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La saisie d’un reliquaire de valeur contenant des cendres funéraires. Par Rémi Oliveras, Clerc d’Huissier.
Parution : jeudi 30 avril 2020
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Si l’article L 112-2-5° du CPCE prévoit dans sa formule consacrée l’impossibilité de saisie des "biens mobiliers nécessaires à la vie et au travail du saisi et de sa famille", son pendant règlementaire ajoute à l’article R 112-2-13° "les souvenirs à caractère personnel ou familial". Notion fluctuante au gré des jurisprudences avec laquelle le praticien doit composer au cours d’une tournée de saisie-vente ...

Ce que la pratique du métier nous apprend, c’est que le code ne nous permet pas d’appréhender le quart des situations auxquelles est confronté l’Huissier de Justice : que faire en cas de présence de drogue lors d’une reprise de locaux abandonnés, comment réagir en présence de chèvres à l’intérieur d’un appartement dont l’occupant doit être expulsé ?

Opérant dans un contexte Caribéen insulaire, nous nous sommes retrouvés au cours d’une tournée de saisie-vente en présence d’un reliquaire contenant les cendres d’un membre de la famille du débiteur.

Le dit reliquaire, après examen attentif, se révélait être un reliquaire Fang, composé d’un récipient cylindrique dont le couvercle est surmonté d’une statuette Byeri recouverte d’une patine sacrificielle, et ayant en son sein des cendres funéraires.
Si les cendres n’ont en elles-mêmes que peu d’intérêt pour l’Huissier de Justice, le dit reliquaire présente une importante valeur pécuniaire.

Il s’agissait là du seul objet de valeur présent au sein du domicile du débiteur.
Est-il possible de saisir un reliquaire de valeur contenant des cendres funéraires dans le cadre d’une saisie-vente ?

Il convient de s’interroger en amont sur le statut des cendres funéraires (I), puis sur la notion de "souvenir à caractère familial et personnel"(II).

I) Le statut des cendres funéraires.

La possibilité de conserver les restes de ses proches a été profondément remaniée depuis la loi "Sueur" du 19 Décembre 2008 : il n’est plus possible de conserver a son domicile les cendres d’un proche défunt.
Seule les urnes à domicile depuis une date antérieure peuvent être conservées au domicile.

Mais l’article L2223-18-1 du CGCT prévoit la possibilité, après la crémation, "dans l’attente d’une décision relative à la destination des cendres", que l’urne funéraire soit conservée pendant une année "dans un lieu de culte".
Il est également possible d’inhumer l’urne dans une propriété privée après autorisation préfectorale.

Il apparaît comme parfaitement concevable que l’urne ait été, postérieurement a 2008, conservée par un ministre des cultes puis remise sans précautions aucune à la famille ; ou que l’urne soit restée au domicile en attente d’une inhumation sur un terrain privé.

Ainsi, le cas peut-être rapporté à celui du reliquaire d’Anne de Bretagne, qui a récemment défrayé la chronique.
Cardiotaphe datant du XVIème, réputée accueillir le cœur d’Anne de Bretagne, cet objet allie également pièce d’orfèvrerie et reliquaire mortuaire.
Or, après cinq siècles, le contenu du reliquaire est vide : le cœur est depuis longtemps retourné en poussière, ne laissant plus que le contenant, chargé d’histoire, et composé majoritairement d’or.

Si le reliquaire a bel et bien contenu pendant au moins deux siècles le cœur d’Anne de Bretagne, il n’est plus aujourd’hui qu’une pièce d’art de grande valeur, dont le caractère personnel et familial a été dissous dans l’Histoire, et peut désormais être saisi si ce dernier était en mains privées.

Si l’article R112-2 du CPCE prévoit une liste des objets insaisissables (ainsi que des textes annexes – L 411-12 du Code du travail prévoit l’insaisissabilité des immeubles et mobiliers nécessaires à l’activité syndicale), il n’est pas prévu d’insaisissabilité des objets funéraires personnels. C’est la notion de souvenir a caractère personnel et familial, prévue à l’article R112-2-13° du CPCE, qui doit être discutée pour contester le validité de la saisie (II).

