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[Chronique] Avocates et élues investies, inspirez-nous ! Entretien avec Elizabeth Oster (5).
Parution : samedi 9 mai 2020
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Dans le cadre de la chronique « Avocates, inspirez-nous ! », Christine Méjean et Isabelle-Eva Ternik s’entretiennent également avec des avocates qui sont d’anciennes élues, enthousiastes à l’idée de partager leur vision de la profession. Le Village de la Justice a souhaité vous faire part de la richesse et de la diversité de leurs propos.

Ce nouvel entretien est dédié à Elizabeth Oster, avocate en droit commercial qui n’hésite pas à s’engager dans la vie de la cité et qui, en tant qu’élue, s’est battue pour plus de transparence sur les finances du Conseil de l’Ordre.
Pour cette avocate dont le courage est une philosophie de vie, une décision de justice doit tenir compte du droit, de l’éthique et de l’humain. Selon Elizabeth Oster, "l’exercice du métier d’avocat est un corpus dont la finalité est l’humain."

"Avocates, inspirez-nous" : les origines du projet.

La loi du 1er décembre 1900 a permis aux femmes d’exercer la profession d’avocat. Olga Balachowsky-Petit a été la première femme à prêter serment le 6 décembre 1900 et Jeanne Chauvin a été la première femme à plaider dans une affaire de contrefaçon de corsets en 1907.
118 ans plus tard, en 2018, les avocates sont plus de 36.000 en France et représentent plus de 55% de la profession d’avocat [1]. Cependant, seules 24,5% d’entre elles sont associées dans les 100 plus grands cabinets d’affaires et leurs revenus moyens sur l’ensemble de leur carrière sont inférieurs de plus de 50% à ceux des hommes [2].
Apprenons à les connaître ! Comment les avocates appréhendent-elles leur métier ? Quelles sont leurs clefs de succès ? Quelle(s) transformation(s) apportent-elles au sein de la profession ?


Elizabeth Oster, avocate en droit commercial depuis 34 ans, Ancien Membre du CNB et du Conseil de l’Ordre de Paris.

(crédits photo. : Isabelle-Eva Ternik)

Ses attentes du métier d’avocat.

"(...) avec le droit, on est au cœur de la matrice de régulation de la société."

« Je suis devenue avocate par les circonstances de la vie. Initialement, je voulais être médecin mais j’étais répugnée par les dissections. Orpheline de père à 17 ans, j’ai dû régler les questions d’héritage. Cela m’a fait comprendre l’importance du droit. A l’université, j’ai choisi d’étudier le droit et l’économie. Puis, je me suis rendue compte que l’économie me correspondait moins, alors je l’ai arrêtée. Je trouve qu’avec le droit, on est au cœur de la matrice de régulation de la société. Pour comprendre les rapports de force, il faut se demander au sein du droit des affaires : "Qui fait l’argent ? Où va l’argent ?" Mon aspiration était de devenir médiateur entre la théorie du droit et son application dans la réalité économique de la société. »

Le sens qu’elle donne à son métier aujourd’hui.

« Cette question du sens, je me la pose tous les jours. En qualité d’avocat, je suis aussi auxiliaire de justice. Mon rôle est donc double, d’une part conseiller et/ou obtenir pour mon client une compensation suite à une injustice qu’il a subie, et d’autre part, m’impliquer dans le fonctionnement du système judiciaire. La Justice est un pilier de la démocratie : on voit bien qu’elle est attaquée de toute part, soit frontalement par un budget ridicule (la France étant derrière l’Azerbaïdjan dans les classements de la CEPEJ), soit plus sournoisement, par la création d’embuches procédurales et par la multiplication de strates de réglementation qui s’empilent et parfois se contredisent. Cela nuit à l’état de droit, car la confusion des textes rend la Loi incompréhensible et entraine l’insécurité juridique. Il y a des combats qu’on doit mener même si on sait que le risque de les perdre est important, parce que la société n’est pas prête ou que la loi est mal faite. Il faut se battre pour impulser des changements, car le droit est en perpétuelle évolution. Rien n’est figé ! C’est pourquoi, les algorithmes ne pourront jamais rendre la justice… »

Son expérience d’élue :

"Il existe une crise de confiance entre les avocats et leurs institutions."

