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Covid-19 : Impacts sur la gestion de vos droits de PI et contrats. Par Julie Pierre, CPI.
Parution : jeudi 30 avril 2020
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Depuis le début du mois de mars 2020, la pandémie de COVID-19 que nous subissons aujourd’hui ne cesse de bouleverser nos habitudes, nos modes de vie et nos croyances. La vie économique a été particulièrement affectée car certaines entreprises sont à l’arrêt quand d’autres essuient une baisse considérable de leur chiffre d’affaire. Bien que nous commencions à apercevoir une lueur d’espoir avec le projet de déconfinement du 11 mai prochain (pour certains), cette période est une véritable épreuve à tous les niveaux et il n’est pas simple pour les entreprises d’y voir clair et de prendre les bonnes décisions sans avoir de vision à long terme sur leur activité.

C’est notamment pour cette raison qu’un petit point sur les mesures dont vous pouvez profiter en cette période paraissait nécessaire. Outre les mesures de sauvegarde mises en place par le gouvernement qui ont fait couler beaucoup d’encre déjà [1], il semble important de souligner également les dispositions prises par les Offices de Propriété Intellectuelle (I), le maintien des services qui vous sont rendus par les cabinets de Conseils en Propriété Industrielle (II) ainsi que les dispositions prévues notamment par le Code civil, voire dans les clauses de vos contrats d’affaires tels que par exemple vos contrats de licence de marque (III).

I. Pratique des Offices de Propriété Intellectuelle pendant la crise sanitaire.

Face à cette crise sanitaire sans précédent, les Offices de Propriété Intellectuelle du monde entier se sont, pour la plupart, organisés pour aider les déposants et titulaires de marques à faire face.

À notre connaissance, c’est l’Office européen (EUIPO) qui a été l’un des précurseurs, si ce n’est le premier, à organiser le report des délais administratifs (nous faisons bien entendu abstraction de l’Office chinois qui avait fermé pendant un temps en ce début d’année en reportant l’ensembles de ses délais). En effet, dès la 16 mars, l’EUIPO a indiqué que les délais expirant dans cette période seraient repoussés au 1er mai prochain (soit au lundi 4 mai en réalité puisque le 1er mai, férié, tombe un vendredi), mais entre temps, l’EUIPO (Office européen de la Propriété Intellectuelle), a de nouveau prolongé les délai expirant entre le 1er et le 17 mai jusqu’au 18 mai 2020.
Tous les délais sont concernés.

Du côté de la France, l’INPI a annoncé le 19 mars 2020 qu’il portait à 4 mois les délais impartis dans les procédures relatives aux brevets, marques et dessins et modèles, à l’exception des délais de la procédure d’opposition à enregistrement de marque. Les délais déjà impartis, et non échus à la date du 16 mars 2020, avaient également été portés à 4 mois tout en rappelant en parallèle qu’en cas de non-respect d’un délai, il existait des procédures de recours en restauration ou de relevé de déchéance auprès de l’Office et que la crise sanitaire serait prise en compte dans l’examen de ces recours.

Puis, une nouvelle ordonnance, publiée le 26 mars 2020 au Journal Officiel, est venue clarifier la situation française et a prévu un report des échéances devant l’INPI. En substance, l’Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 prévoit que toutes les échéances intervenant dans la période entre le 12 mars et un mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire sont reportées à un mois après la fin de cette période si le délai initial était d’un mois et à deux mois après la fin de cette période si le délai initial était de deux mois ou plus.

A titre d’illustration, l’INPI indique que si la fin de l’état d’urgence est déclarée par exemple le 24 mai, tous les délais censés se terminer entre le 12 mars et le 24 juin mai sont reportés au 24 juillet si le délai initial était d’un mois et au 24 août si le délai initial était de deux mois ou plus.

