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Covid-19 : quels recours contre l’employeur qui ne respecte pas son obligation de sécurité ? Par Caroline Martin, Avocat.
Parution : mardi 21 avril 2020
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Pendant la période de confinement, les salariés qui continuent à se rendre sur leur lieu de travail sont pour certains confrontés à des conditions qui ne sont pas conformes aux mesures de protection requises pour leur sécurité.

Dans les prochaines semaines, les salariés qui reprendront le travail après le confinement devront faire face aux mêmes difficultés.

De quels recours juridiques disposent-ils ?

Article mis à jour par son auteure le 23 avril 2020.

Pendant le confinement et dans l’après confinement, les travailleurs peuvent saisir le juge en urgence pour demander des mesures protectrices suffisantes face au risque d’épidémie (I).

En cas d’infection, ils pourront en outre demander réparation de leurs préjudices devant le juge civil (II) ou devant le juge pénal après avoir déposé une plainte (III).

I. Un recours en urgence pour obtenir la cessation immédiate de l’illégalité : le référé.

Depuis le début du confinement, les victimes de conditions de travail inadaptées et les associations professionnelles ont saisi le juge des référés à de multiples reprises pour demander des mesures protectrices.

Ces actions sont fondées sur l’article L521-2 du code de justice administrative, qui prévoit que « saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. »

Devant le juge judiciaire, ce sont les dispositions prévues par l’article 835 du Code de procédure civile qui s’appliquent : « Le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire ».

1 - Les actions dirigées à l’encontre du gouvernement ont été rejetées jusqu’à présent.

C’est tout d’abord le personnel de santé, les soignants (infirmières libérales, médecins…) et leurs syndicats qui ont demandé au juge d’enjoindre au gouvernement de prendre des mesures de lutte contre l’épidémie et de protection du personnel soignant telles que la distribution de matériel de protection (gel hydroalcoolique, charlottes, gants, sur-blouses, masques), le dépistage massif de la maladie et une autorisation de prescription de l’association hydroxychloroquine et azithromycine.

Jusqu’à présent, le juge des référés du Conseil d’Etat a rejeté ces requêtes, après avoir estimé que les mesures nationales mises en œuvre à ce jour ne permettaient pas d’établir l’existence d’une « atteinte grave et manifestement illégale » au droit à la vie.

Cependant, de nouveaux recours pourraient prospérer à l’avenir, par exemple en cas de faute imputable au gouvernement dans le cadre de la gestion de la crise ou en cas pénurie accrue ou persistante du matériel de protection.

2. En revanche, plusieurs actions dirigées contre les employeurs ont été accueillies.

De la même manière les salariés qui doivent se rendre à leur poste de travail malgré le confinement (alimentation, poste, livraison…) dont les conditions de travail ne sont pas conformes aux règles de sécurité peuvent saisir le juge des référés pour que ce dernier ordonne à leur employeur de prendre des mesures adaptées.

L’employeur peut par exemple être contraint de prendre des mesures pour faire respecter la distanciation sociale, de fournir du gel hydroalcoolique, ou de procéder à une analyse suffisante des risques sur les lieux de travail.

Ainsi, par décision en date du 14 avril 2020, le Tribunal Judiciaire de Nanterre, statuant en référé a sanctionné l’entreprise Amazon France, au motif que cette dernière « a méconnu son obligation de sécurité et de prévention de la santé des salariés, ce qui constitue un trouble manifestement illicite. »

Aux termes de cette décision, Amazon France est condamnée à restreindre son activité aux commandes portant sur des biens essentiels, tant que les risques auxquels sont exposés ses salariés du fait de la pandémie de Covid-19 ne seront pas appréciés correctement. La condamnation est assortie d’une astreinte de 1 million d’euros par jour de retard et par infraction. L’entreprise est ainsi sommée de conduire une évaluation des risques professionnels inhérents à la pandémie dans l’ensemble de ses entrepôts en y associant les représentants du personnel.