« Lors de ma prise de fonction d’élue au Conseil de l’Ordre de Paris, j’ai été interpellée par l’entre soi qui y régnait. Pendant mon mandat, j’ai œuvré avec ma consœur Elisabeth Cauly [3] pour que les élus agissent dans l’intérêt collectif de la profession.
Ainsi, lorsque nous avons constaté que 5 millions d’euros étaient sortis de la caisse de l’Ordre de Paris en 2012 sans justification, nous avons porté l’affaire devant les tribunaux : en 2017, la Cour de Cassation a d’ailleurs confirmé l’annulation de ces comptes 2012.

Ne nous voilons pas la face, il existe une crise de confiance entre les avocats et leurs institutions. Le taux de participation aux élections du Bâtonnier et aux élections des membres du Conseil de l’Ordre de Paris est très faible : 30 % en 2019 ! Qui vote ? Majoritairement les avocats qui soutiennent un candidat et les jeunes avocats qui débutent dans la profession. C’est inquiétant que 70% des avocats ne croient plus en leurs représentants ! Nous avons besoin de plus de transparence dans les comptes et dans l’attribution des missions, de plus d’ouverture dans les profils d’élus et de plus d’engagements individuels en vue de servir l’intérêt collectif de la profession sans risque de répercussion individuelle néfaste. Entre autres, il serait opportun que le Bâtonnier ne soit plus autorité de poursuites disciplinaires. »

Sa philosophie de vie professionnelle :

« Certains avocats estiment que la justice doit être rendue en droit et uniquement en droit. Moi, je me bats pour obtenir une décision de justice qui tient compte du droit, de l’éthique et de l’humain. Il est essentiel de ne jamais se laisser décourager par les autres, de toujours croire en soi et de suivre son instinct. Le courage est l’une de mes valeurs importantes dans la vie. J’aime cette maxime de Périclès : "Il n’y a pas de bonheur sans liberté ni de liberté sans courage" ! »

Ses caractéristiques d’exercice :

"Comme un guide de haute montagne, j’interviens dans des situations délicates (...)"

« Ma mission est définie par les besoins de mon client : ce qu’il exprime avec des mots mais surtout ce qu’il transmet sans même sans rendre compte.
Comme un guide de haute montagne, j’interviens dans des situations délicates : j’identifie un danger, j’évalue les risques, j’ouvre une nouvelle voie et j’assure la mise en sécurité. »

Ses trucs et astuces pour réalimenter le moteur au quotidien :

« Au quotidien, un balayage des actualités juridiques et une ballade en vélo qui réoxygène le cerveau ! Dans les cas difficiles, un petit verre de gin Bombay Sapphire en bonne compagnie ! C’est un gin aux herbes aromatiques, mis au point par les anglais. Je vous le recommande ! (Rires) ».

Equilibre vie pro-vie perso :

« Le métier d’avocat est rythmé par des délais à tenir et par des contraintes à respecter, ce qui crée une tension permanente que l’on porte avec soi. Mon équilibre est un perpétuel recommencement : il se crée au jour le jour en fonction des impératifs professionnels et des besoins personnels. Pour trouver l’équilibre, il faut être attentif et s’adapter sans cesse, ce qui ne met pas pour autant à l’abri de moments de stress ! »

A votre avis, être une femme est-il un atout dans l’avocature ?

"La féminisation de l’avocature me préoccupe, elle reflète une dégradation de nos conditions d’exercice."

« La féminisation de l’avocature me préoccupe, elle reflète une dégradation de nos conditions d’exercice. Il en est de même dans la magistrature. Or la justice est rendue au nom du peuple français, ce qui implique à mon sens le respect d’une certaine parité. »

Avez-vous déjà été témoin d’attitudes sexistes ?

