bull. n° 39.