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La révision du contrat de travail en droit tunisien au temps du Coronavirus. Par Mohamed Mdella, Juriste.
Parution : mercredi 29 avril 2020
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Pour faire face aux circonstances exceptionnelles dues au coronavirus le Chef du Gouvernement Tunisien, habilité par la loi à prendre des décret-lois dans l’objectif de faire face aux répercussions de la propagation du Coronavirus « Covid-19 », a pris le 14 avril 2020 le décret n° 2020-2 portant suspension exceptionnelle et provisoire de quelques dispositions du Code du travail relatives essentiellement à la rupture du contrat de travail, au licenciement et à la mise en chômage pour cas de force majeure ou cas fortuit. On se demande sur ce, s’il est possible en présence de ce dispositif juridique et en dépit de ce décret-loi, de procéder à la révision du contrat de travail.

Coronavirus est-il un juste motif pour réviser le contrat de travail ? une question qui ne cesse de pousser la réflexion des juristes se trouvant devant une hypothèse qui tend à bouleverser les principes régissant les rapports de travail.

Amplement sont les problématiques qui se sont posées partout dans le monde à propos de la révision du contrat de travail telle qu’elle est imposée par les circonstances économiques actuelles pesant lourd sur les entreprises.

Déclaré en tant que pandémie, Coronavirus a forcé la plupart des pays à prendre des mesures de confinement des populations afin de freiner le développement du virus à travers le monde. Des mesures qui ont vite impacté les relations commerciales, poussant les entreprises à mettre en évidence la question de la révision des contrats en cours et notamment les contrats de travail.

La Tunisie touché par la vague du virus, n’a pas échappé aussi, à des appels à la révision des rapports de travail, quelques entreprises ont même procédé sous les prétendues difficultés économiques aux ruptures des contrats en cours, bien qu’un décret-loi [1] du 14 avril 2020 a suspendu explicitement l’application de l’article 14-C et l’article 21-12 du code de travail.

Devant de tels attitudes on se demande si la pandémie du coronavirus et ses effets sur l’environnement socio-économique, peuvent justifier la révision du contrat de travail ? dans quelles hypothèses et qu’elles sont les mesures qui s’imposent dans ce cadre ? à défaut qu’elles sont les conséquences qui peuvent en découler ?

Etant un contrat synallagmatique, le contrat de travail est soumis en principe aux volontés des parties et ne peut-être révoqué que par leur consentement mutuel ou dans les cas prévus par la loi [2]. Ainsi seul les parties, employeur et salarié, peuvent d’un commun accord et indépendamment des circonstances créées par la pandémie ou des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, décider de rompre le contrat. Ce cas de rupture ne donne pas au salarié le droit à des réparations quelconques, sauf circonstances exceptionnelles [3].

L’impact du coronavirus sur la vie économique en général et sur les entreprises en particulier est certain, qu’il peut donner lieu à la révision des contrat de travail conclus soit avec l’ensemble de employés ou encore avec quelques-uns d’entre eux.

Une telle opération peut intervenir par décision de l’employeur avec ou sans l’accord des employés concernés, comme elle peut émaner idéalement de l’initiative des employés qui croient à la pérennité de l’entreprise. La révision prendrait ainsi et selon les cas, des hypothèses ayant chacune des conséquences bien déterminées(II). qu’il faut les examiner après l’étude des dispositions du décret-loi du chef du gouvernement n°2020-2 sus-indiqué, et qui s’avèrent pleines d’enseignements essentiels en rapport avec le contrat de travail (I).

I- La révision du contrat de travail après le décret-loi n°2020-2.

Pour faire face à la crise économique liée à la propagation du coronavirus, le Chef du Gouvernement tunisien habilité par la loi du 12 avril 2020, a pris un ensemble de mesures pour limiter l’impact du virus tant sur le plan économique que social [4].

Ainsi et dans le but de protéger l’emploi, le décret-loi du Chef du Gouvernement n° 2020-2 du 14 avril 2020, adopté, dispose dans ses articles 1er et 2 la suspension provisoire des articles 14-C et 21-12 du Code de travail.

Aux termes de l’article 14-C du Code du travail [5] le contrat de travail, à durée déterminée ou indéterminée, peut être résilié en cas d’empêchement d’exécution du contrat de travail résultant d’un cas fortuit ou de force majeure,

D’autre part, sont réputés abusifs, selon les dispositions de l’article 21-12 du Code de travail [6] les licenciements et mises au chômage économiques qui interviendraient en raison d’un cas de force majeure ou en raison d’un cas fortuit, sans avis préalable de la commission du contrôle du licenciement durant cette période.

