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La violence dans les jeux vidéo en France et au Maroc : quel arsenal juridique ? Par Mohammed-Amine Sourhami, Doctorant.
Parution : mercredi 22 avril 2020
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Conçu pour s’amuser, défier son ami ou pour passer son temps. Le jeu vidéo dépasse largement le stade de simple loisir et devient un mode de vie. Toutefois, certains jeux vidéo offrent un contenu à caractère violent qui peut choquer le consommateur notamment les sujets mineurs d’où l’intérêt de réglementer la vente des jeux vidéo.

Aujourd’hui, les jeunes préfèrent jouer un jeu de guerre ou de combat plutôt qu’un jeu de stratégie ou de stimulation cognitive. Ce constat conduit les développeurs de produire de plus en plus de jeux comportant des scènes de violences afin de satisfaire leur clientèle.

La violence dans les jeux vidéo peut s’exprimer par des scènes de nudité, consommation d’alcool ou de dogues, propos raciste ou incitant à la haine ou par des instructions ou recommandations. Par exemple : tuer ou étrangler quelqu’un pour passer à un autre niveau où le degré de violence devient plus important. Dans la plupart des cas, elle s’articule sur « un massacre ».

Les jeux vidéo violents ont des effets indésirables, non seulement sur les mineurs mais aussi sur les adultes, tels que l’augmentation de la tension artérielle, maux de tête, troubles du sommeil, problèmes psychologiques, éloignement familiale, désocialisation, baisse de ses résultats scolaires, agressivité, mal au cœur, mal aux yeux, etc.

La violence devient de plus en plus inquiétante lorsque le récepteur est un mineur car elle peut provoquer chez lui une certaine agressivité comportementale, en raison de sa fragilité intellectuelle.

La violence employée dans les jeux vidéo accuse les éditeurs. Ces derniers, pour se défendre soutiennent que c’est aux parents qu’incombe la responsabilité de contrôler le contenu du jeu vidéo destiné à leurs enfants. De l’autre côté les parents reprochent aux éditeurs de contrôler le contenu des jeux proposés.

Si les éditeurs ou les parents ne reconnaissent pas leur responsabilité, c’est au système juridique d’intervenir en urgence afin d’encadrer et de réguler ce domaine et de mettre en œuvre tous les moyens pour éviter la consommation de ces jeux par les mineurs.

Ce phénomène est préoccupant. Les jeux vidéo sont de plus en plus présentateurs des scènes de violences sous le couvert de satisfaire un public intéressé par celle-ci.

1) Quelle définition juridique pour le jeu vidéo.

La notion de jeux vidéo a été définie pour la première fois par la Cour d’appel de Caen dans arrêt rendu le 19 décembre 1997 comme un produit complexe qui incorpore nécessairement un logiciel intégré dans la cartouche du jeu.

En revanche, cette définition s’avérait insuffisante, car un jeu vidéo dépasse la sphère du logiciel. C’est pourquoi 12 ans plus tard la première Chambre Civile de la Cour de cassation considère dans un arrêt rendu le 25 juin 2009 qu’un jeu vidéo est une œuvre complexe car il peut contenir des scénarios, des images, des sons, des compositions musicales et que la seule qualification de logiciel apparaît bien réductrice.

Cette définition a été reprise par la loi du 5 mars 2007 relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur. Selon l’art 37- II de cette loi : « Est considéré comme un jeu vidéo tout logiciel de loisir mis à la disposition du public sur un support physique ou en ligne intégrant des éléments de création artistique et technologique, proposant à un ou plusieurs utilisateurs une série d’interactions s’appuyant sur une trame scénarisée ou des situations simulées et se traduisant sous forme d’images animées, sonorisées ou non ».

Tout simplement, le jeu vidéo peut être définit comme un logiciel de loisir associé à une œuvre complexe.

2) Que dit la loi ?

Malgré leur popularité, les jeux vidéo font l’objet de peu de réglementation spécifique. Par exemple, la France n’a qu’un seul texte qui régi la violence dans les jeux vidéo. Il s’agit de la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs.

Selon l’article 32 alinéa 2 de cette loi :

« Lorsqu’un document fixé par un procédé déchiffrable par voie électronique en mode analogique ou en mode numérique peut présenter un risque pour la jeunesse en raison de la place faite au crime, à la violence, à l’incitation à l’usage, à la détention ou au trafic de stupéfiants, à l’incitation à la consommation excessive d’alcool ainsi qu’à la discrimination ou à la haine contre une personne déterminée ou un groupe de personnes, le support et chaque unité de son conditionnement doivent faire l’objet d’une signalétique destinée à en limiter la mise à disposition à certaines catégories de mineurs en fonction de leur âge. Lorsque le document contient un logiciel de loisir chaque unité de son conditionnement doit faire l’objet d’une signalétique précisant le risque contenu dans le document Les caractéristiques de la signalétique apposée sur ces documents sont homologuées par l’autorité administrative.
La mise en œuvre de l’obligation fixée aux deux alinéas précédents incombe à l’éditeur ou, à défaut, au distributeur chargé de la diffusion en France du document
 ».