Plus précisément, le Tribunal a estimé que les manquements de l’employeur à son obligation de prévention et de sécurité relevaient notamment les risques suivants, qui n’avaient pas été suffisamment évalués :

- le risque de contamination à l’entrée des sites dès lors que les salariés empruntent le même portique tournant. Le respect des distances de sécurité et la distribution de gel hydroalcoolique fourni individuellement à chaque salarié ne constituaient pas des mesures de prévention suffisantes ;
- le risque lié à l’utilisation des vestiaires au motif qu’ils avaient été restreints à une partie du personnel (empruntant les transports en commun et en moto), contraignant les autres salariés à ranger leur manteaux les uns contre les autres à proximité de leurs postes de travail. En outre, la présence « d’ambassadeurs hygiène et sécurité » à l’entrée des vestiaires et la distribution de produits désinfectants ne constituaient pas des mesures de prévention suffisantes, dès lors qu’aucune directive n’était donnée aux salariés quant au nombre maximum de salariés pouvant occuper simultanément les lieux ;
- l’insuffisance des plans de prévention avec les entreprises extérieures au motif que tous les plans de prévention n’avaient pas été mis à jour et qu’il n’avait pas été établi de protocoles de sécurité avec l’ensemble des prestataires extérieurs ;
- l’insuffisance des protocoles de nettoyage, ces protocoles n’ayant pas été formalisés et la société ne justifiant pas avoir porté ces mesures à la connaissance des salariés de façon appropriée. L’augmentation de la fréquence des nettoyages et la modification constante de l’organisation du travail étaient des mesures insuffisantes ;
- le risque lié aux manipulations successives des colis ;
- l’insuffisance des mesures de distanciation sociale, dès lors qu’il persistait des situations de travail rapproché ;
- l’insuffisance des outils de contrôle, au motif que la société ne justifiait pas d’actions mises en place. L’affectation de 350 salariés « ambassadeurs hygiène et sécurité » pour garantir le respect, par les salariés, des mesures barrières et des consignes de sécurité et de prévention du risque de contamination, ne constituait pas une mesure suffisante ;
- l’insuffisance des actions de formation, au motif que la société ne justifiait pas des actions de sensibilisation et de formation mises en place et qu’aucune formation particulière n’était dispensée sur l’emploi des gants ;
- l’insuffisance de l’évaluation des risques psychosociaux dans les DUERP au motif que la société ne justifiait pas avoir rempli son obligation d’évaluation des effets sur la santé mentale induits notamment par les changements organisationnels, les nouvelles contraintes de travail, la surveillance mise en place quant au respect des règles de distanciation et les inquiétudes légitimes des salariés par rapport au risque de contamination à tous les niveaux de l’entreprise.

Dans le même sens et le même jour, le Tribunal Judiciaire de Lille a rendu une ordonnance de référé concernant la mise en place et le respect des mesures barrières dans un supermarché, en vue de la protection de la santé et de la sécurité des salariés.

Ainsi, pendant le confinement et dans l’après confinement, il est possible à tout salarié ou représentant de salariés de saisir le juge pour demander des mesures protectrices suffisantes face au risque d’épidémie.

En cas d’infection, ils pourront en outre demander réparation de leurs préjudices (II).

II. Indemnisation des préjudices corporels en cas d’infection sur le lieu de travail : la question de la prise en charge au titre de la législation sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.

La responsabilité civile des employeurs s’agissant des personnels contaminés, pour certains gravement voire même décédés après avoir contracté le virus sur leur lieu de travail va immanquablement se poser, ainsi que la question de l’indemnisation des victimes et de leurs ayant-droits, pour les préjudices corporels subis comme pour les préjudices des proches des personnes décédées.

1- Les salariés contaminés par le covid-19 pourront-ils bénéficier du régime spécifique des accidents et maladies professionnelles ?

Lorsque le caractère professionnel de l’accident ou de la maladie est reconnu, le travailleur bénéficie :
- d’une prise en charge de ses soins,
- d’une indemnité journalière,
- et en cas de séquelles permanentes, d’une rente ou d’un capital.