« Je n’ai jamais eu de réflexions désagréables de la part de clients. Au contraire, mes clients sont rassurés par le fait que je sois une femme. Beaucoup d’hommes ont l’impression que les femmes sont plus travailleuses qu’eux. C’est clairvoyant (Rires) ! Je me rappelle au début de ma carrière d’une méprise avec un client italien, qui venait sur recommandation et qui pensait que Maître Oster était un homme. Lorsque je l’ai accueilli au cabinet, je lui ai dit : "Bonjour Monsieur, nous avons rendez-vous ensemble". Il m’a répondu : "non, vous vous trompez, j’ai rendez-vous avec votre père avocat !" (Rires). »

Ses conseils aux étudiants :

"Un avocat doit s’intéresser à tout et pas seulement à son hyper spécialisation."

« Avant de choisir le métier d’avocat, il faut se poser les questions suivantes :
Est-ce que j’ai envie de me battre ?
Est-ce que je suis capable de me confronter à l’incertitude ?
Est-ce que je suis ouvert sur le monde ? 

Un avocat doit s’intéresser à tout et pas seulement à son hyper spécialisation : les changements économiques, politiques, techniques ainsi que toutes les modalités d’expression de ces changements y compris dans la communication et dans l’art. L’exercice de notre métier est un corpus dont la finalité est l’humain, même lorsque l’on exerce en droit des sociétés ! ».

Ses conseils aux jeunes avocats :

« Il est fréquent de se tromper dans notre métier où tout est évolutif. Il ne faut jamais ni se décourager ni renoncer. On commet tous des erreurs, c’est inévitable, alors stop à l’auto flagellation ! C’est un frein au développement. Il est important de savoir parler de ses erreurs avec d’autres confrères : en échangeant, on se donne la possibilité de se rendre compte qu’il y a d’autres moyens d’agir ou qu’il n’y a simplement rien à faire, c’est comme ça ! ».

Sa vision de l’avenir du métier :

"L’avocat qui travaille avec une plateforme n’est plus un avocat indépendant."

« Il est primordial de préserver notre indépendance. Malheureusement, nous avons du mal à nous fédérer entre avocats, ce qui laisse le champ libre à des tiers extérieurs. A titre d’exemple, les plateformes de mise en relations avec des avocats : il s’agit d’un processus d’uberisation, qui coupe le lien direct entre l’avocat et le client.
L’avocat qui travaille avec une plateforme n’est plus un avocat indépendant. Je comprends l’effet de séduction sur certains confrères, car la plateforme amène de nouveaux clients. Mais les confrères doivent se rendre compte qu’ils seront captifs de la plateforme, qui va déterminer leur rôle - de façon insidieuse - en définissant le type de documents prérédigés ou encore en imposant des délais de réponse. Est-on en capacité de trouver systématiquement la bonne réponse à apporter à un client dans un délai de 48h sans analyse approfondie ? Sous prétexte de vouloir démocratiser le droit à bas prix, ne risque-t-on pas d’en faire un produit de mauvaise qualité ? Il appartient aux avocats de faire le nécessaire pour rester maîtres de leurs modalités d’intervention dans l’intérêt de leurs clients et de la justice en général. »

Son regard sur la gestion de crise du coronavirus :

"Les coûts humain et économique de cette crise entraineront une affluence de procédures que l’avocat, acteur fondamental de la vie de la cité, devra porter."

« J’ai d’abord une pensée pour les victimes, les malades et leurs proches ainsi que les soignants qui ont trouvé des trésors de dévouement et d’ingéniosité. Cette pandémie a révélé les insuffisances de notre système politique, incapable d’anticiper la crise sanitaire, qui s’est traduite par une confiscation de notre démocratie, et donc un exercice solitaire du pouvoir, sans aucun contrepouvoir. Le seul recours possible était le référé-liberté devant le Conseil d’Etat, qui a vite montré ses limites, du fait notamment de l’ambivalence de son double rôle de Conseil du gouvernement et de Juge de son action. Ainsi, l’abandon inadmissible de nos seniors dans les EHPAD, l’absence de protection du personnel soignant ainsi que l’interdiction d’importer des masques interpellent. L’avocat aura un rôle à jouer, car la responsabilité du politique ne doit pas rester un vain mot. Les coûts humain et économique de cette crise entraineront une affluence de procédures que l’avocat, acteur fondamental de la vie de la cité, devra porter. »

Propos recueillis par: Christine Méjean et Isabelle-Eva Ternik, Avocates.

[1Source : www.justice.gouv.fr

[2Source : Rapport Haeri 2017.

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