Concernant la sanction, l’article 33 de la loi du 17 juin 1998 dispose :« Le fait de ne pas se conformer aux obligations et interdictions fixées au premier alinéa de l’article 32 est puni d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 15.000 Euros ».

S’agissant du Maroc, le domaine des jeux vidéo n’est pas réglementé et par conséquent Il n’existe aucune loi sur la violence dans les jeux vidéo. Cet absentéisme législatif peut être justifié par la préoccupation du pays par d’autres affaires telles que les violences conjugales.

Mais cela n’empêche pas de dire que les autorités marocaines ont la connaissance parfaite de la popularité des jeux vidéo au milieu des jeunes marocains ; que l’accès aux jeux vidéo violents par internet est facile ; que le centre international de contrefaçon des jeux vidéo à prix modeste se trouve au Maroc : « Le consommateur trouve tous les jeux, le jour même de leur sortie et cinquante fois moins cher qu’ailleurs ! » - Explique un témoin.

Après avoir vu l’arsenal juridique français en matière de violence dans les jeux vidéo. Il convient d’en examiner l’efficacité.

3) Quelle efficacité pour l’article 32 alinéa 2 de la loi du 17 juin 1998 ?

La lecture de cet article montre l’existence de plusieurs lacunes :

(a) Sur l’emploi du terme « risque » :

L’article prévoit : « lorsqu’un document peut présenter un risque pour la jeunesse ». Le risque est entendu au sens large. On ne sait pas exactement de quel risque parle le législateur.

D’ailleurs l’emploi du terme risque n’a aucune place dans l’article car le risque selon le dictionnaire juridique est marqué par l’éventualité d’un événement dommageable dont la survenance est incertaine quant à sa réalisation ou à la datte de cette réalisation. Alors que l’emploi de l’expression ‘’dommage physique ou psychique’’ dans l’article serait plus rassurant :
- Par dommage physique on entend les problèmes d’hygiènes, surpoids, mal aux yeux, etc. ;
- Par dommage psychique on retient l’addiction, désocialisation, stresse, déscolarisation, dépression, etc.

(b) Sur l’inefficacité de la signalétique :

L’article mentionne : « le support et chaque unité de son conditionnement doivent faire l’objet d’une signalétique ».

D’abord, on va définir ce qu’une signalétique. En 2003, les instances européennes ont créé le Pan European Game Information ou système PEGI permettant une signalétique spécifique des jeux vidéo en fonction de leur contenu, avec une classification par âge. Les pictogrammes PEGI apparaissent sur le devant et au dos de l’emballage et indiquent l’une des classes d’âge suivantes : 3, 7, 12, 16 et 18. Ils donnent une indication fiable du caractère adapté du contenu du jeu en termes de protection des mineurs.

Par exemple :
PEGI 3 : Le jeu est adapté à toutes les classes d’âge, pas d’images effrayantes, aucun langage grossier.
PEGI 7 : violence implicite, non détaillée ou non réaliste.
PEGI 12 : scènes pouvant choquer les plus jeunes (nudité, violence), il peut aussi comporter un langage légèrement grossier.
PEGI 16 : Scènes de violence à caractère sexuel, langage fortement grossier, usage de tabac et de stupéfiants.
PEGI 18 : Réservé aux adultes, le jeu en question contient des scènes de violence particulièrement explicites et réalistes.

La classification est une obligation légale en France. Tous les jeux vidéo sont concernés, qu’ils soient vendus sur support physique, ou en téléchargement. Le logo doit alors être visible sur la page permettant le téléchargement du jeu.

Malheureusement ce système de classement est inefficace étant donné qu’il est soustrait de tout moyen de contrôle légal, et par analogie échappe à la surveillance de l’Etat.

Ensuite, une part importante des jeux vidéo sont désormais distribués sur Internet. Les jeux y sont vendus sous forme dématérialisée, sans pochette, par téléchargement. La plupart du temps, la classification PEGI est mentionnée sur la page de présentation du jeu, mais cela n’est pas systématique. C’est le cas des mineurs qui peuvent consommer des jeux réservés, en principe, aux personnes majeures, car ils sont accessible en ligne.

S’ajoute le problème de la contrefaçon des jeux vidéo en provenance de l’Asie et qui ne satisfont pas aux obligations légales.

De plus, ce classement est purement indicatif car la signalétique n’est qu’une recommandation à l’achat et non une interdiction de vendre aux mineurs. En pratique, les vendeurs des magasins de jeux vidéo ne sont pas tenus d’interdire l’achat d’un jeu classé PEGI 18 à un mineur (sauf par décision de l’autorité administrative portant l’interdiction d’un jeu). Pour rappel le ministre de l’intérieur n’a jamais interdit de jeu vidéo.

