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L’indemnisation de la victime d’accident de moto. Par Avi Bitton, Avocat et Juliette Levavasseur, Juriste.
Parution : mercredi 6 mai 2020
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Comment la victime d’un accident de moto peut-elle être indemnisée ? Quelles sont les préjudices indemnisables ? Qui indemnise la victime ?

I. Définition de l’accident de moto.

Selon l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière, en 2018 24% des accidents corporels ont impliqué au moins une moto et le risque d’être tué était 22 fois plus important, à distance parcourue équivalente, au guidon d’une motocyclette qu’au volant d’une voiture.

L’accident de moto fait partie des accidents de la circulation. Il peut avoir lieu entre deux motos, une moto et un autre véhicule ou entre une moto et un piéton.

Il se peut aussi qu’il n’y ait aucun tiers responsable de l’accident lorsque par exemple, le conducteur de la moto perd le contrôle de son véhicule. En 2018, 34% des motocyclistes tués l’ont été sans implication d’un tiers.

L’accident de moto qui a lieu au cours d’un déplacement professionnel ou d’un déplacement domicile-travail obéit au régime spécifique des accidents du travail ou de trajet.

II. Indemnisation de la victime d’accident de moto.

La loi Badinter du 5 juillet 1985 est applicable aux accidents de la circulation. Cette loi distingue selon que la victime est conductrice ou non.

A. La victime conductrice.

Le régime de l’indemnisation de la victime conductrice est différent selon que l’accident a été causé par un tiers ou non.

1. L’accident a été causé par un tiers.

La loi Badinter prévoit que les dommages corporels causés à la victime conductrice doivent être indemnisés. La faute de la victime, par exemple un excès de vitesse, peut lui être opposée et aboutir à la diminution voire à l’exclusion de son droit à indemnisation.

La première étape à suivre est de contacter l’assurance du responsable de l’accident afin de lui demander de prendre position sur la mobilisation des garanties et sur l’indemnisation des préjudices.

En cas de désaccord avec la compagnie d’assurance, il est possible de saisir la justice pour demander la réparation des préjudices subis.

Plusieurs voies sont alors ouvertes :
- Il est possible de saisir le tribunal judiciaire qui appliquera la loi Badinter et les règles de procédure civile. Il revient alors à la victime de rapporter la preuve de l’existence d’une faute, d’un préjudice et du lien de causalité entre les deux ;
- Lorsque le comportement du responsable de l’accident est constitutif d’une infraction, par exemple de violences involontaires, il est possible d’obtenir réparation devant les juridictions pénales.

La victime peut, si l’action publique a été mise en mouvement, se constituer partie civile à tout moment jusqu’aux réquisitions du ministère public à l’audience.

Si l’action publique n’a pas été mise en mouvement, la victime peut soit adresser une plainte avec constitution de partie civile au doyen des juges d’instruction, soit citer l’auteur des faits devant la juridiction compétente au moyen d’une citation directe.

2. Accident sans tiers responsable.

Tout d’abord, il faut noter que les contrats Garantie accident de la vie, qui ont pour but d’indemniser les accidents sans tiers responsable, ne couvrent pas les accidents de la circulation.

En l’absence de tiers responsable, le conducteur ne pourra être indemnisé que s’il a souscrit une garantie du conducteur. Cette garantie spécifique permet au conducteur d’être indemnisé lorsqu’il subit des dommages corporels alors qu’il est responsable d’un accident ou alors qu’il a perdu le contrôle de son véhicule.

B. Le piéton ou passager victime d’un accident de moto.

Les victimes non conductrices bénéficient d’un régime particulièrement protecteur. Il n’est en effet pas possible de leur opposer leur faute pour diminuer ou exclure leur droit à indemnisation.

Il existe cependant deux exceptions :
- Lorsque le dommage a été volontairement recherché par la victime ;
- Lorsque la victime a commis une faute inexcusable qui a été la cause exclusive de l’accident. La faute inexcusable ne peut cependant pas être opposée à la victime âgée de moins de 16 ans ou de plus de 70 ans ou ayant un taux d’incapacité d’au moins 80%.

C. Le régime dérogatoire en matière d’assurance.

- Les délais imposés par la loi Badinter.

