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COVID-19 : Peut-on engager la responsabilité de la Chine ? Point sur l’immunité de juridiction. Par David Melloul, Avocat.
Parution : lundi 20 avril 2020
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Si la crise sanitaire actuelle est propice à l’introspection, elle est aussi une formidable occasion d’interroger les outils offerts par le droit, entendu largement, dans sa mission la plus salvatrice : la protection de ses sujets.
Aussi, la responsabilité des acteurs, privés ou publics, dans la gestion de cette crise, doit être posée tant l’impact de celle-ci est considérable sur la sphère économique et humaine des nations touchées.
S’il semble désormais acquis que les premiers cas de COVID-19 proviennent originellement de la Chine, cette circonstance constitue le fait générateur d’un incroyable rouage d’ordre planétaire, obligeant plus d’un tiers de l’humanité à rester confiné.

Cette interrogation fondamentale se pose alors : Peut-on engager la responsabilité d’un État étranger devant les Tribunaux français ?

La présente note n’a pas pour objet d’identifier quelconque fait imputable à la Chine, mais de déterminer si le droit français offre des outils permettant d’attraire un État étranger devant une juridiction nationale.

Le droit interne et international apportent, fort heureusement, des éclaircissements sur ce point.

A. L’immunité de juridiction : principe cardinal en droit interne et international de la responsabilité des États étrangers.

Si la structure du système judiciaire français permet à un quiconque d’attraire un défendeur à une procédure, un État étranger ou de l’une de ses émanations ne répond pas des règles de procédure classique.

A ce titre, l’État étranger est bénéficiaire, sur le sol français, d’un principe de droit international de longue date, lequel est de nature à lui garantir une immunité de juridiction et d’exécution.

L’immunité de juridiction est un privilège de juridiction qui a pour effet de faire échapper un État ou l’un de ses organes à la compétence des tribunaux d’un État étranger.

L’immunité d’exécution est également un privilège qui protège les États étrangers contre toutes les mesures tendant à les dessaisir de leurs biens.

Ainsi, un tribunal de l’ordre judiciaire français, quelque soit son degré, est dès lors incompétent pour connaitre d’une action à l’encontre d’un État étranger. Un tel moyen relève, selon la jurisprudence, d’une fin de non-recevoir prévue à l’article 122 du Code de procédure civile.

Cette immunité de juridiction tire sa source d’une combinaison de principes généraux coutumiers du droit international régissant les immunités des États étrangers. (Crim. 13 mars 2001, n° 00-87.215).

On retrouve également ce principe dans certains textes internationaux, notamment la Convention des Nations Unies du 2 décembre 2004, laquelle stipule que :
« les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens procèdent d’un principe généralement accepté du droit international coutumier ».

Sur la portée de cette immunité, la jurisprudence considère que sont couverts par celle-ci les actes s’analysant en actes de souveraineté, et non en actes de gestion.

Un arrêt de la Chambre mixte, rendu en 2003, vient consacrer ce principe en ces termes :
« Les États étrangers et les organisations qui en constituent l’émanation ne bénéficient de l’immunité de juridiction, immunité relative et non absolue, qu’autant que l’acte qui donne lieu au litige ou qui leur est imputé à faute participe, par sa nature et sa finalité, à l’exercice de la souveraineté de ces États et n’est donc pas un acte de gestion. » (Cass. Ch. Mixte, Bull. 2003, no 4, pourvois n° 00-45.629 et 00-45.630)

Ce raisonnement, au demeurant repris dans une jurisprudence abondante postérieure, permet d’apporter les deux précisions suivantes :
1. Un État étranger peut être attrait devant une juridiction interne ;
2. Le principe d’immunité d’exécution est un principe relatif auquel on peut déroger, sous réserve d’établir que l’acte litigieux constitue un acte de gestion n’entrant pas dans l’exercice de la puissance publique par l’État en question.

B. Qu’est-ce qu’un acte de puissance publique ?

Un rapport de M. Pluyette, Conseiller rapporteur à la Cour de cassation, à propos de l’arrêt de 2003 précité, dresse un panorama des jurisprudences définissant les contours de cette notion :

C’est ainsi qu’ont été considérés comme ne constituant pas des actes de puissance publique :
- le traitement même ferroviaire de marchandises organisé par une société agissant pour le compte de l’Etat iranien, la loi iranienne elle-même faisant entrer cette activité dans la catégorie des actes de commerce (Civ., 1, 25 février 1969, précité)
- l’exploitation d’un fonds de commerce par une société prétendant agir pour le compte et sur ordre de l’Etat algérien (Com., 19 mars 1979, précité)
- l’aval donné par une banque étrangère pour le compte d’un Etat étranger, dès lors que cet aval avait été donné comme il l’aurait été au profit d’une personne de droit privé et qu’il constitue un simple acte de commerce accompli dans l’exercice normal des activités bancaires (Civ., 1, 18 novembre 1986, Bull., I, n° 267, p. 255).