Cette ordonnance s’applique à tous les délais prévus par le code de la propriété intellectuelle, à l’exception de ceux résultant d’accords internationaux ou de textes européens. Concrètement, ce report concerne les échéances pour faire opposition à une marque, pour renouveler une marque ou proroger un dessin ou modèle et pour bénéficier du délai de grâce correspondant, pour introduire un recours administratif ou juridictionnel ou encore pour formuler des observations de tiers ou pour répondre à une notification de l’INPI. Il ne concerne en revanche pas les délais de priorité pour une extension internationale qui relèvent de dispositions supranationales.

Sachez également que si ces reports n’étaient pas suffisants, vous pouvez envisager de reporter certaines décisions en profitant des délais de grâce. Par exemple, il existe en France un délai de grâce de 6 mois pour renouveler sa marque après son échéance. Toutefois, cette décision n’est pas forcément un bon calcul car des taxes complémentaires de retard sont à prévoir. Il convient donc de bien apprécier chaque cas d’espèce.

D’une manière générale, si vous êtes en mesure de le faire, vous êtes invités par les Offices à répondre dès que possible aux notifications ou à procéder à vos démarches, sans attendre le délai de cet été, pour éviter d’engorger les procédures à l’issue de la période d’urgence sanitaire.

Concernant l’Organisation mondiale de la PI (OMPI/WIPO), elle a organisé le travail de ses collaborateurs en mettant en place le télétravail mais aucun report de délai n’est prévu. Ceci s’explique à notre avis par le fait qu’un tel report n’est pas envisageable à ce niveau car il aurait des conséquences dans l’ensemble des États partis du Système de Madrid (qui régit les marques dites internationales) dont certains n’ont prévu aucun report. La gestion des délais ne peut donc pas être centralisée par l’Organisation mondiale en faisant abstraction des pratiques de chaque Etat et pouvant entraîner ainsi un déséquilibre significatif entre les titulaires de marques internationales et ceux de marques nationales dans un même pays.

En revanche, l’OMPI nous informe des recours disponibles en cas de non-respect d’un délai dans le cadre du système de Madrid et nous rappelle la prorogation automatique des délais dans le cas où un office de propriété intellectuelle ne serait pas ouvert au public [2].

Aussi, l’OMPI a lancé un tableau de bord en ligne pour le suivi des opérations pendant la pandémie. Il permet aux représentant des Etats membres de suivre les opérations de l’Organisation durant la pandémie de Covid-19.

Quant aux Offices étrangers, la situation est très hétérogène en fonction des pays puisque certains Offices sont fermés avec report des délais (Italie, Espagne, Tunisie, Viet Nam, Cuba, Mexique, etc.) tandis que d’autres n’ont prévu aucun report (ex. Russie), en passant par ceux qui soumettent le report des délais à des conditions bien précises (USPTO pour les États-Unis). Par ailleurs, chaque pays a sa propre conception du report des délais (types de délais concernés, modalités du report, conditions, recours, etc.).

Nous vous invitons donc à contacter les Offices concernés ou votre Conseil habituel pour connaitre leur pratique face à la crise avant de prendre des décisions hâtives qui partiraient du principe que tout est suspendu.

II. Maintien du service au sein de la plupart des Cabinets de Conseil en Propriété Industrielle.

Durant cette période, la plupart des cabinets de Conseils en Propriété Industrielle sont mobilisés pour vous assister et vous conseiller au mieux en considérant votre situation propre, le type de titre concerné (marque, modèle, brevet), le type d’échéance concernée (renouvellement, procédure d’opposition, recours, etc.) et l’Office en cause (selon le territoire intéressé).

Comme d’habitude, il est important de vous faire accompagner dans vos choix de reporter ou non des échéances concernant vos marques et autres droits de PI car ils pourraient être lourds de conséquences.

La prudence est donc de mise et, sauf nécessité absolue de reporter (faute de trésorerie par exemple), il est conseillé de continuer à gérer efficacement vos marques pour des raisons évidentes :

1. La vie reprendra son cours normal un jour (espérons bientôt) et ce sera l’heure de faire le point et de rattraper tous les actes manqués mais tout ne sera pas récupérable.
Par exemple, si vous avez laissé passer des échéances dans des pays où aucun report n’est possible ou lorsque vous n’en remplissez pas les conditions, vous pourriez perdre vos actions en cours ou, pire, vos droits.