Si la victime décède des suites d’un accident du travail ou de la maladie professionnelle, ses ayants-droit (conjoint(e), partenaire lié par un PACS, ascendants ou descendants) peuvent bénéficier d’une rente.

La qualification d’accident du travail.

En application de l’article L411-1 du Code de la sécurité sociale, « est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise ».

La jurisprudence retient que constitue un accident du travail un événement ou une série d’événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l’occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle, quelle que soit la date d’apparition de celle-ci [1]. Le fait à l’origine de l’accident du travail doit être soudain (ce qui le distingue de l’apparition de la maladie professionnelle).

Trois conditions doivent donc être réunies : un fait soudain, qui s’est produit dans le cadre du travail et qui provoque une lésion.

Dans le cas de l’épidémie Covid-19, le fait à l’origine de l’affection est soudain dès lors qu’il est constitué par un évènement déterminé et unique de contamination, à savoir, l’inhalation du virus.

La contamination provoque une lésion certaine, qui pourra être établie médicalement par la production d’un test de dépistage positif ou d’un certificat médical.

Restera à démontrer que cette contamination a eu lieu dans le cadre du travail.

Or la déconnexion temporelle entre l’apparition des signes de l’infection et le fait qui en est à l’origine peut compliquer cette démonstration.

En effet, le recours à la présomption habituelle selon laquelle l’accident survenu aux temps et lieu de travail est d’origine professionnelle sera ici d’une utilité limitée, dès lors que l’on sait que le temps d’incubation est long et que l’infection au Covid-19, bien que contractée au travail, peut apparaître en dehors des lieux et temps de travail. Pour la même raison, cette présomption pourra utilement être contestée par l’employeur, faute de preuve de la chaîne causale.

Lors de la déclaration de l’accident du travail, l’employeur pourra ainsi formuler des réserves. Il pourra ensuite contester le caractère professionnel d’un accident en démontrant que le salarié s’était soustrait à son autorité ou que la lésion a une cause totalement étrangère au travail.

Une expertise judiciaire pourrait néanmoins permettre d’établir l’origine professionnelle de l’infection.

Si les trois conditions sont remplies, le salarié bénéficiera du régime spécifique des accidents du travail.

La qualification de maladie professionnelle.

S’agissant de la qualification de maladie professionnelle, celle-ci suppose une exposition plus ou moins prolongée à un risque qui existe lors de l’exercice habituel de la profession.

La liste des maladies professionnelles indemnisables découlant de la loi du 25 octobre 1919 est présentée sous la forme de tableaux numérotés périodiquement révisés et complétés. Les affections inscrites aux tableaux bénéficient d’une présomption légale d’origine professionnelle.

L’affection du Covid-19 ne figure sur aucun tableau à ce jour.

Ainsi, le salarié qui est affecté par le Covid-19 ne pourra pas bénéficier de la présomption légale et devra établir l’origine professionnelle de la maladie, ce qui implique de prouver qu’elle est essentiellement et directement causée par son travail habituel et qu’elle a entrainé une incapacité permanente d’un taux au moins égal à 25 %. Le Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) sera saisi pour avis.

Cependant, les pouvoirs publics pourraient faire entrer le Covid-19 dans ces fameux tableaux. Cela suppose un décret, pris après discussion au sein du Conseil d’orientation des conditions de travail (Coct) où siègent aussi syndicats et patronat.

Ce sujet est d’actualité.

En effet, dès le 23 mars, le ministre des solidarités et de la santé, Olivier Véran a annoncé que « pour tous les soignants qui tombent malade, le coronavirus sera reconnu comme maladie professionnelle. »

Le 9 avril, le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, a exprimé le souhait qu’un traitement analogue soit réservé aux agents placés sous sa tutelle.

Le 3 avril, l’Académie nationale de médecine a recommandé une prise en charge au titre des maladies professionnelles dues à ces virus des « professionnels de santé » et des « personnels travaillant pour le fonctionnement indispensable du pays ».

