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Contrôle et contentieux URSSAF : les prescriptions applicables ! Par François Taquet et Michelle Amante, Avocats.
Parution : vendredi 24 avril 2020
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Les prescriptions applicables dans le cadre du contrôle et contentieux URSSAF relèvent parfois du casse-tête chinois. Certes, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 (loi n° 2016-1827 du 23 décembre 2016) a rendu la matière moins ardue. Toutefois, certaines questions continuent à se poser. Un état des lieux s’impose avant de passer à quelques propositions.

I – Un système de prescriptions plus lisible.

C’est effectivement la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 qui a mis fin à un système de prescription complexe et peu compréhensible.

Pratiquement, il existait avant cette date cinq délais de prescriptions distincts soit en fonction de leur durée, soit en fonction de leur point de départ :
- les cotisations et contributions sociales faisaient l’objet d’un délai de prescription « à rebours » : il n’était en effet possible de demander le paiement par la voie d’une mise en demeure que pour les cotisations exigibles pour les trois années précédant l’envoi ; ce délai était porté à cinq ans en matière de travail illégal ;
- les pénalités et majorations de retard se prescrivaient dans un délai de deux ans à compter de de la production des déclarations ou de la mise en demeure du principal pour les premières et du paiement du principal pour les secondes ;
- l’action en recouvrement des cotisations se prescrivait dans un délai de cinq ans à compter de l’expiration de la mise en demeure au terme du délai d’un mois ;
- la contrainte non contestée et devenue définitive se prescrivait dans un délai de trois ans (longtemps alignée sur le délai de prescription des décisions de justice dont elle a tous les effets (c’est-à-dire 30 ans), la contrainte avait vu son délai de prescription alignée sur l’action à laquelle elle se rattachait par la Cour de Cassation [1]

Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce système était « peu lisible pour le cotisant » [2] et nécessitait une refonte d’ensemble.

Désormais, il convient de distinguer quatre situations :

La prescription des cotisations et contributions sociales qui est de trois ans à compter de la fin de l’année civile au titre de laquelle elles sont dues.

Pour les cotisations et contributions sociales dont sont redevables les travailleurs indépendants, cette durée s’apprécie à compter du 30 juin de l’année qui suit l’année au titre de laquelle elles sont dues [3].
Ce délai est porté à cinq ans en cas de constatation d’une infraction de travail illégal (CSS art L 244-11). On relèvera, par rapport à la situation précédente, que la computation des délais ne s’effectue plus « à rebours » de la date de mise en demeure mais à compter de l’expiration de l’année au cours de laquelle elles sont dues. Ainsi que l’avait relevé le rapporteur du texte au Sénat, « cette modification ne change pas de facto l’état du droit mais elle est plus lisible » [4].

On mentionnera également, s’agissant des majorations de retard, que la prescription est de 3 ans (5 ans en cas de travail illégal) à compter du 31 décembre de l’année au cours de laquelle a eu lieu le paiement ou l’exigibilité des cotisations ayant donné lieu à l’application de ces majorations [5].

Pour les pénalités, la prescription est désormais de 3 ans (5 ans en cas de travail illégal) à compter de la fin de l’année au cours de laquelle a eu lieu la production de la déclaration ou, à défaut, à compter de la fin de l’année au cours de laquelle le cotisant a été mis en demeure de régler les cotisations et contributions [6].

Ainsi que l’a mentionné la jurisprudence, la prescription triennale des cotisations est interrompue dès lors qu’il est justifié de l’envoi au cotisant de la lettre recommandée avec avis de réception valant mise en demeure, la circonstance que le cotisant ne soit pas allé retirer ce pli recommandé étant indifférente [7].
Qui plus est, le point de départ de cette prescription triennale correspond à la date à laquelle les sommes dues sont exigibles [8].

Le délai de prescription de l’action civile en recouvrement qui est de trois ans à compter de l’expiration au terme d’un délai d’un mois de la mise en demeure [9].
Afin d’expliquer cette réduction du délai de prescription de 5 à 3 ans, il a été relevé que l’efficience imposait des délais de recouvrement brefs (en effet, le taux de recouvrement des créances est élevé dans les premiers mois de la procédure puis décroît au fil du temps ; ainsi, la probabilité de recouvrement à trois ans, qui est relativement faible (4,8%), est très proche de celle à cinq ans [10].

On relèvera que la saisine de la commission de recours amiable (qui n’est pas une juridiction) n’interrompt pas la prescription. Avant le terme du délai de prescription, l’organisme de recouvrement a donc la faculté de délivrer une contrainte et ce, avant même la décision de la commission de recours amiable [11].