Seuls alors, les cas de force majeure ou de cas fortuit constituent des motifs légitimes et légaux pouvant donner aux parties de résilier le contrat de travail s’il y aurait bien sûr empêchement de son exécution. De même pour les licenciements et mises en chômage économique faites pour les mêmes raisons.

L’application du décret-loi du chef du gouvernement n°2 du 14 avril 2020, venant suspendre les dispositions des articles 14-C et 21-12 du code de travail, est déterminée par l’existence d’un cas de force majeure ou un cas fortuit qui, d’une part, peuvent empêcher l’exécution du contrat de travail, hypothèse qui concerne l’employé à titre individuel, ou encore justifier les licenciements et les mises en chômage économique, l’hypothèse qui concerne plutôt les masses d’employés.

Dans ces hypothèses, deux interrogations viennent à l’esprit dont les réponses caractérisent amplement la nature d’application réservée au décret-loi sus-mentionné ; le coronavirus est-il un cas de force majeur ou un cas fortuit ? et si c’est le cas vraiment quel est l’impact du coronavirus sur le contrat de travail

A- Le Coronavirus, est-il un cas de force majeure ou un cas fortuit ? l’incertitude.

Le cas de force majeure comme le cas fortuit sont des causes d’exonération de responsabilité. Afin d’être reconnus et retenus comme tels, ils doivent obéir aux conditions de l’extériorité l’imprévisibilité et l’irrésistibilité. Toutefois la distinction entre les deux cas n’est pas sans intérêt tant qu’on parle de risque et de degré de responsabilité.

De ce fait, la force majeure est un phénomène imprévisible et extérieur à l’entreprise alors que le cas fortuit est un événement qui échappe aux prévisions humaines, mais se rattache au fonctionnement même de l’entreprise. Le caractère quelque part absolu du cas de force majeure rend les événements toujours au-dessus des forces humaines, alors que dans le cas fortuit, les événements ne sont que provisoirement au-dessus des forces humaines, et ils pourront être plus tard, avec les progrès techniques, surmontés [7].

Ceci est dit, on se demande dans laquelle des deux catégories faut-il ranger le coronavirus ?

A la différence des quelques déclarations gouvernementales à travers le monde considérant le coronavirus comme cas de force majeure [8], le président de la république tunisienne, pourtant homme de droit, s’est borné dans le but de contrer la propagation du coronavirus, à ordonner le confinement général du pays et à décréter la fermeture des sites industriels où se trouvent un nombre important de travailleurs.

Une certaine incertitude règne jusqu’à ce jour sur la qualification juridique à donner à ce phénomène du coronavirus [9] ; La jurisprudence française existante en matière des maladies infectieuses et d’épidémies rejette dans la plupart des arrêts et jugements rendus, la qualification des épidémies et virus comme étant des cas de force majeure.

Ainsi, les cas du bacille de la peste [10] de l’épidémie de Dengue touchant la Martinique [11], des épidémies de grippe H1N1 en 2009 [12] et du virus du chikungunya [13] sur l’Ile de la Réunion, n’ont pas été jugés comme cas de force majeure. Il est même retenu qu’une épidémie générée par le virus Ebola ne constituait pas un cas de force majeure car aucun lien de causalité n’était caractérisé entre le virus et la baisse d’activité d’une société [14].

Une épidémie ou pandémie [15] comme le coronavirus peut ne pas constituer automatiquement un événement de force majeure, mais ses conséquences qui varient en masse d’un pays à l’autre, pourraient être qualifiées d’imprévisibles et d’irrésistibles.

Il en ainsi de la saturation des hôpitaux observée en Italie, en Espagne ou encore en France et qui pourrait empêcher le personnel soignant de s’occuper de tous les malades, ce qui présente en soi un critère d’irrésistibilité.

Également, pour les mesures gouvernementales contraignantes en Tunisie interdisant les rassemblements, et instaurant le confinement total de la population depuis le 20 mars 2020 puis la décrète de l’état du couvre-feu, qui a entraîné la fermeture des sites industriels et la suspension de l’activité économique. Ces mesures pourraient être reconnue, du fait de son caractère exceptionnel, comme constitutive d’un cas de force majeure.

Ceci est généralement remarquable dans les rapports économiques et commerciaux où les entreprises prévoient et aménagent, dans leurs contrats, la survenance des cas de force majeure. Mais qu’en est-il pour le contrat de travail ?

