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Quelles sont les obligations des entreprises pour protéger la sécurité et la santé des salariés ? Karina Elharrar, Avocat.
Parution : mercredi 6 mai 2020
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La loi impose à l’employeur de prendre toutes "les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs" [1].

Dans le contexte actuel, cette obligation est d’autant plus renforcée ; l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé de son personnel : actions de prévention, actions d’information et de formation, mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’obligation de sécurité qui pèse sur l’employeur est une obligation de moyens renforcée et non une obligation de résultat [2]. Cela signifie que la responsabilité de l’employeur ne peut être engagée s’il est en mesure de démontrer qu’il a mis en œuvre toutes les mesures nécessaires à la protection de la santé et de la sécurité des salariés, et cela quand bien un dommage se produirait.

Ainsi, il n’incombe pas à l’employeur de garantir l’absence de toute exposition des salariés à des risques, mais de les éviter le plus possible en mettant en place des mesures de prévention adaptées aux métiers de l’entreprise.

L’employeur doit s’informer de l’évolution de la situation et mettre en œuvre toutes les mesures préconisées par le Gouvernement.

I. Les obligations découlant du protocole national de déconfinement établi par le ministère du Travail.

Le ministère du Travail a publié un protocole national de déconfinement afin de guider les entreprises et les associations, quelles que soient leur taille, leur activité et leur situation géographique, à reprendre leur activité tout en assurant la protection de la santé de leurs salariés grâce à des règles universelles.

Ce protocole apporte des précisions sur plusieurs points :

a. Les mesures « barrière » et la distanciation physique.

Le protocole rappelle les gestes « barrière » à respecter. Il est fortement conseillé d’afficher dans l’entreprise un rappel de ces gestes.

Une distanciation physique a été fixée ainsi chaque salarié devra disposer de "4 m²", soit une distance d’au moins 1 mètre autour d’une personne. Cette distanciation doit s’appliquer dans tous les lieux de l’entreprise : que ce soit, dans les ateliers, l’open-space, la cafétéria, les couloirs ou encore dans les ascenseurs.

Il faudra privilégier une personne par bureau et attribuer si possible un poste fixe. Si cette règle de distanciation sociale ne peut pas être respectée, le port du masque devient "obligatoire".

C’est à l’entreprise d’en fournir à ses salariés.

Par ailleurs, il est précisé que dans le cas du Covid-19, l’employeur peut également décider de généraliser le port collectif du masque « grand public » au sein de l’entreprise. Toutefois, lorsque les gestes barrières peuvent être respectés, le port généralisé du masque est une possibilité, et non une obligation.

Le ministère de la Santé précise par contre qu’il faudra éviter de porter des gants, qui donnent « un faux sentiment de protection » car eux-mêmes sont « vecteurs de transmission » du coronavirus.

b. La gestion des flux de personnes.

Pour éviter aux employés de se croiser, un sens unique de circulation dans les ateliers, couloirs et escaliers avec marquage lisible au sol fait partie des « bonnes pratiques » à promouvoir.

La réorganisation des horaires pour les arrivées, mais également pour les pauses sera déterminée pour éviter les affluences.

Chaque personne travaillant au sein de l’entreprise doit être informée des nouvelles conditions de circulation, et des conditions d’usage des espaces.

c. Le nettoyage et la désinfection.

Les locaux doivent eux être désinfectés tous les jours, et même plusieurs fois par jour pour tout ce qui sera touché par de nombreux salariés, comme les interrupteurs, les poignées de porte, les rampes d’escalier.

Par ailleurs, il faudra aérer régulièrement (toutes les 3 heures) les pièces fermées pendant au moins 15 minutes.

Le ministère recommande de condamner les tourniquets pour éviter la transmission par contact mains.

Il est fortement recommandé de proposer à l’entrée et à la sortie des entreprises du gel hydro alcoolique.

Par ailleurs, il est conseillé de les laisser les portes ouvertes, sauf si ce sont des portes coupe-feu non équipées de dispositif de fermeture automatique, afin de limiter les contacts avec les poignées.

d. Les contrôles de température et les campagnes de dépistage du Covid-19 organisées par les entreprises pour leurs salariés.

Le ministère déconseille la généralisation du contrôle de température pratiquée par certaines entreprises.

Il est toutefois précisé dans le protocole que les entreprises, dans le cadre d’un ensemble de mesures de précaution, peuvent organiser un contrôle de la température des personnes entrant sur leur site.

Ainsi, dans le contexte actuel, ces mesures peuvent faire l’objet de la procédure relative à l’élaboration des notes de service valant adjonction au règlement intérieur prévue à l’article L1321-5 du code du travail qui autorise une application immédiate des obligations relatives à la santé et à la sécurité́ avec communication simultanée au secrétaire du comité́ social et économique, ainsi qu’à l’inspection du travail.

Elles doivent alors respecter les dispositions du code du travail, en particulier celles relatives au règlement intérieur, être proportionnées à l’objectif recherché et offrir toutes les garanties requises aux salariés concernés tant en matière d’information préalable, d’absence de conservation des données que des conséquences à tirer pour l’accès au site.