Le délai de prescription de l’action en exécution de la contrainte non contestée et devenue définitive qui est de trois ans à compter de la date à laquelle la contrainte a été notifiée ou signifiée, ou un acte d’exécution signifié en application de cette contrainte [12].
En d’autres termes, l’organisme disposera de trois ans pendant lesquels il pourra émettre des actes d’exécution (saisie...).

Le délai de prescription d’une contrainte contestée est de 10 ans (Code des procédures civiles d’exécution art L 111-3 et L 111-4)

Le système peut ainsi être résumé :

Situation Prescription applicable
Cotisations et contributions 3 ans (5 ans en cas de travail illégal) à compter de la fin de l’année civile au titre de laquelle les cotisations sont dues ou, pour les travailleurs indépendants, à compter du 30 juin de l’année suivant l’année au titre de laquelle elles sont dues (CSS art. L 244-3 et L 244-11)
Majorations de retard 3 ans (5 ans en cas de travail illégal) à compter du 31 décembre de l’année au cours de laquelle a eu lieu le paiement ou l’exigibilité des cotisations ayant donné lieu à l’application de ces majorations (CSS art. L 244-3 et L 244-11)
Pénalités de retard 3 ans (5 ans en cas de travail illégal) à compter de la fin de l’année au cours de laquelle a eu lieu la production de la déclaration ou, à défaut, à compter de la fin de l’année au cours de laquelle le cotisant a été mis en demeure de régler les cotisations et contributions (CSS art. L 244-3 et L 244-11)
Délivrance de la contrainte ou action civile en recouvrement devant le tribunal des affaires de sécurité sociale 3 ans (5 ans en cas de travail illégal) à compter de l’expiration du délai imparti par les mises en demeure pour régulariser la situation (CSS art. L 244-8-1 et L 244-11)
Exécution de la contrainte non contestée et devenue définitive 3 ans (5 ans en cas de travail illégal) à compter de la date à laquelle la contrainte a été notifiée ou signifiée ou un acte d’exécution signifié en application de cette contrainte (CSS art. L 244-9 et L 244-11)
Contrainte contestée 10 ans (Code des procédures civiles d’exécution art L 111-3 et L 111-4)
(Source : F. Taquet et M. Amante, Avocats)

II – Un système à parfaire.

Même si le système proposé par la LFSS de 2017 est plus lisible, il est loin d’être parfait et ce pour au moins trois raisons :

La prescription des cotisations s’opère sur une période plus longue que la répétition de l’indu.
En effet, suivant l’article L 244-3 al 1 du Code de la sécurité sociale, « les cotisations et contributions sociales se prescrivent par trois ans à compter de la fin de l’année civile au titre de laquelle elles sont dues. Quant à l’article L 243-6 I al 1 du même Code, il prévoit que « la demande de remboursement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales indûment versées se prescrit par trois ans à compter de la date à laquelle lesdites cotisations ont été acquittées ».

En d’autres termes, la prescription des cotisations est sur 3 ans plus l’année en cours, alors que la répétition de l’indu se fera sur 3 ans. En clair, cela veut dire que lorsque l’URSSAF réclame de l’argent, elle le fait sur une période de 3 ans plus l’année en cours (Exemple : une mise en demeure qui a été envoyée en décembre 2019 concernera toute l’année 2016, 2017, 2018 et 2019 jusqu’en décembre).
En revanche, en cas de trop versé la prescription est de 3 ans à compter de la date où les cotisations ont été versées (ainsi, imaginons qu’un employeur demande une restitution de cotisations en décembre 2019, sa demande ne concernera que la période décembre 2016 – décembre 2019). Etrange situation où un organisme de recouvrement peut réclamer au cotisant des sommes sur une période plus longue qu’elle n’est tenue de le faire en cas de remboursement  [13]

Depuis la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017, l’article L 244-3 alinéa 2 du Code de la sécurité sociale dispose que « dans le cas d’un contrôle effectué en application de l’article L. 243-7, le délai de prescription des cotisations, contributions, majorations et pénalités de retard est suspendu pendant la période contradictoire mentionnée à l’article L. 243-7-1 A ».

En résumé, la phase d’échange ne doit pas conduite à réduire les droits des URSSAF quant au recouvrement des créances. Fini donc les procédures précipitées de fin d’année par les organismes de recouvrement, les mises en demeure envoyées in extrémis à la fin du mois de décembre et ce dans le but de sauvegarder la prescription ! Nul ne saurait blâmer cette intention du législateur tiraillé entre le nécessaire respect de la procédure contradictoire et la nécessité pour les URSSAF de recouvrer ses créances afin d’assurer le financement de la protection sociale (on relèvera d’ailleurs que le système est inspiré du droit fiscal : Liv proc fisc art 189).
Toutefois, quelle est la durée de cette période contradictoire ? Le début de cette période paraît simple : c’est la date à laquelle « l’agent chargé du contrôle adresse à la personne contrôlée » la lettre d’observations.
La fin est en revanche plus difficile à appréhender. Doit-on considérer que ladite période prend fin au terme du délai de réponse aux observations (qui est de 30 jours (CSS art R 243-59 III al 8), sachant que cette durée peut être prolongée sur demande du cotisant reçue par l’organisme avant l’expiration du délai initial, et sauf exception (CSS art L 243-7-1 A al 2) ou après la réponse de l’agent chargé du contrôle (CSS art R 243-59 III al 9) ou encore à la date d’envoi de la mise en demeure (CSS art L 244-2) ? Sur ce point, les textes manquent de précision.