2. Vos marques constituent un bien immatériel précieux pour votre activité car il est le LE vecteur de communication entre vos produits et/ou services et votre clientèle. Il en va de même pour vos autres droits de PI qui sont des biens précieux pour votre société. Cette pandémie ne doit donc pas vider de tout substance votre société et entraîner la perte de vos investissements intellectuels.
En effet, ne pas renouveler une marque, par exemple, vous fait perdre toute antériorité et si un tiers s’intercale entretemps, vous pourriez perdre le droit d’exploiter votre propre nom ou vos autres éléments distinctifs (même si vous les exploitez depuis de nombreuses années)

3. Les périodes de crises sont souvent des moments privilégiés par les contrefacteurs ou autres cybersquatteurs, en raison de notre plus grande vulnérabilité ou seulement parce que c’est le moment où nous regardons tous ailleurs. Le risque est donc accru en ces périodes sensibles.

4. Certains délais prévus par le Code de la Propriété Intellectuelle continuent à courir normalement (délai de forclusion par tolérance, obligation d’usage, etc.) et les offices sont presque tous organisés pour continuer à gérer vos demandes (dépôts de marques et modèles, renouvellements, procédures d’opposition à enregistrement, procédures en annulation ou en déchéance de marques, etc.) avec des délais de traitement souvent raccourcis car la demande est moins forte en ce moment.

De notre côté, conformément aux consignes données par le gouvernement pour lutter contre la propagation du COVID19, le cabinet ANNABRAND a pris les mesures nécessaires pour préserver la santé de ses partenaires et clients, tout en assurant au mieux la continuité de ses services. Les dossiers en cours continuent donc d’être traités en télétravail, malgré le confinement, et nous restons disponibles pour vous assister sur vos dossiers en cours ou vos nouveaux dossiers.

La plupart de nos confrères se sont également organisés et je vous invite ne pas hésiter à nous solliciter pour toute question car nous sommes la profession la plus au fait des problématiques de marques et de la pratique des offices dans le monde.
La liste des cabinets de Conseils en Propriété Industrielle est disponible sur le site de l’INPI ou de la CNCPI (Compagnie Nationale des Conseils en Propriété Industrielle).

Aussi, les permanences gratuites que les Conseils en Propriété Industrielle assurent pour l’INPI sont maintenues et se déroulent par téléphone. Je vous encourage donc à vous inscrire si besoin. Je rappelle toutefois que ces permanences ont pour but de discuter gratuitement avec des experts de la Propriété Intellectuelle (les Conseils en Propriété Industrielle) durant 20 minutes pour obtenir des informations, des orientations ou des premiers éléments de réponse à vos divers questionnements. Attention, il ne peut toutefois pas s’agir de véritables consultations qui nécessitent des recherches et vérifications complémentaires.

III. Quid de l’exécution de vos contrats liés à la Propriété Intellectuelle ou autres.

Aussi, en raison du caractère exceptionnel de la crise sanitaire que nous vivons, bon nombre d’entre vous ont dû cesser toute activité ou l’adapter. Cela a dès lors pu avoir un impact sur l’exécution de vos contrats de licences de droits de PI (marques, modèles, brevets, droits d’auteur, etc.), de franchise ou autres contrats d’affaires.

Actuellement, nous ne savons pas précisément comment seront appréciés les éventuels manquements à vos obligations par les différentes instances (force majeure ? imprévision ?).

Il n’y a évidemment pas de réponse globale et il convient en réalité de se pencher sur chaque cas d’espèce pour apporter une réponse ou à tout le moins une amorce de réponse.
En effet, pour un contrat conclu en mars 2020, il nous parait difficile d’invoquer une quelconque imprévision.
Aussi, certaines entreprises sont plus durement touchées que d’autres et il faudra également prendre en compte l’activité et les possibilités réelles de chaque signataire pour prendre position.