B- L’impact du coronavirus sur le contrat de travail.

En droit tunisien, comme d’ailleurs en droit français, la force majeure ou encore le cas fortuit sont des causes de révision de contrat de travail pour ne pas se limiter justement à la rupture.

L’article 14-C et l’article 21-12 du Code de travail tunisien sus-invoqués retiennent l’une et l’autre des cas comme justes motifs, soit pour résilier la relation de travail dont la poursuite du contrat est devenue impossible en raison de ces événements, soit encore pour procéder aux licenciements et à la mise en chômage pour difficultés économiques.

En droit français, il est interdit de rompre le contrat de travail à durée déterminée avant l’échéance du terme sauf en cas de faute grave ou de force majeure [16]. De même en cas de cessation de l’entreprise pour cas de force majeure, l’employeur n’est pas obligé de respecter le préavis ni de verser l’indemnité de licenciement [17].

Par conséquent, qu’il s’agit de contrat de travail à durée déterminé (CDD) ou contrat à durée indéterminée (CDI), l’avènement d’un cas de force majeure ouvrent aux parties, unilatéralement ou d’un commun accord, la possibilité de réviser le contrat de travail à la seule exigence de voir se réunir les conditions inhérentes à ses événements. Outre la rupture du contrat de travail, les parties peuvent se convenir sur des modalités d’aménagement des conditions de travail.

1-La rupture du contrat de travail.

Venant suspendre l’application des articles 14-C et 21-12 du code de travail par les articles 1er et 2 du décret-loi n°2020-2 du 14 avril 2020, le Chef du Gouvernement appelle les parties à éviter « momentanément » la rupture du contrat de travail du fait de l’événement du coronavirus considéré implicitement comme cas de force majeure, qu’il s’agit d’un contrat à durée déterminée (CDD), ou d’un contrat à durée indéterminée (CDI) et ce, par application du paragraphe 3 de l’article 14 du code de travail.

La suspension de l’application des dispositions des articles 14-C et 21-12 du code de travail, n’a pas l’effet d’une interdiction légale, mais simplement une sorte d’obligation morale qui ne peut pas empêcher les parties et notamment l’employeur à recourir au fait, à la rupture du contrat de travail.

Cette possibilité concerne plutôt le cas du contrat de travail à durée déterminée (CDD) même avant l’arrivée de son échéance. Au fait, se basant sur l’événement du coronavirus et aux difficultés économiques prétendues, le contrat peut être résolu de plein droit moyennant un simple avis de rupture, et les parties seront libérées de leurs obligations [18]. De même lorsqu’il s’agit de contrat conclu pour une courte durée ou pour l’exécution d’une tâche précise.

Ce qui n’est pas le cas pour le contrat de travail à durée indéterminé (CDI) ou encore pour les opérations de licenciement ou la mise en chômage en cas de force majeure dont la mise en application s’avère plus difficile puisque l’opération obéit à des procédures réglementaires plus complexes pouvant aboutir au paiement des indemnités exigibles par la loi aux salariés et pourrait le cas échéant causer des problèmes sociaux. Dans ces cas la rupture du contrat de travail, le licenciement et la mise en chômage seraient plutôt des mesures sociétaires ou entrepreneuriales pour absorber les éventuelles pertes ou le manque à gagner du fait des difficultés économiques causées par la pandémie.

2- L’aménagement des conditions de travail.

L’entreprise peut ne pas opter pour la rupture du contrat de travail, ni pour le licenciement ou encore pour la mise en chômage mais pour un aménagement des conditions de travail qui pourrait converger les intérêts des différentes parties ; l’entreprise elle-même, le ou les employés et par ricochet la partie sociale et enfin le gouvernement qui peut se réjouir de l’absence des problèmes sociaux.

Ces aménagements dus au fait à l’état de confinement totale décrété par le gouvernement sont le travail à distance ou encore le télétravail et le chômage partiel.

a- Le travail à distance.

L’état de confinement total imposé par le gouvernement a remet en avant le travail à distance ou le télétravail comme solution permettant non seulement la continuité de l’activité économique mais également la protection des salariés. Ainsi, la plupart des entreprises en Tunisie à l’instar de celles à travers le monde ont recouru au télétravail qui s’est présenté comme moyen de sauvetage avec la progression des outils de collaboration en ligne, tels que les messageries instantanées.