(c) Sur les propos jugés « timides » de la loi :

L’article emploie le terme « limiter la mise à disposition à certaines catégories de mineurs en fonction de leur âge ». Or, il est préférable pour le législateur d’employer le terme « interdire la mise à disposition ».

(d) Sur la difficulté de mise en œuvre de la responsabilité de l’éditeur :

L’article dispose : « La mise en œuvre de l’obligation fixée aux deux alinéas précédents incombe à l’éditeur ou, à défaut, au distributeur chargé de la diffusion en France du document ».

Cette obligation se matérialise par la pose de la signalétique pour limiter la consommation du jeu par un mineur.

Sont visés celui qui fabrique et celui qui diffuse « les deux ne sont pas complices ». Qui dit éditeur ne dit pas distributeur et vice versa.

Par exemple :
- L’éditeur est une entreprise chargée de la fabrication du jeu comme Ubisoft, Activision, electronic arts games, Rockstars Games, Konami, funsoft, etc. ;
- Le distributeur quant à lui assure la distribution du jeu auprès du consommateur final comme Micromania.

La question qui se pose : si l’éditeur avait omis de poser la signalétique. Le distributeur disposera-il de la connaissance suffisante du produit pour la faire ? Dans l’affirmative, ce fait ne constituerait pas une ingérence dans les affaires de l’éditeur ?

Logiquement parlant la signalétique est de la charge de l’éditeur étant donné que c’est lui qui fabrique le jeu. On suppose que l’éditeur connaît très bien son produit tandis que le distributeur n’est pas en mesure voire n’est pas qualifié pour effectuer telle tâche, il n’a même pas connaissance du contenu du jeu.

Pour combler cette difficulté de mise en œuvre la responsabilité de l’éditeur la loi veut responsabiliser le distributeur par tout prix, ce qui est totalement incompréhensible.

Il est opportun que le régime de responsabilité prévu par le présent l’article soit révisé : logiquement parlant, il appartient à l’éditeur de poser la signalétique. Quant au distributeur, il a une obligation, après avoir vérifié le produit, d’informer l’éditeur de la non-conformité du jeu aux prescriptions légales et bien évidemment une obligation de refuser la distribution.

Ce phénomène est très récent, l’absence de loi au Maroc et l’insuffisance de l’arsenal juridique français constituent certainement un signal alarmant auquel les pouvoirs publics doivent réagir. Afin de surmonter ces problèmes, il convient de proposer des solutions pour l’avenir.

3) Quelles solutions pour l’avenir ?

Pour la France, il faut corriger les malfaçons la loi du 17 juin 1998 afin que le texte soit adapté avec les besoins de la sociétés.

De même, vu qu’il n’existe aucune instance de contrôle pour les jeux vidéo, il est nécessaire de s’inspirer du système préventif mis en place pour le cinéma et qui fonctionne très bien. Ce système suppose qu’aucun film ne peut être projeté ni exporté sans un visa d’exploitation délivré par le ministre chargé de la Culture après avis de la Commission de classification des œuvres cinématographiques dont le CNC assure le secrétariat. L’idée est de créer une instance de contrôle des jeux vidéo comme le CNC pour le cinéma.

Ainsi, il est préférable de réglementer la vente de jeux vidéo dans les magasins afin de répondre à la nécessité impérieuse de protéger les mineurs.

S’agissant du Maroc, tout d’abord, il est urgent de voter une loi interdisant la consommation des jeux vidéo violents par les mineurs.

Ensuite, il est souhaitable d’instaurer au Maroc un comité ou une instance comme le cas du syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (SELL) en France dont la mission principale est d’informer et de protéger le consommateur.

C’est ainsi qu’il faut introduire un système de classification propre au Maroc qui prend en considération le milieu socioculturel de l’enfant marocain et sa capacité à gérer la violence. Parce que la majorité des jeux vidéo proviennent de l’Europe et donc issu du classement PEGI.

En effet, ce système est adapté à la mentalité de l’enfant européen qui peut gérer la violence, les scènes de nudité, la consommation de la drogue, les propos racistes et grossiers, etc. alors que l’enfant marocain, issu d’une culture différente de celle de l’enfant européen, ne peut pas gérer toutes ces violences. Les règles de la morale au Maroc ne sont pas les mêmes qu’en Europe.

Aussi, il faut penser à régler le problème de contrefaçon des jeux vidéo. C’est la responsabilité des agents de douanes.

Après, il est recommandable de créer une police informatique dont le rôle est de surveiller le web et de contrôler les jeux vidéo en ligne afin d’y restreindre l’accès aux mineurs.

Pour conclure, il appartient aux parents d’assurer, par leur attitude et leurs choix éclairés, la protection physique et morale de leur enfant étant donné qu’ils sont les seuls responsables des jeux achetés ou loués.

SOURHAMI M-AMINE Chercheur doctorant en sciences juridiques CDPC - Université de Toulon amine.sourhami@outlook.com