La loi Badinter prévoit que l’assureur doit faire une offre d’indemnisation à la victime dans un délai de 8 mois à compter de l’accident. Si la victime n’est pas consolidée dans les trois mois suivant l’accident, l’assureur doit faire une offre provisionnelle à la victime et devra faire son offre définitive dans les cinq mois suivant la date à laquelle il est informé de la consolidation.

Lorsque l’offre a été acceptée, le paiement doit intervenir dans le délai d’un mois suivant l’expiration d’un délai de dénonciation de la transaction.

- Le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO).

Le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO) indemnise la victime d’accident de la circulation quand le responsable ou son assureur ne peuvent pas le faire.
Ce sera, par exemple, le cas si le responsable de l’accident n’est pas identifié ou n’est pas assuré ou encore si son assureur est insolvable.

Le FGAO n’intervient que si l’accident a eu lieu dans un lieu public en France ou, sous certaines conditions, dans un pays membre de la CEE (Communauté économique européenne).

Le FGAO n’indemnise jamais les dommages causés au conducteur responsable de l’accident de la route. Si le véhicule a été volé par la victime ou si elle s’est rendue complice de ce vol, elle ne sera pas non plus prise en charge par le FGAO. Enfin, les victimes étrangères qui ne résident pas sur le territoire français ou sur le territoire d’un Etat membre de la CEE ne peuvent pas non plus être indemnisées par le FGAO.

Il faut saisir le FGAO dans le délai d’un an après l’accident si le responsable est identifié ou dans le délai de 3 ans si le responsable est inconnu.

D. La Commission d’indemnisation des victimes d’infractions.

La Commission d’indemnisation des victimes d’infraction (CIVI) indemnise les victimes qui ne peuvent pas être indemnisées par le FGAO.

Il est nécessaire, pour que la CIVI intervienne, qu’une infraction pénale (notamment celle de violences involontaires) puisse être retenue contre l’auteur de l’accident.

Elle indemnise, sous certaines conditions relatives aux ressources financières et à la gravité des blessures, les dommages de la victime d’un accident de la route ayant eu lieu à l’étranger dans un pays avec lequel la France n’a pas conclu d’accord de réciprocité.

La saisine de la CIVI doit avoir lieu dans un délai de 3 ans à compter de la date de l’accident.

E. L’accident du travail et l’accident de trajet.

- Lorsque l’accident a eu lieu durant un déplacement professionnel sur une voie publique ouverte à la circulation, le régime des accidents du travail est applicable.

Il s’agit d’un régime spécifique de responsabilité sans faute. La victime se voit automatiquement accorder une indemnisation forfaitaire par la sécurité sociale.

Elle a la possibilité de demander une réparation complémentaire sur le fondement de la loi Badinter du 5 juillet 1985 si un véhicule conduit par l’employeur ou l’un de ses préposés a été impliqué dans l’accident ou devant le pôle social du tribunal judiciaire si l’employeur a commis une faute inexcusable ou volontaire.

- Si l’accident a eu lieu pendant le trajet domicile-travail, il s’agit d’un accident de trajet qui est assimilé à un accident du travail.

Le salarié victime d’un accident de trajet peut obtenir une réparation complémentaire sur le fondement du droit commun.

L’action en faute inexcusable de l’employeur ne lui est, par contre, pas ouverte.

F. Les préjudices indemnisables.

1. En présence d’un tiers responsable.

Le principe est la réparation intégrale des préjudices subis par la victime. Il s’agit d’indemniser tout le préjudice mais rien que le préjudice.

On distingue les préjudices patrimoniaux, qui touchent le patrimoine de la victime, et les préjudices extrapatrimoniaux qui ne concernent pas le patrimoine de la victime.

On distingue aussi les préjudices temporaires, qui ont été subis par la victime avant la consolidation de son état, et les préjudices permanents qui sont les préjudices existants après la consolidation.

La consolidation est le moment où l’état de santé de la victime est stabilisé, n’est plus susceptible d’évoluer.

Les préjudices patrimoniaux sont :

Pour les préjudices patrimoniaux temporaires :
- Les dépenses de santé actuelles : il s’agit des dépenses de santé (hospitalières, pharmaceutiques) qui sont restées à la charge de la victime entre la date de l’accident et celle de la consolidation ;
- Les frais divers : ce sont les frais exposés par la victime entre le moment de l’accident et la date de consolidation (par exemple frais d’expertise, frais de transport) ;
- Les pertes de gains professionnels actuels : il s’agit d’indemniser les pertes de revenus de la victime.