Etrangement, le décret n° 2017-1409 du 25 septembre 2017 édictait que « la période contradictoire prévue à l’article L 243-7-1 A prenait fin à la date de l’envoi de la mise en demeure ou de l’avertissement mentionnée à l’article L 244-2 du présent code ». Toutefois, cette mention créait pour le moins une véritable et inacceptable insécurité juridique pour le cotisant puisque l’URSSAF dans un tel schéma, était seule maître du temps, ce qui pouvait entrainer des majorations de retard aggravées pour le cotisant.

Discrètement, le décret n° 2019-1050 du 11 octobre 2019 réformait la réforme en disposant que “la période contradictoire prend fin, en l’absence de réponse de la personne contrôlée, au terme des délais prévus au huitième alinéa du présent III ou à la date d’envoi de la réponse de l’agent chargé du contrôle mentionnée au dixième alinéa du même III ». Ainsi, c’est la fin du délai de 30 jours (éventuellement renouvelé) ou la date d’envoi de la réponse de l’inspecteur qui constitue désormais le terme de la période contradictoire. Certes, les nouvelles dispositions semblent plus protectrices pour le cotisant. Toutefois, il ne fit guère oublier que l’organisme de recouvrement de recouvrement ne dispose pas de délai pour répondre aux remarques du cotisant !

(Source : F. Taquet et M. Amante, Avocats)

Il serait sans doute nécessaire que l’article L 244-3 al 2 du Code de la sécurité sociale fixe un délai maximum de suspension du « délai de prescription des cotisations, contributions, majorations et pénalités de retard". Car, la situation actuelle ne contribue ni à la transparence ni à la sécurité juridique. Une entreprise contrôlée est en droit de recevoir les résultats du contrôle dans un délai raisonnable, d’autant que les majorations de retard courent pendant cette période.

Or, la disposition introduite par la LFSS 2017 ne va pas dans ce sens et n’incite guère les organismes à « presser le mouvement » puisque toute la période depuis les observations jusque la mise en demeure est suspendue. Or, justement la loi est là pour prévenir les abus. En ce sens, il serait raisonnable de prévoir que le délai de prescription des cotisations, contributions, majorations et pénalités de retard est suspendu pendant la période contradictoire et pour une durée maximum de 6 mois…

Ces quelques propositions auraient le mérite d’améliorer l’édifice juridique actuel. Reste à savoir si le législateur est disposé à en tenir compte !

Michelle Amante, Avocat. François Taquet, Professeur de droit social, Avocat spécialiste en droit du travail et protection sociale. www.francois-taquet.com

[1Cass civ.2°. 17 mars 2016. pourvoi n° 14-21747, 14-22575 - 31 mars 2016. pourvoi n° 15-14527.

[2V. Rapport Assemblée Nationale n° 4151.

[3CSS art L 244-3.

[4Rapport Sénat n° 114.

[5CSS art. L 244-3 et L 244-11.

[6CSS art. L 244-3 et L 244-11.

[7Cass civ. 2°. 14 décembre 2006 pourvoi n° 05-17859 - Toulouse, 4ème chambre sociale - section 3, 30 août 2019, RG n° 18/01276 - 6 décembre 2019, n° 18/02743.

[8Toulouse. 4ème chambre sociale - section 3. 8 mars 2018 RG n° 17/03369.

[9CSS L 244-8-1 – le délai d’un mois étant celui prévu pour que le débiteur puisse régulariser sa situation : CSS art L 244-2 - ledit délai serait de 5 ans « en cas de constatation d’une infraction de travail illégal par procès-verbal » CSS art L 244-11.

[10Etude d’impact du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017. p 100 s.

[11Bordeaux. Chambre sociale - section B. 7 septembre 2017. RG n° 16/04036.

[12CSS art L 244-9 al 2 – ledit délai serait de 5 ans « en cas de constatation d’une infraction de travail illégal par procès-verbal » CSS art L 244-11.

[13V. Bourges Chambre sociale 22 mars 2018 RG n° 17/00053 – Montpellier4ème B chambre sociale 21 mars 2018 RG n° 17/04013.

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