II) La notion de souvenir à caractère personnel et familial.

La grande majorité des quelques arrêts à lire sur la notion de "souvenirs à caractère personnel ou familial" porte sur la question de savoir si cette qualité serait présumée du fait de leur origine successorale, question a laquelle la cour de cassation a répondu à la négative.

On peut toutefois remarquer que la démonstration du caractère personnel et familial est particulièrement difficile.

En raison de l’exigence des juges.

A ainsi été jugée comme insuffisante à la démonstration du caractère "personnel et familial"la production de trois attestations de proches [1] ; et allant même jusqu’à taxer d’attestation “produite pour les besoins de la cause”, et donc irrecevable, l’attestation produite dans le cadre de l’instance, alors que, cela fait sens, une attestation est nécessairement produite dans cette intention [2].

En raison de l’imprécision des preuves.

La démonstration du caractère personnel et familial du souvenir doit se faire avec précision et ce à propos de chaque objet individuellement, en ce sens que cette qualification ne couvre pas un ensemble d’objets, raison pour laquelle l’origine successorale d’un bien ne suffit pas à caractériser cette qualification de souvenir personnel ou familial.
En ce sens on peut lire que :

"la qualification de souvenirs de famille, notion qui doit être strictement appréciée [...] ne saurait correspondre à des biens usuels dont il n’a pas été établi avec précision que chaque objet a pour lui [le débiteur] le caractère d’un souvenir à caractère personnel" [3].

Ainsi, la possession d’un reliquaire de valeur mais contenant des restes funéraires d’une autre famille ne pourrait pas rentrer sous la protection de l’insaisissabilité des "biens à caractère personnel et familial", cet objet ne pouvant avoir un souvenir à caractère personnel pour le débiteur n’étant pas membre de la dite famille.

Le reliquaire, même acheté récemment, change t-il de caractère par l’adjonction d’une urne funéraire, ou le versement en son intérieur de cendres funéraires ?

Il apparaît comme difficilement admis de permettre le déplacement des cendres en un autre récipient moins onéreux, l’article 16-1-1 du code civil prévoyant "le droit au respect, à la dignité et à la décence des cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation".

La cour de cassation a posé le principe par un arrêt en date du 11 avril 1938 que "les tombeaux et le sol sur lequel ils sont élevés, que ce soit en cimetière public ou en cimetière privé, sont en dehors des règles du droit sur la propriété et la libre disposition des biens et ne peuvent être considérés comme ayant une valeur appréciable en argent". Mais cette protection ne vaut que sur la propriété du sol, et ne touche pas les voies d’exécution.

Il convient donc d’opérer un équilibre entre les caractères contraires de "bien de valeur" et de "souvenir à caractère personnel ou familial", en retenant que le dit ossuaire est saisissable si sa valeur pécuniaire dépasse la valeur sentimentale que le propriétaire lui voue, et ce afin d’éviter que le critère de la valeur marchande de l’objet ne l’emporte trop facilement sur le caractère sentimental.
Plus l’objet serait intime, ancestral, voire religieux, plus il faudrait que la valeur marchande de l’objet soit importante pour emporter sa saisissabilité.

Sans avoir expressément prévu l’insaisissabilité des objets funéraires, le raisonnement doit se rapprocher de celui prévu par le législateur à l’article L112-2-5° CPCE, en dérogation du 1° du même article, prévoyant la possibilité de saisie des biens déclarés insaisissables lorsqu’ "ils sont des biens de valeur, en raison notamment de leur importance, de leur matière, de leur rareté, de leur ancienneté ou de leur caractère luxueux".

A défaut, et afin d’éviter d’engager la responsabilité du créancier et de l’Huissier de Justice, il semble plus judicieux de saisir le JEX de difficulté d’exécution selon la procédure prévue aux articles R151-1 et suivants du CPCE.

Par Rémi Oliveras Clerc Collaborateur d'Huissier de Justice - Etude Nouvel (97100)

[1CA Lyon, 05/09/2019, n°19/00988.

[2CA Metz, 05/06/2018, n°17/00887.

[3CA Lyon, 05/09/2019, n°19/00988.