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Dois-je signer mon solde de tout compte ? Par Guilain Lobut, Avocat.
Parution : lundi 27 avril 2020
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A l’expiration du contrat de travail, et quel que soit le mode de rupture (démission, licenciement, rupture conventionnelle, fin de CDD…), l’employeur doit remettre au salarié un certificat de travail, une attestation Pôle Emploi et un solde de tout compte.

L’employeur doit préparer ces documents de fin de contrat et les tenir à la disposition du salarié.

Le certificat de travail indique les dates d’entrée et de sortie du salarié dans l’entreprise ainsi que les emplois successivement occupés.

L’attestation Pôle Emploi mentionne notamment la rémunération des 12 mois précédant le dernier jour travaillé et permet au salarié de bénéficier de l’assurance chômage.

Le solde de tout compte, établi en deux exemplaires, fait l’inventaire des sommes versées au salarié lors de la rupture du contrat de travail [1].

Solde de tout compte : pourquoi ne pas le signer ?

L’article L1234-20, alinéa 2 du Code du travail prévoit que : « le reçu pour solde de tout compte peut être dénoncé dans les six mois qui suivent sa signature, délai au-delà duquel il devient libératoire pour l’employeur pour les sommes qui y sont mentionnées ».

L’effet libératoire pour l’employeur, c’est le fait de ne plus devoir aucune somme au salarié, au-delà du délai de 6 mois.

Si le salarié oublie de dénoncer (contester) le solde de tout compte dans les 6 mois suivant la date de sa signature, il ne pourra plus faire de réclamations se rapportant aux sommes qui y sont mentionnées.

A cet égard, la jurisprudence a notamment précisé que le salarié ne peut plus demander le paiement d’heures supplémentaires si le solde de tout compte qu’il a signé fait l’inventaire de sommes en indiquant que celles-ci sont versées « à titre de salaire » [2].

Exemple 1 : mon solde de tout compte mentionne le paiement d’une somme de 1.000 euros au titre des salaires, sans plus de précisions. Les heures supplémentaires font partie de ces salaires. Ainsi, si je ne conteste pas mon solde de tout compte dans le délai de 6 mois suivant sa signature, je ne peux plus demander la moindre somme pour mes heures supplémentaires impayées.

A l’inverse, la demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires impayées reste possible lorsque le solde de tout compte signé par le salarié ne mentionne qu’une somme versée au titre du salaire pour le mois en cours [3].

Exemple 2 : mon solde de tout compte mentionne le paiement d’une somme de 1.000 euros au titre du salaire du mois d’avril 2020. Si j’oublie de contester mon solde de tout compte dans le délai de 6 mois suivant sa signature, je peux néanmoins demander le paiement d’heures supplémentaires pour tous les mois concernés, sauf pour avril 2020.

La Cour de cassation considère donc, de manière extensive, que l’effet libératoire du solde de tout compte pour l’employeur ne s’applique pas seulement aux sommes mentionnées (exemple : salaire du mois d’avril 2020) mais également aux sommes de même nature, non mentionnées sur le solde de tout compte, mais qui s’y rapportent [4].

Cette interprétation jurisprudentielle vient de ce fait limiter considérablement la portée de l’article L3245-1 du Code du travail qui permet d’exercer une action en paiement de rappel de salaire dans les 3 ans qui suivent la rupture du contrat de travail. Autrement dit, dès lors que le salarié a signé son solde de tout compte, mentionnant le versement d’une somme à titre de salaire sans autre précision, et s’il ne l’a pas contesté dans les 6 mois, il n’aura alors plus la possibilité d’exercer ultérieurement cette action en paiement.

Il est donc préférable de ne pas signer son solde de tout compte car :
- D’une part, l’absence de signature par le salarié ne fait pas courir le délai libératoire de 6 mois pour l’employeur [5] ;
- D’autre part, en l’absence de signature, c’est à l’employeur de rapporter la preuve que les sommes mentionnées sur le solde de tout compte ont bien été payées [6].

Dans le même sens, le reçu pour solde de tout compte signé par le salarié mais non daté ne fait pas courir le délai de dénonciation [7].

Conseil pratique : votre employeur refuse de vous remettre vos documents de fin de contrat à défaut de signature de votre solde de tout compte, vous pouvez alors le signer en ajoutant la mention « sous réserve de tous mes droits », qui prive le solde de tout compte de son effet libératoire [8].

A savoir  : la mention sur le reçu pour solde de tout compte du délai de dénonciation de 6 mois n’est pas obligatoire pour l’employeur [9].

Important : le reçu pour solde de tout compte qui fait état du versement d’une somme globale et renvoie pour le détail des sommes versées au bulletin de paie annexé n’a pas d’effet libératoire [10].

Essentiel : la signature de votre solde de tout compte ne vous empêche pas de contester en justice la rupture de votre contrat de travail et de demander des dommages pour licenciement injustifié [11].

Forme de la contestation du solde de tout compte.

Le solde de tout compte doit être dénoncé par lettre recommandée [12], avec accusé de réception afin d’en conserver la preuve.

La dénonciation par un courrier d’avocat du salarié est admise [13].

De même, la saisine du Conseil de prud’hommes peut valoir dénonciation du solde de tout compte, à condition que la convocation devant le bureau de conciliation ait été reçue par l’employeur dans le délai libératoire de 6 mois [14]. Par prudence, il convient donc de faire précéder cette saisine d’un courrier de dénonciation envoyé à l’employeur dans le délai libératoire de 6 mois.

Contenu de la contestation du solde de tout compte.

Le courrier de dénonciation du solde de tout compte n’a pas en principe à être motivé [15].

En pratique, il semble néanmoins nécessaire de préciser en objet « dénonciation du solde de tout compte », puis d’indiquer que vous contestez les sommes qui y sont mentionnées, en apportant éventuellement des explications complémentaires.

Guilain Lobut Avocat au barreau de Paris Email: [->gl@lobut-avocat.com] Site: guilainlobutavocat.fr

[1Art. L1234-20 et D. 1234-7 du Code du travail.

[2Cass. Soc. 13 mars 2019, n° 17-31.514.

[3Cass. Soc. 14 février 2018, n°16-15.647.

[4Exemple : éventuelles heures supplémentaires du mois d’avril 2020, cf. Cass. Soc. 4 novembre 2015 n° 14-10.657.

[5Art. L1234-20 du Code du travail.

[6Cass. Soc. 27 mars 2019, n°18-12.792.

[7Cass. Soc. 17 mars 1993 n° 89-44.425 ; Cass. Soc. 20 février 2019 n° 17-27.600.

[8Cass. Soc. 26 février 1985 n° 82-42.807 ; Cass. Soc. 20 novembre 2001, n°99-44790 ; CA Versailles 5 mai 2009 n° 08-3319.

[9Cass. Soc. 4 novembre 2015 n° 14-10.657.

[10Cass. Soc. 14 février 2018, n°16-16.617 ; Cass. Soc. 23 janvier 2019, n°17-31.212.

[11Cass. Soc. 18 décembre 2001, n° 99-43632.

[12Article D. 1234-8 du Code du travail.

[13Cass. Soc. 8 octobre 1996 n°92-41.775.

[14Cass. Soc. 7 mars 2018, n°16-13.194.

[15Cass. Soc. QPC 18 septembre 2013, 13-40.042.

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