Pour les préjudices patrimoniaux permanents :
- Les dépenses de santé futures : ce sont des dépenses de santé qui seront exposées par la victime après la consolidation de son état et qui resteront à sa charge ;
- Les frais de logement adapté : ce sont les frais d’équipement du logement de la victime (par exemple douche à l’italienne, rampes) ;
- Les frais de véhicule adapté : il peut s’agir de prendre en charge l’aménagement du véhicule de la victime (par exemple changer une boîte de vitesse manuelle en automatique), de prendre en charge les frais relatifs à l’achat d’un nouveau véhicule ou les frais découlant de la nécessité d’utiliser les transports en commun ;
- L’assistance par tierce personne : il s’agit de l’aide humaine apportée par des proches de la victime ou par un prestataire pour l’aider à accomplir les actes de la vie courante (notamment toilette, alimentation, habillement, ménage, surveillance) ;
- La perte de gains professionnels futurs : elle est définie dans la nomenclature Dintilhac (un document de référence en matière de dommage corporel), comme l’indemnisation de « la perte ou de la diminution des revenus consécutive à l’incapacité permanente à laquelle la victime est désormais confrontée dans la sphère professionnelle à la suite du dommage » ;
- L’incidence professionnelle : ce poste vise à indemniser les conséquences négatives de l’accident sur la carrière professionnelle de la victime (notamment perte de chance de promotion, pénibilité accrue) ;
- Le préjudice scolaire, universitaire ou de formation : il vise à indemniser le retard dans la formation ou l’interruption de la formation en lien avec l’accident.

Les préjudices extrapatrimoniaux sont :

Pour les préjudices extrapatrimoniaux temporaires :
- Le déficit fonctionnel temporaire : il est défini dans la nomenclature Dintilhac comme visant à « indemniser l’invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle jusqu’à sa consolidation ». Il s’agit d’indemniser les « périodes d’hospitalisation mais aussi la perte de qualité de vie et celle des joies usuelles de la vie courante » ;
- Les souffrances endurées : il s’agit des souffrances physiques ou psychiques qui ont été ressenties par la victime. Elles sont évaluées sur une échelle de 0 à 7 ;
- Le préjudice esthétique temporaire : il vise à compenser l’altération temporaire de l’apparence physique de la victime (exemple : nez cassé, dents cassées, claudication). Il est aussi évalué sur une échelle de 0 à 7.

Pour les préjudices extrapatrimoniaux permanents :
- Le déficit fonctionnel permanent : il vise à indemniser, selon la nomenclature Dintilhac, « non seulement les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime, mais aussi la douleur permanente qu’elle ressent, la perte de la qualité de vie et les troubles dans les conditions d’existence qu’elle rencontre au quotidien après sa consolidation ». Ce poste de préjudice a aussi pour objet de réparer la perte d’autonomie subie par la victime ;
- Le préjudice d’agrément : il s’agit de l’impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer certaines activités qu’elle affectionnait et pratiquait régulièrement ou à tout le moins de l’impossibilité de continuer à pratiquer ces activités dans les mêmes conditions (fréquence, intensité) ;
- Le préjudice esthétique permanent : c’est l’altération définitive de l’apparence de la victime ;
- Le préjudice sexuel : il s’agit d’indemniser la perte de libido, de plaisir sexuel, de fertilité ainsi que l’éventuel préjudice morphologique ;
- Le préjudice d’établissement : il vise à indemniser l’impossibilité pour la victime d’avoir un projet de vie familiale normale.

S’agissant des accidents du travail, l’indemnisation est forfaitaire et automatique. Il est toutefois possible pour la victime d’obtenir une indemnisation complémentaire sous les conditions qui ont été développées ci-dessus.

2. En l’absence de tiers responsable.

Si la victime conductrice a souscrit une garantie du conducteur, les préjudices indemnisés sont indiqués dans le contrat. Le montant global de l’indemnisation est en général plafonné.

Avi Bitton, Avocat, Ancien Membre du Conseil de l’Ordre Juliette Levavasseur, Juriste Tél. : 01.46.47.68.42 Courriel: [->avocat@avibitton.com] Site: [->https://www.avibitton.com]