Eu égard les circonstances exceptionnelles instaurées par la pandémie, le Chef du Gouvernement tunisien a promptement éviter l’absence bizarre d’un cadre légal dédié au travail à distance [19], en adoptant le décret-loi n°2020-7 du 17 avril 2020, fixant des dispositions exceptionnelles concernant les agents de la fonction publique et le fonctionnement des institutions et des établissements publics, ainsi que des services administratifs.

L’article 6 du décret-loi du Chef du Gouvernement sus-mentionné prévoit dans ce cadre, que les agents publics peuvent être chargés d’assurer à distance des travaux qui leur sont confiées en utilisant les moyens des technologies de l’information et de la communication ou étudiez les dossiers en dehors du lieu de travail.

Ainsi, tout employeur, et dans le but d’assurer l’activité économique de l’entreprise est en droit de demander et même d’imposer aux salariés d’exécuter ou d’accomplir leur travail chez eux. Le manquement ou l’abstention non justifiés, sont considérés comme refus de travail passible de poursuites disciplinaires pouvant aboutir à la rupture du contrat de travail.

b. Le chômage partiel.

Le chômage partiel dit aussi chômage technique est un dispositif qui permet à l’employeur de réduire ou suspendre temporairement l’activité de l’entreprise à cause des circonstances exceptionnelles et au salarié d’éviter de se trouver sans aucun revenu du fait de la suspension de son contrat de travail.

Etant une alternative pour la préservation des emplois, le chômage partiel peut prendre la forme d’une diminution de la durée de travail des salariés, ou la fermeture partielle ou totale de l’entreprise durant la période du confinement suite baisse d’activité liées au coronavirus.

Le chômage partiel ou technique est régi par l’article 21 du code de travail sans qu’il soit défini. Ce dispositif est soumis par contre à des procédures longues, fastidieuses et incompatibles avec la nature des circonstances exceptionnelles créées par le coronavirus. Les nouvelles mesures d’urgence annoncées par le Chef du Gouvernement concernant le chômage technique ne semblent pas combler les lacunes sur ce point, pour ne pas dire rassurer les entreprises et leurs salariés [20].

Dans l’état actuel des choses, un dispositif juridique réduit dans le temps et analogue à la loi n°2008-79 du 30 décembre 2008 aurait être pris [21]

Est-il possible à l’employeur d’imposer le chômage partiel aux salariés ?

Se limitant à décider la suspension des articles 14-C et 21-12 du code de travail, Les dispositions du décret-loi du chef du gouvernement n°2020-2 ne nous donnent pas de réponse. La jurisprudence tunisienne ne semble pas également et à ma connaissance statuer sur une question pareille.

L’article 5 du décret-loi du Chef du Gouvernement du Chef du Gouvernement n° 2020-4 du 14 avril 2020, se limite à faire une allusion à l’hypothèse du chômage partiel [22]. La réponse se trouve par contre dans un arrêt de la Cour de cassation française considérant que la mise au chômage partiel s’impose aux salariés même s’ils subissent une diminution conséquente de leur salaire durant cette période. Ils ne peuvent pas encore invoquer un changement de leur contrat de travail pour demander le maintien de leur salaire [23].

II- Le caractère obligatoire du décret-loi n°2020-2 ?

En suspendant temporairement [24] les dispositions des articles 14-C et 21-12 du code de travail, le décret-loi du Chef du Gouvernement n° 2020-2 du 14 avril 2020, parait avoir un aspect incitatif plutôt qu’un caractère obligatoire. Les parties au contrat de travail peuvent d’un commun accord, déroger par une convention ou clause contraire aux dispositions du décret-loi sus-indiqué.

L’aspect incitatif du texte trouve son justificatif dans les circonstances exceptionnelles même, imposées par le coronavirus ayant pour effet immédiat une crise économique qui pourrait mettre en péril les entreprises et les postes d’emploi.

A- Des mesures d’accompagnement qui créent la dérogation.

Les mesures subséquentes faisant l’objet des décrets-lois adoptés ultérieurement s’inscrivent dans le cadre d’une volonté gouvernementale d’éviter une crise sociale qui pourrait s’ajouter à la crise économique, mais d’éviter aussi de faire supporter aux entreprises le prix d’une politique sociale disproportionnée.

C’est dans ce cadre que le gouvernement a choisi de « tenir le bâton par le milieu », le dispositif des mesures prises ou à prendre encore dans ce cadre, prouve une intention explicite de se mettre en diapason avec les acteurs socio-économiques le temps de surmonter ces circonstances exceptionnelles avec les moindres dégâts possibles.

