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Puis-je promener mon alpaga en laisse pendant le confinement : considérations sur la protection animale. Par Rémi Oliveras, Clerc d’Huissier.
Parution : mercredi 22 avril 2020
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Quelle qualification juridique doit recevoir l’animal pour pouvoir être promené dans le cadre des dérogations admises par le décret du 23 mars 2020 ? Doit-il s’agit d’un animal domestique, en captivité, ou apprivoisé ?
Article vérifié par l’auteur en septembre 2023.

A l’aune des questions diverses que pose le confinement sur la possibilité d’aller fleurir les tombes ou d’assister à des mariages, se pose la question de la promenade de nos animaux de compagnie.

La police nationale a précisé sur son compte Twitter que « Moutons, lamas, autruches, alligators, boas etc... ne sont pas considérés comme animaux de compagnie et ne permettent pas une sortie dérogatoire pendant le confinement ».

Cette interprétation extensive du droit pénal nous semble particulièrement erronée, et va à l’encontre d’un mouvement général de protection des droits des animaux.

La première loi de protection animale, la loi Grammont du 2 juillet 1850 prévoyait peine de prison et peine d’amende pour ceux qui "auront exercé publiquement et abusivement des mauvais traitements envers les animaux domestiques."

Comment est défini l’animal domestique ?

La Cour de Cassation détaille le régime de la domesticité dans un arrêt du 14 mars 1861 : sont considérés comme des animaux domestiques les animaux qui "vivent, s’élèvent, sont nourris, se reproduisent sous le toit de l’homme et par ses soins".

La Cour de Cassation débute ainsi son bestiaire des animaux domestiques en y incluant les vers a soie, qui "doivent être considérés comme des animaux domestiques au sens de l’article 454 du Code pénal", afin de pouvoir punir leur empoisonnement volontaire.

La Cour de Cassation, par un arrêt du 16 février 1895 étoffe son bestiaire en incluant les taureaux de combat dans la liste des animaux domestiques, au motif que ces derniers "vivent sous la surveillance de l’homme, sont élevés, sont nourris et se reproduisent par ses soins", et rentrent dès lors dans le cadre des animaux domestiques que la loi Gramont a voulu protéger.

Les critères principaux pour considérer la domesticité d’un animal sont donc sa surveillance par l’homme (induisant une proximité avec l’habitation du propriétaire de l’animal), son élevage (les soins constants), et l’action de subvenir à ses besoins vitaux.

Une affaire de braconnage, jugée par le Tribunal Correctionnel de Chateau-Thierry le 30 juin 1899, montre les atermoiements du droit pénal pour qualifier les animaux.
Afin de sauver de pauvres bougres des contraintes de la loi pénal réprimant le vol, le magistrat se livre à un véritable exercice de zoologie pour récuser la possibilité d’appropriation de la grenouille : ainsi « La grenouille est un animal amphibie, séjournant beaucoup plus sur terre qu’au fond des eaux ; et se déplaçant facilement, [...] qu’elle circule de marécage en marécage et de fossé en fossé[...] qu’aucun droit de propriété ne saurait être assis sur un animal aussi nomade, lequel doit être en conséquence être considéré comme "res nullius"[...]. »

Les prévenus seront relaxés du chef de vol, mais condamnés à une peine minime pour délit de pêche. Cette jurisprudence s’inscrit dans la lignée des jugements du président Magnaud, prenant en considération l’état de misère des prévenus plus que le droit.

Mais loin de contredire la Cour de Cassation et la loi Grammont, les animaux en question sont ici des animaux sauvages, circulant "de marécage en marécage et de fossé en fossé". Nous ne sommes donc pas dans le cadre de la notion d’animaux domestiques, surveillés et nourris par l’Homme.

Suite de la loi Grammont de 1850, l’article 521-1 du Code Pénal perpétue les peines contre les tortionnaires d’animaux, que ces derniers soient "domestiques, ou apprivoisés, ou tenus en captivité".

Sans aucune distinction, l’article suivant punit "les expériences ou recherches scientifiques sur les animaux" en dehors des cadres légaux, sans préciser les types d’animaux considérés.

Le droit pénal oscille dans un mouvement de balancier entre la protection de l’animal de manière générale, sans considération de race, d’espèce, de domesticité ; et avec des ajouts incompréhensibles d’apprivoisement ou de captivité.

Les juridictions n’ont fort heureusement pas faibli depuis plus d’un siècle pour réprimer les mauvais comportements envers tous animaux, quel que soit leurs statuts.

Mais nous ne voyons toujours pas apparaître, au gré des atermoiements législatifs, une définition de l’animal domestique. La parade législative a consisté a inclure la totalité des animaux dans la protection animale... tout en oubliant d’y inclure les animaux sauvages.

C’est une circulaire en date du 12 Octobre 2004 relative à la liste des espèces, races, et variétés d’animaux domestiques qui considère ; dans un but de simplification, des espèces d’oiseaux "très communes en captivité"(serin des canaries, diamant mandarin, diamant de Gould, perruche ondulée, perruche callopsite, inséparable à face rose, etc …) ; comme domestiques.

Cette circulaire expurge donc les notions d’exotisme que l’on pouvait attendre pour réfuter le caractère de domesticité.

Il convient toutefois de s’interroger sur la notion d’ "animal commun en captivité" : un animal soumis au statut CITES (restriction à la vente pour les animaux en voie de disparition) peut-il être considéré de manière générale comme commun ?
Nous pouvons considérer qu’un animal pouvant être vendu sans restrictions particulières (chiens, chats, poules, ou encore brebis) rentrent dans le cadre de la domesticité.

Nous voyons là un entrecroisement des définitions, aucune ne se recoupant, selon les désidératas législatifs et les impératifs de l’époque, formant un ensemble incohérent.

Plus récemment est apparu en 2015 dans le code civil en son article 515-14 un semi-statut des animaux, domestiques ou non, les considérant comme "êtres vivants doués de sensibilité". Cette notion ne fait que reprendre celle "d’être sensible" du code rural de la pêche maritime en son article L 214-1... qui date de 1976.

Son entrée dans le code civil indique donc une mise en avant de la place de l’animal, son statut d’être sensible n’étant pas limité à la ruralité, mais bel et bien à l’ensemble des animaux, domestiques ou non.

L’intention du législateur a visiblement été d’effacer les notions de domesticité, d’apprivoisement ou de captivité pour introduire une protection générale de l’animal "sous la garde de l’homme", tant en droit civil qu’en droit pénal.

Pour en revenir au thème de cet article, les alpagas étant des animaux non soumis à des restrictions d’achat, ne figurant pas sur les annexes de la CITES, pouvant être trouvables facilement, il convient de considérer ces derniers comme des animaux domestique si ce dernier vit sous la surveillance de l’homme, et est élevé et nourri par ce dernier.

Ainsi, faire profiter à son animal des espaces verts est à considérer comme une obligation de son propriétaire en application de l’article R 215-4 du code rural, tandis que l’article L 211-19-1 du même code prévoit "l’interdiction de laisser divaguer les animaux domestiques et les animaux sauvages apprivoisé ou tenus en captivité, nécessitant l’utilisation d’un matériel adapté pour la promenade."

Un lama peut donc être considéré comme un animal domestique, et sa promenade, en laisse ou avec un matériel spécifique empêchant la divagation, rentre, en notre sens, dans le cadre des dérogations admises par le décret du 23 mars 2020.

Rémi Oliveras Clerc Collaborateur d'Huissier de Justice - Etude Nouvel (97100)