Plusieurs éléments militent en faveur de la thèse de la force majeure qui serait l’hypothèse la plus favorable aux débiteurs des obligations mais qui doit également être maniée prudemment. En effet, si une telle thèse serait salutaire pour les sociétés dont l’activité se trouve affectée par la crise sanitaire puisque la force majeure a pour effet, si l’empêchement est temporaire, de suspendre l’exécution des obligations (à moins que le retard qui en résulte ne justifie la résolution du contrat) ou, si l’empêchement est définitif, de résoudre le contrat de plein droit et de libérer les parties de leurs obligations, elle serait en revanche désastreuse pour d’autres.

Aussi, il convient d’apprécier ce point avec la plus grande prudence car la force majeure est contextuelle et ne peut pas être qualifiée dans tous les cas. En effet, il s’agit, selon l’article 1218 du Code Civil qui la définit, « un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ».
Exemples :
« qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat » : exclusion des contrats conclus ou renouvelés récemment (attention aux incertitudes quant à la date puisque peut-on considérer que courant janvier la situation « ne pouvait être prévue raisonnablement » ?)
« dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées » : exclusion des cas ou l’obligation du débiteur aurait pu être exécutée mais ce dernier s’en est volontairement soustrait par peur des conséquences du contexte sanitaire ou économique. Par exemple, si l’obligation de paiement du prix n’est pas remplie alors que les banques restent ouvertes, que les virements en ligne restent possibles etc.
« empêche l’exécution » : exclusion des cas où l’obligation est simplement plus difficile à mettre en œuvre ou ralentie. Le débiteur ne peut par exemple se soustraire à une obligation de livraison si des transporteurs privés ou la poste peuvent se charger de cette dernière, bien que ses propres services soient à l’arrêt. De même, l’inexécution d’une obligation de renouveler une marque ne peut pas se justifier si le renouvellement est rendu possible en ligne ou autre par l’Office concerné.

En ce qui concerne l’imprévision, elle est régie par l’article 1195 du Code civil qui prévoit que « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation. En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ».

Exemples :
« changement de circonstances imprévisible » : là encore, exclusion des contrats conclus ou renouvelés récemment.
« l’exécution excessivement onéreuse » : la définition est délicate car des conflits pourraient survenir de cette formulation imprécise soumise à l’appréciation subjective des parties et/ou du juge. À partir de quel point une exécution est « excessivement » onéreuse ? Exclusion des cas où l’exécution est rendue onéreuse pour une des parties mais lorsque cela n’est pas « excessif ».
« pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque » : là encore, des conflits peuvent naître sur l’appréciation de la volonté originaire de la partie lésée. Peut-on considérer que la seule absence de clause stipulant qu’elle accepte un tel risque (?) est suffisante pour caractériser la non-acceptation du risque ?

Là encore, aucune qualification hâtive et globale ne peut être faite mais il convient de retenir que, dans l’hypothèse où l’exécution du contrat ne serait pas rendue totalement impossible mais représenterait néanmoins une injustice financière significative pour l’une des parties, le mécanisme de l’imprévision pourrait alors être envisagé.

Quoiqu’il en soit, nous vous conseillons vivement de vous faire conseiller par votre Conseil en Propriété Industrielle avant de décider de l’inexécution de vos contrats afin de rendre vos décisions en pleine connaissance de cause.

En bref :
- Les Offices de Propriété Intellectuelle ont, pour la plupart, pris des dispositions de report de délai ou de tolérance pour soutenir leurs usagers. Toutefois, la situation est disparate selon les pays donc une stratégie globale de report de vos échéances ne peut pas être envisagée mais doit être réfléchie, au cas par cas, pour chaque échéance concernée,
- Si votre situation vous le permet, il faut continuer à respecter les délais initiaux pour éviter l’engorgement des Offices mais aussi éviter les ratés,
- Votre Conseil en Propriété Industrielle reste l’allié et le partenaire idéal pour vous soutenir et vous accompagner sur vos problématiques de PI, même pendant cette période de crise,
Pensez à vous poser sur l’exécution de vos contrats et les conséquences possible du Covid-19 sur ces derniers afin de connaître votre marge de manœuvre.

Julie Pierre - CPI Marques & Modèles Fondatrice du Cabinet Annabrand