L’article 1er du décret-loi du chef du gouvernement n°2020-4 du Chef du Gouvernement fait foi de ce qui précède, l’objet dudit texte est "d’édicter des mesures sociales exceptionnelles et provisoires pour l’accompagnement des entreprises et la protection de leurs salariés lésés par les répercussions de la mise en œuvre des mesures de mise en confinement total pour la prévention de la propagation du Coronavirus (Covid-19)".

Ainsi il a été décidé, par l’article 5 d’attribuer aux salariés des entreprises lésées, des indemnités exceptionnelles et provisoires au titre des périodes d’interruption provisoire de l’activité, et par l’article 14 de faire bénéficier les entreprises lésées du report de paiement des cotisations à la charge des employeurs dans le régime légal de sécurité sociale au titre du deuxième trimestre de l’année 2020, et ce, pour trois mois sans appliquer de pénalités de retard au titre dudit report.

Ces exemples de mesures, dont la liste est loin d’être limitative, montrent que le gouvernement ne peut devant cet état de lieux que réagir en qualité de pompier pour faire face aux maintes dérogations voulues par les parties au contrat de travail ou imposées à elles par le fait des circonstances exceptionnelles.

B- Le droit de retrait.

La pandémie du coronavirus a créé des situations de danger au travail donnant aux travailleurs ou à certains d’entre eux ayant des états de santé fragile, le droit de se retirer du travail. L’exercice de ce droit est garanti par la législation de travail qui permet au salarié de pratiquer son droit de retrait du moment où un danger « grave » et « imminent » menace sa vie ou sa santé.

Le travailleur menacé exerce son droit de retrait sans être obligé à prouver la réalité du danger et c’est à l’employeur d’en apprécier l’éventualité voire prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs (accès à l’eau et au savon pour se laver les mains, les gels hydroalcooliques, les masques et/ou les gants, le respect des distances minimales de sécurité, annulation ou report des déplacements non indispensables... etc).

Les dispositions du Code du travail régissant la santé et la sécurité au travail et la législation sociale traitant des dangers au travail dus aux établissements insalubres ou aux risques et maladies professionnelles, ne parlent pas du cas de retrait qui s’avère être un droit personnel laissé au travailleur ou à la volonté des syndicats de travail. [25].

Ceci est dit, l’exercice du droit de retrait obéit à des conditions dont leur absence donne le droit à l’employeur de procéder éventuellement à la sanction du salarié fautif ou exagérant d’où le recours éventuel à son licenciement ou à la rupture de son contrat de travail [26] pour absence irrégulière et non justifiée ou pour faute grave.

Voilà comment le gouvernement peut, par des brèches, offrir encore une fois, aux employeurs et aux entreprises des lignes de conduites les aider à faire face au crise économique issue du coronavirus. Des aides qui vont certainement mettre la justice prud’homale en point de mire.

Mohamed MDELLA

[1Le décret-loi du chef du gouvernement n° 2020-2 du 14 avril 2020 portant institution de dispositions exceptionnelles et provisoires relative à la suspension de certaines dispositions du Code du travail.

[2Article 242 Code des Obligations et des Contrats (COC) : "Les obligations contractuelles valablement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites, et ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou dans les cas prévus par la loi"

[3En cas de litige, le juge vérifie la volonté claire et non-équivoque de chaque partie de mettre fin au contrat. Il est donc nécessaire de convenir par écrit de la rupture du contrat de travail.

[4Loi n° 2020-19 du 12 avril 2020, habilitant le Chef du Gouvernement à prendre des décrets-lois dans l’objectif de faire face aux répercussions de la propagation du Coronavirus (Covid-19).

[5Article 14. - Le contrat de travail à durée déterminée prend fin par l’expiration de la durée convenue ou par l’accomplissement du travail objet du contrat.
Le contrat à durée indéterminée prend fin par l’expiration du délai de préavis.
Le contrat de travail à durée déterminée ou à durée indéterminée prend fin :
- a) par l’accord des parties ;
- b) par la volonté de l’une des parties suite à une faute grave commise par l’autre partie ;
- c) en cas d’empêchement d’exécution résultant soit d’un cas fortuit ou de force majeure survenu avant ou pendant l’exécution du contrat, soit du décès du travailleur ;
- d) par la résolution prononcée par le juge dans les cas déterminés par la loi ;
- e) dans les autres cas prévus par la loi.

