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Faut-il supprimer la juridiction judiciaire ? Par Antoine Lunven, Etudiant.
Parution : mercredi 29 avril 2020
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Souvent, la question inverse se pose, de manière récurrente (en cours, dans les revues doctrinales, dans la presse voire dans des projets de lois), de la suppression de la juridiction administrative. Toutefois la fin de la dualité juridictionnelle peut se poser autrement par l’instauration d’un monisme juridictionnel résultant du primat de la juridiction administrative sur la juridiction judiciaire. La réponse, ici, est également non.

Au-delà de ce titre provocateur (autant que l’est la question de la suppression de la juridiction administrative pour les publicistes), il est légitime de se poser la question de savoir s’il est possible et souhaitable que la juridiction administrative puisse connaître d’affaires relevant du droit privé, la réponse est évidemment non (les privatistes n’ont pas, non plus, à s’inquiéter).

La critique (infondée) adressée à la juridiction administrative et, in fine, au juge administratif est de connaître l’Administration (ce qui est en soi une qualité : sa spécialisation). Il serait, donc, impartial, puisque, selon l’adage, juger l’administration c’est encore administrer. Ce qui n’est pas vrai par le renforcement des garanties (par exemple elle n’est plus une justice « déléguée », sous-entendu du pouvoir exécutif).

Toutefois, il ne faut pas oublier que les deux ordres juridictionnels partagent une culture qui leur est propre, l’une de l’ENA l’autre de l’ENM.

Si le juge administratif connaît l’administration, il ne connait pas les ressorts des relations entre personnes privées ou entre les sociétés. En effet, c’est un juge spécialisé sur la connaissance de l’administration et non sur les baux commerciaux, sur le mariage ou encore la tutelle, sans même évoquer la matière pénale. Le « contentieux judiciaire » a besoin d’un juge spécialisé, comme l’administration a besoin de son propre juge. Comme le dit le professeur Truchet, « deux droits, deux juges »

Le juge judiciaire est le juge de droit commun, celui qui est présent dans l’ensemble des Etats, contrairement au juge administratif qui est un juge spécialisé et qui applique un droit exorbitant. La question, en l’espèce, ne s’est jamais posée de supprimer le juge de droit commun qui était pendant longtemps structurellement et matériellement plus développé que son confrère.

Il est à noter que la « gloire » de la juridiction judiciaire repose sur sa mission de protection de la liberté individuelle inscrite à l’article de la Constitution de 1958. Toutefois, le Conseil constitutionnel n’eut de cesse de développer la juridiction administrative en lui confiant la liberté personnelle au détriment du juge judiciaire qui en ressort affaibli. De plus, la Cour de cassation est de plus en plus dépouillée de la voie de fait par l’évolution de la jurisprudence administrative, et plus particulièrement du juge des référés de la juridiction administrative.

Souvent l’unité de juridiction est vue comme la primauté du juge judiciaire sur les spécificités du juge administratif, et non comme une véritable union entre deux droits aux origines et aux finalités différentes. Par cette union, une réconciliation entre privatistes et publicistes est possible.

S’il est vrai que la Cour de cassation (ou le Conseil d’Etat) peut rendre des décisions contestables mais cela ne justifie en rien sa suppression, même en ces temps troublés.

Antoine Lunven, étudiant en droit public Linkedin: [->https://www.linkedin.com/in/antoine-lunven-01/]