En revanche, constituent des actes de puissance publique ou accomplis dans l’intérêt du service public :
- le marché de travaux publics contenant des clauses exorbitantes de droit commun se rattachant aux prérogatives de puissance publique passé par ordre et pour le compte de l’Etat du Pakistan (Civ., 1, 2 mars 1966, Bull., I, n° 152)

- l’acte de nationalisation des biens appartenant à des étrangers accompli par la République démocratique populaire du Laos (Civ., 1, 2 octobre 1987, Bull., I, n° 274, p. 197) de même que des mesures de réquisition, d’expropriation ou spoliation qui sont considérées comme des actes de puissance publique.

- le contrat de fourniture et l’installation d’un système de protection cathodique de gazoducs conclu par ordre et pour le compte de l’État iranien par une société accomplissant une mission de service public (Civ., 1, 2 mai 1990, Bull., I, n° 1, p. 140)

- le refus d’approbation, opposé par la Banque du Japon agissant par ordre et pour le compte de l’État japonais, d’un contrat passé avec une société japonaise (Civ., 1, 19 mai 1976, Bull., I, n° 181, p. 145).

Selon la doctrine, le seuil de déclenchement permettant d’écarter l’immunité de juridiction réside dans le comportement adopté par l’État étranger : si celui-ci s’est comporté un acteur privé, alors l’acte litigieux devra nécessairement être assimilé à un acte de gestion privé. A l’inverse, s’il se comporte comme un acteur public, l’immunité sera retenue.

La gravité de l’acte en question n’a d’ailleurs aucun impact sur la qualification de l’immunité de juridiction. Aussi, la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 9 septembre 2002, a pu retenir que :
« Les États étrangers bénéficient de l’immunité de juridiction lorsque l’acte qui donne lieu au litige constitue un acte de puissance publique ou a été accompli dans l’intérêt d’un service public.

L’arrestation, l’incarcération, la déportation puis l’astreinte à un travail forcé dans le cadre de l’économie de guerre mise en place par la puissance occupante dans le but de servir ses desseins offensifs constituent, tant par les moyens mis en œuvre que par la finalité poursuivie, des faits s’intégrant dans un ensemble d’opérations entreprises par l’État allemand dans le cadre de ses prérogatives de puissance publique.

En l’état du droit international, ces faits, quelle qu’en soit la gravité, ne sont pas, en l’absence de dispositions internationales contraires s’imposant aux parties concernées, de nature à faire échec au principe de l’immunité de juridiction des Etats étrangers.

Indépendamment des critiques que l’on peut formuler à l’égard du gouvernement Chinois, force est de constater que la gestion de cette crise semble relever d’un acte de souveraineté pure et simple, entrainant de facto l’application de l’immunité de juridiction.

Cet argument semble logique, compte-tenu du fait que la politique sanitaire et la gestion d’une crise afférente à celle-ci revient uniquement à l’État, chargé de protéger sa population.

C. Droit étranger et perspectives.

A priori, le droit français ne permet pas, en l’état, d’attraire l’État chinois devant les juridictions internes, tant au regard de l’immunité de juridiction en question que de l’impossibilité d’établir avec précision les manquements qui lui sont imputables.

Certaines initiatives permettent néanmoins de démontrer que cette immunité de juridiction consacrée en droit interne n’est que le produit de la volonté politique.

Aux États-Unis, la Sovereign Immunity Act de 1976, si elle érige également comme principe l’immunité de juridiction des États étrangers, dresse néanmoins une série d’exceptions permettant d’attraire un Etat étranger devant les juridictions étatiques et fédérales.

C’est d’ailleurs à l’appui de cette loi qu’un avocat américain a porté devant une District Court de Floride, le 13 mars 2020, une action de groupe à l’initiative de plusieurs parties à l’encontre de la Chine et de ses émanations, leur reprochant (notamment) leur échec à contenir le virus, la mise en œuvre de mesures inefficaces de confinement permettant de limiter la propagation, ainsi que la communication d’informations contradictoires concernant la létalité du virus.

En France, l’action de groupe introduite par la loi de 2014, ouvertes depuis 2016 à des affaires susceptibles d’intéresser le droit de la santé, ne semble pas pertinente compte-tenu des difficultés à la mettre en œuvre, et ne permet pas, au demeurant, de contourner l’immunité de juridiction permettant de trainer un État étranger devant une collectivité de victimes.

Les outils à notre disposition sont donc, sinon limités, totalement inefficaces, d’autant qu’à supposer une décision française condamnant la Chine, l’immunité d’exécution fera nécessairement obstacle à quelconque exécution forcée, du moins sur le territoire national.

La seule solution octroyée, en l’état, pour les victimes et leurs ayant-droit, consisterait à porter ce litige devant une juridiction internationale, sous la bénédiction de la protection diplomatique française.

Au demeurant, l’autre solution, même s’il s’agit d’une toute autre question, consisterait à engager la responsabilité de l’État français devant les tribunaux, mais dont seul l’avenir permettra de déterminer si celui-ci a agi avec toutes les précautions dans la gestion de cette crise.

Sur ce dernier point, il conviendrait également de veiller à déterminer avec précision les manquements allégués.

David Melloul Avocat au Barreau de Paris [->David.melloul@icloud.com]
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