[6Article 21-12 - Sont abusifs, le licenciement ou la mise en chômage intervenus sans l’avis préalable de la commission régionale ou la commission centrale de contrôle du licenciement, sauf cas de force majeure ou accord entre les deux parties concernées.

[7V. Maurice Hauriou, « La distinction de la force majeure et du cas fortuit, Note sous Conseil d’Etat, 10 mai 1912, Ambrosini, S. 1912.3.161 ».

[8Le 29 février 2020, Bruno Le Maire, ministre français de l’économie et des finances, a considéré que le coronavirus était un cas de force majeure pour les entreprises, en particulier dans les marchés publics de l’État, justifiant l’inapplication des pénalités en cas de retard d’exécution des prestations contractuelles.
De son côté Le Conseil Chinois pour la Promotion du Commerce a émis, le 2 février 2020, le premier certificat justifiant le cas de force majeure dû à l’épidémie du coronavirus en faveur d’une entreprise manufacturière de Huzhou (Province du Zhejiang).

[9Des juristes parlent d’une situation aux effets juridiques inédits.

[10CA Paris, 25 septembre 1998

[11Cour d’Appel de Nancy, arrêt du 22 novembre 2010, RG n°09/00003

[12CA Besançon, 8 janvier 2014 - n°12/02291

[13CA Basse-Terre, 17 décembre 2018, RG 17/00739, la cour a considéré que « cette épidémie ne peut être considérée comme ayant un caractère imprévisible et surtout irrésistible puisque, dans tous les cas, cette maladie soulagée par des antalgiques est généralement surmontable ».

[14CA Paris, 17 mars 2016, RG 15/04263.

[15Le 11 mars 2020, l’OMS a classé officiellement le coronavirus comme « pandémie ».

[16L’article L1243-1 du code de travail : "Sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l’échéance du terme qu’en cas de faute grave ou de force majeure".

[17L’article 1234-12 du Code du travail français

[18Le fait de se prévaloir du coronavirus pour résilier le contrat de travail à durée déterminée dépendra de la qualification donnée à cette pandémie comme étant un cas de force majeure ou non. Cette qualification dépend en dernier lieu du pouvoir discrétionnaire du juge.

[19Contrairement au code de travail tunisien qui n’a pas été amendé sur ce point, le code de travail français dans son article L1222-11 tel que modifié par Ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 prévoit qu’ "En cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d’épidémie, ou en cas de force majeure, la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés."

[20Décret-loi du Chef du Gouvernement n° 2020-4 du 14 avril 2020, édictant des mesures (ou actions) sociales exceptionnelles et provisoires pour l’accompagnement des entreprises et la protection de leurs salariés lésés par les répercussions de la mise en œuvre des mesures de mise en confinement total pour la prévention de la propagation du Coronavirus "Covid-19". et Décret-loi du Chef du Gouvernement n°2020-6, en date du 16 avril 2020, prescrivant des mesures fiscales et financières pour atténuer les répercussions de la propagation du Coronavirus « Covid-19"

[21Loi n° 2008-79 du 30 décembre 2008, portant mesures conjoncturelles de soutien aux entreprises économiques pour poursuivre leurs activités.

[22Article. 5 - Les indemnités exceptionnelles et provisoires au titre des périodes d’interruption provisoire de l’activité, postérieures au mois de mars 2020, sont attribuées aux salariés des entreprises mentionnées à l’article 2 du présent décret-loi, liés par des contrats de travail à durée déterminée ou indéterminée en cours à la date d’entrée en vigueur du présent décret-loi et qui ont été mis en chômage provisoire.

[23Arrêt de la Cour de Cassation, Chambre sociale, n°94-44654 du 18 juin 1996, Bulletin 1996 V N° 252 p. 177

[24L’article 5 du décret-loi n-2020-2 du Chef du Gouvernement dispose : "A l’exception des dispositions de l’article 3, les dispositions du présent décret-loi demeurent exécutoires, jusqu’à la date de levée du confinement total, par décret gouvernemental pris à cet effet."

[25On cite dans ce cadre à titre d’exemple, la réforme des régimes de réparation des préjudices résultant des accidents du travail et des maladies professionnelles dans les secteurs public et privé ainsi que les modifications apportées en 1996 aux dispositions du code du travail régissant la santé et la sécurité au travail.

[26La Cour de Cassation française, dans un arrêt du 9 octobre 2013, a estimé qu’un salarié ne pouvait exercé son droit de retrait "que pendant l’exécution de son contrat de travail".