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[Chronique] Avocates, inspirez-nous ! Entretien avec Christelle Mazza (8).
Parution : mercredi 22 avril 2020
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"Avocates, inspirez-nous !" est une initiative de Christine Mejean et d’Isabelle-Eva Ternik qui a pour objectif le partage d’expériences professionnelles à travers des entretiens menés avec des avocates aux profils et parcours diversifiés, que le Village de la Justice a eu envie de relayer.

Pour cette nouvelle chronique [1], nous avons rendez-vous avec Christelle Mazza. Cette avocate, sensible à l’injustice, se consacre depuis 14 ans au droit de la fonction publique côté salarié. Elle partage ici, une vision dynamique et empreinte d’humanité de la profession d’avocat.

"Avocates, inspirez-nous" : les origines du projet.

La loi du 1er décembre 1900 a permis aux femmes d’exercer la profession d’avocat. Olga Balachowsky-Petit a été la première femme à prêter serment le 6 décembre 1900 et Jeanne Chauvin a été la première femme à plaider dans une affaire de contrefaçon de corsets en 1907.
118 ans plus tard, en 2018, les avocates sont plus de 36.000 en France et représentent plus de 55% de la profession d’avocat [2]. Cependant, seules 24,5% d’entre elles sont associées dans les 100 plus grands cabinets d’affaires et leurs revenus moyens sur l’ensemble de leur carrière sont inférieurs de plus de 50% à ceux des hommes [3].
Apprenons à les connaître ! Comment les avocates appréhendent-elles leur métier ? Quelles sont leurs clefs de succès ? Quelle(s) transformation(s) apportent-elles au sein de la profession ?


Christelle Mazza, Avocate en droit de la fonction publique depuis 14 ans ; Auteur du blog « La culture du droit ».

(Crédits photo. : Isabelle-Eva Ternik)

Ses attentes du métier d’avocat :

« Devenir avocat n’était pas ma vocation. Mais ce n’est pas non plus un hasard ! Quand j’avais 15 ans, j’ai joué le rôle d’Antigone. Cela m’a marquée de manière inconsciente : je suis très sensible aux injustices ! »

"J’essaie de contribuer à changer la société en étant une actrice de l’État de Droit."

Le sens qu’elle donne a son metier aujourd’hui :

« J’essaie de contribuer à changer la société sans faire de politique, juste en étant une actrice de l’État de Droit ».

Sa philosophie de vie professionnelle :

« Comme je n’aime pas m’investir sans résultat, si un combat est perdu d’avance, je ne vais pas le mener. Il m’apparaît opportun alors de chercher un moyen de contournement et de trouver une alternative d’action efficace. Il ne faut rien lâcher, sortir de la norme, suivre son intuition ! Ma satisfaction au quotidien est de trouver la faille dans un dossier. Il y en a toujours une ! »

Sa spécialisation :

« Au début, je faisais un peu de tout : la priorité était d’être rentable pour payer mes loyers et mes charges.
Puis, juste avant la grande restructuration de la fonction publique entre 2008 et 2010, j’ai écrit un article sur le harcèlement moral dans la fonction publique, parce que le sujet me passionnait. Cet article a eu une forte résonnance, c’est comme cela que j’ai eu de plus en plus de dossiers dans ce domaine.
Ensuite, j’ai écrit un premier livre sur la fonction publique. Cela m’a donné de la crédibilité et m’a permis d’en faire ma spécialité.
Aujourd’hui je suis quasi mono domaine avec le harcèlement dans la fonction publique. »

"Avec mon approche pluridisciplinaire, je vise à apporter une solution adaptée à la souffrance de mon client."

Ses caractéristiques d’exercice :

« Avec mon approche pluridisciplinaire qui associe psychiatres, psychologues, sociologues et philosophes, je vise avant toute chose à apporter une solution adaptée à la souffrance de mon client. Avant d’élaborer une stratégie juridique, je mène un véritable travail d’enquêteur.
Concrètement, je m’affranchis de la vision du client et je rentre dans la sociologie du service. Avec cette démarche, je sors mon client du processus de victimisation. »

Son blog :

« La culture est selon moi le meilleur médium pour sensibiliser et réveiller les consciences.
Mon blog intitulé « La culture du droit » dénonce le cynisme des dysfonctionnements organisationnels de l’Etat. J’y publie notamment des billets d’humeur, des interviews de personnes inspirantes et des récits anonymisés des épreuves ubuesques de mes clients. »

"La réponse est, à mon sens,surtout, dans la résilience."