Certaines associations et syndicats de salariés soutiennent quant à eux l’idée de créer un fonds ad hoc, destiné à indemniser les victimes, a l’instar des fonds d’ores et déjà mis en œuvre pour les travailleurs qui ont développé des maladies après avoir été exposé à l’amiante ou de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam).

2 – Les salariés contaminés par le Covid-19 pourront-ils invoquer la faute inexcusable de leur employeur pour obtenir une indemnisation complémentaire de leurs préjudices ?

Un salarié peut demander la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur s’il est reconnu victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.

Si la faute inexcusable est reconnue, le salarié victime a droit à une indemnisation complémentaire de ses préjudices et ainsi :
- à la majoration de la rente ou du capital qui lui est versé,
- à l’indemnisation de ses préjudices personnels et notamment, ses souffrances endurées, son préjudice esthétique, son déficit fonctionnel temporaire, son préjudice d’agrément, sa perte de chance de promotion professionnelle, son préjudice sexuel.

Pour rappel, en matière de santé et sécurité au travail, la Cour de cassation retient qu’en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité de résultat et que le manquement à cette obligation a le caractère de faute inexcusable au sens de l’article L452-1 du code de la sécurité sociale lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver [2], et ajoute qu’il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident survenu au salarié mais il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, alors même que d’autres fautes auraient concouru au dommage [3].

Il incombe au salarié qui invoque la faute inexcusable de son employeur de rapporter la preuve de ce que celui-ci avait ou devait avoir conscience du danger auquel il était exposé, et de ce qu’il n’avait pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver [4].

En application de l’article L.4121-1 du Code du travail, ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels, d’information, de formation et la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

Ainsi, pour prévenir la propagation du Covid-19, l’employeur doit notamment conduire une évaluation des risques suffisante, mettre en place les préconisations de la médecine du travail et organiser le travail de façon à prévenir les risques de contamination : télétravail, mesures d’hygiène, fourniture de matériel de sécurité (gel hydroalcoolique, masques, gants…), affichage des mesures de prévention, etc.

A défaut, l’employeur ayant conscience du danger de l’épidémie, sa faute inexcusable pourra être recherchée. Le salarié pourra ainsi prétendre à une indemnisation complémentaire de ses préjudices.

III. La plainte pénale.

Enfin, une plainte pénale visant l’infraction de mise en danger de la vie d’autrui peut être envisagée.

Trois conditions sont nécessaires pour caractériser ce délit de mise en danger.

En premier lieu, il faut établir la violation d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement. La commission d’une contravention est généralement considérée comme le support de la mise en danger.

Ensuite, la violation doit avoir exposé directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente. L’incrimination impose donc d’établir un lien de causalité direct entre la violation du texte et un risque d’une très forte probabilité d’un tel événement.

Enfin, la violation porteuse de risque pour autrui doit être manifestement délibérée. La Cour de cassation, par un arrêt du 19 avril 2017, a ainsi approuvé la condamnation d’une société pour mise en danger des salariés travaillant sur un chantier où le risque d’inhalation de fibres d’amiante était connu et alors que le risque de développer un cancer du poumon était certain.

Il semble donc que cette infraction soit applicable à certaines situations où les salariés seraient contraints de travailler sans mesures de protection.

Si le parquet décide de poursuivre l’auteur de l’infraction, le salarié victime pourra se constituer partie civile devant le Tribunal correctionnel et demander des dommages et intérêts.

Caroline Martin Avocat au Barreau de Paris cmartin@ccm-avocat.com

[1Soc. 2 avr. 2003, n°00-21.768, Bull. civ. V, n° 132.

[2Soc. 28 févr. 2002, n° 99-17.201, Bull. civ. V, n° 81.

[3Cass., ass. plén., 24 juin 2005, n° 03-30.038, Bull. civ., no 7.

[4Civ. 2e, 8 juill. 2004, n° 02-30.984.

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