En outre, des garanties doivent être données, notamment :
- la prise de mesure dans des conditions préservant la dignité ;
- une information préalable sur ce dispositif (RI, note de service, affichage, diffusion internet) en particulier sur la norme de température admise, l’objectif de la mesure et sur l’absence de suites au dépassement de cette norme.

En toute état de cause, le salarié est en droit de refuser cette mesure. Si l’employeur, devant ce refus, ne laisse pas le salarié accéder à son poste, il peut être tenu de lui verser le salaire correspondant à la journée de travail perdue.

Le ministère souligne que dans tous les cas le salarié est invité à mesurer lui-même sa température en cas de sensation de fièvre, et plus généralement, "d’auto-surveiller" l’apparition de "symptômes évocateurs".

Quant aux campagnes de dépistage du Covid-19 organisées par les entreprises pour leurs salariés, « elles ne sont pas autorisées ». L’employeur engage sa responsabilité civile et pénale.

Par ailleurs, le ministère précise qu’il revient, à l’entreprise, le cas échant avec la médecine du travail, de rédiger préventivement une procédure ad hoc de prise en charge sans délai des personnes symptomatiques afin de les isoler rapidement dans une pièce dédiée et de les inviter à rentrer chez eux et contacter leur médecin traitant.

II. Les autres obligations de l’employeur.

a. Actualiser le document unique d’évaluation des risques professionnels.

Tout employeur doit transcrire et mettre à jour dans un document unique les résultats de l’évaluation des risques (DUER) pour la santé et la sécurité des travailleurs qu’il est tenu de mener dans son entreprise ainsi que les facteurs de risques professionnels.

Quelle que soit la taille de l’établissement, ce document unique doit servir à orienter l’employeur dans la définition des actions de prévention prioritaires lui permettant de supprimer ou de réduire les risques et facteurs de risques professionnels identifiés et d’améliorer les conditions de travail. En ce sens, il peut être vu comme un document d’aide à la décision contribuant à, sinon fondant, toute politique de prévention respectueuse des principes généraux de prévention définis à l’article L4121-2 du code du travail.

L’épidémie de coronavirus nécessite l’actualisation du document unique tel que cela a été rappelé par le ministère du Travail. La Cour d’appel de Versailles l’a également rappelé dans son arrêt du 24 avril 2020 en sanctionnant la société Amazon.

Pour ce faire, l’employeur doit renouveler son analyse des risques professionnels.

Le ministère du travail précise que l’actualisation de l’évaluation des risques vise particulièrement à identifier les situations de travail pour lesquelles les conditions de transmission du coronavirus peuvent se trouver réunies : même lieu de vie, contact direct à moins d’un mètre lors d’une toux, d’un éternuement, discussion de plus de 15 minutes en l’absence de mesures de protection, contact des mains non lavées. La combinaison de ces critères permet d’identifier le risque spécifique à l’entreprise et les mesures de prévention à mettre en œuvre.

Il convient de rappeler que le document unique doit être tenu à la disposition des travailleurs, du CSE et du médecin du travail.

Par ailleurs, le fait de ne pas transcrire ou de ne pas mettre à jour les résultats de l’évaluation des risques est puni d’une amende de 1.500 euros et de 3.000 euros en cas de récidive [3].

L’employeur peut également être tenu de verser des dommages et intérêts à ses salariés s’ils justifient d’un préjudice résultant du défaut d’établissement du document unique de prévention des risques.

b. Consultation du CSE.

Il convient de rappeler que l’employeur doit consulter le CSE si les mesures prises entraînent une modification importante de l’organisation du travail.

Toutefois, le ministère du Travail a indiqué que, devant l’impossibilité de réunir le CSE en raison de l’épidémie l’employeur conserve la faculté de prendre des mesures conservatoires si l’urgence l’exige, avant de consulter le CSE.

III. Le droit d’alerte et de retrait du salarié.

Les salariés disposent d’un droit d’alerte et de retrait, qu’ils peuvent exercer s’il a un motif raisonnable de penser qu’une situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection [4].

Néanmoins, le ministère du Travail a indiqué que le droit de retrait vise une situation particulière de travail et non une situation générale de pandémie. Il précise également que dans ce contexte si l’employeur a mis en œuvre les dispositions prévues par le code du travail et les recommandations nationales visant à protéger la santé et à assurer la sécurité de son personnel, qu’il a informé et préparé son personnel, notamment dans le cadre des institutions représentatives du personnel, le droit individuel de retrait ne peut en principe pas trouver à s’exercer.

Karina Elharrar Avocat au Barreau de Paris site internet : www.elharraravocats.com

[1Article L4121-1 du Code du travail.

[2Soc. 25 nov. 2015, n°14-24.444 ; Ass. Plénière 5 avril 2019, n° 18-17.442.

[3C. trav., art. R4741-1.

[4Art. L4131-1 du Code du travail.

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