Sa vision de l’avenir du métier :

« La justice apporte de moins en moins une réponse satisfaisante à mes clients qui travaillent dans la fonction publique. L’indemnisation devant un tribunal administratif est quasiment inexistante. Comme il s’agit de fonds publics, la victime est indemnisée a minima pour la forme. A titre d’exemple, pour une tentative de suicide au travail, le tribunal condamne généralement l’Etat à payer 2.000 euros d’indemnisation !
En cas de reconnaissance du harcèlement moral, le plus souvent, il ne se passe rien au sein de l’entité qui emploie la victime. C’est juste une décision sur un bout de papier ! S’il se passe quelque chose, c’est la victime qui est changée de service ! On la met généralement dans un placard. Le bourreau, lui, continue sa carrière sans être inquiété.
Pour toutes ces raisons, j’explore d’autres voies. Je conseille à mes clients un suivi psychologique et/ou une mutation. Ma priorité est que mon client puisse faire son deuil de l’évènement, digérer l’injustice qu’il a subie et rebondir vers un nouveau poste. La réponse n’est pas forcément dans le conflit qui paraît parfois totalement inéquitable : elle est à mon sens, surtout, dans la résilience. »

"Il faut aimer sauter dans le vide sans filet, savoir se ramasser et rebondir !"

Ses conseils aux étudiants :

« Quand on pense au métier d’avocat, on imagine le travail intellectuel, la plaidoirie, la noblesse de la charge. Or, il y a beaucoup de temps consacré à la gestion administrative et financière, la recherche de clients, le développement commercial. Pour exercer une profession libérale, il faut aimer sauter dans le vide sans filet, ne pas avoir peur du danger et de l’incertitude. Il faut savoir se ramasser et rebondir ! »

Ses conseils aux jeunes avocats :

« Il est essentiel de trouver son identité d’avocat, afin de se démarquer dans un marché ultra-concurrentiel. Il faut rester à sa mesure, suivre ses instincts et tracer sa route. Et croire en soi ! Les choses se font petit à petit : l’humilité est importante.

"Il est essentiel de trouver son identité d’avocat, afin de se démarquer."

Il faut aussi être réaliste ! Ne jamais se comparer aux autres : si on se compare à un ténor du barreau qui a 30 ans d’expérience, on se trouve nul. Sauf que, voilà, on est jeune, en début de carrière et on n’a d’ailleurs peut-être pas envie d’exercer le métier de la même manière ».

Ses trucs et astuces pour réalimenter le moteur au quotidien :

« La juste mise à distance est essentielle dans le métier d’avocat ! Il arrive que des évènements fragilisent le mécanisme de distanciation. Quand cela se produit, je pars passer du temps dans la nature. Je fais retomber le volcan en éruption ! Couper le survoltage évite de prendre des décisions à chaud qui pourraient avoir des conséquences fâcheuses. »

Equilibre vie pro – vie perso :

« Avoir ou ne pas avoir d’enfant est une question de choix personnel, indépendant des orientations de carrière.
En France, on entend souvent que si on n’a pas d’enfant en tant que femme, on a raté sa vie. Le mouvement Childfree, qui est né aux Etats-Unis dans les années 1970, est arrivé en France en 2014. Je m’y suis intéressée et j’ai même écrit sur ce sujet. Il faut faire un vrai choix d’être mère en ayant conscience des implications que cela peut générer.
Mener vie professionnelle et vie familiale en parallèle, cela implique quoi concrètement ? Soit on ralentit un peu sa carrière… soit on délègue un peu ses enfants… Avec ou sans enfant, on n’a ni le même rythme de travail ni les mêmes hobbies. C’est mathématique ! On n’a pas la même durée de temps à consacrer à ses clients, sans parler de l’énergie et de la disponibilité intellectuelle. C’est une vraie question d’organisation et de conciliation. »

"Je me bats pour qu’on ne chosifie pas la femme et pour qu’on nous écoute."

A votre avis, être une femme est-il un atout dans l’avocature ?

« Être une femme dans le métier d’avocat n’est - à mon sens - pas un atout. Je ne ferais pas de distinction de genre. Je connais des femmes dures et des hommes empathiques. Pour autant, je suis féministe. Je me bats pour qu’on ne chosifie pas la femme et pour qu’on nous écoute, afin que finalement, il n’y ait pas de distinction sur notre valeur en fonction du genre. »

Avez-vous déjà été témoin d’attitudes sexistes ?

« Jeune collaboratrice, c’était la jeunesse qui était un souci et non la féminité. Mes plus grands problèmes relationnels dans ma carrière, je les ai même plutôt eus avec des femmes. »

Propos recueillis par: Christine Méjean et Isabelle-Eva Ternik, Avocates.

[1Le précédent entretien avec Nadine Rey.

[2Source : www.justice.gouv.fr

[3Source : Rapport Haeri 2017.