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CDD, CDDU, intermittence, comment éviter les pièges de la précarité salariale (1ère partie). Par Judith Bouhana, Avocat.
Parution : jeudi 7 mai 2020
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La précarité salariale est un phénomène de grande ampleur : en 2017 30% des CDD ne durent qu’une seule journée.
L’embauche en CDD est passé de 20,5% à 84% entre 1993 et 2017 (source DARES analyses publiées le 21 juin 2018).

I. CDD et CCDU, intermittence : un régime d’exception.

Vous êtes extrêmement nombreux à travailler sous ces régimes d’exception, le contrat de travail à dure indéterminée étant « la forme normale et générale de la relation de travail » [1].

L’expansion démesurée des contrats précaires a donné lieu à de nombreux abus sanctionnés par les Juges qui interprètent en faveur du salarié les dispositions contraignantes des articles L1242-1 et suivants du Code du travail.

Quelles sont les enseignements à tirer des décisions les plus récentes :

II. Un formalisme d’ordre public protecteur du salarié.

1. L’exigence d’un contrat écrit et signé.

L’article L1242-12 du Code du travail est clair :

« Le contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif. A défaut, il est réputé conclu pour une durée indéterminée… »

2. Dès lors que le contrat de travail n’est pas signé il est réputé à durée indéterminé.

Malgré les dispositions légales parfaitement claires, un contentieux s’est élevé avec un agent polyvalent initialement engagé à durée déterminée qui demandait la requalification de son contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, l’employeur arguant que ce contrat non signé était néanmoins « corroboré par les attestations de l’employeur sur cette période d’emploi (et que) le salarié ne justifie pas avoir travaillé sans discontinuer » jusqu’à la date de signature du contrat à durée indéterminée.

Dans son arrêt du 27 mars 2019 [2], la Cour de Cassation applique stricto sensu les dispositions de l’article L.1242-12 non susceptibles d’interprétation :

« Faute de comporter la signature de l’intéressé, le contrat à durée déterminée invoqué par l’employeur ne pouvait être considéré comme ayant été établi par écrit et qu’il était, par suite, réputé conclu pour une durée indéterminée,… le salarié était réputé avoir occupé un emploi à durée indéterminée depuis le jour de son engagement par un contrat à durée déterminée irrégulier ».

3. Bien plus, tous les contrats à durée déterminée doivent être établis par écrit, à défaut ils sont présumés conclu à durée indéterminée.

C’est ce qui ressort de l’arrêt du 22 mai 2019 [3] concernant un assistant réalisateur engagé par de très nombreux contrats à durée déterminée depuis 1998.

Et dans le même sens [4] concernant un animateur chanteur à l’égard duquel la Cour d’Appel ayant renversé la charge de la preuve a considéré que les pièces versées par le salarié ne permettaient pas de démontrer qu’il exerçait son activité de manière permanente dans l’entreprise :

« L’arrêt… retient… que les pièces versées par le salarié ne permettent pas de vérifier la régularité des prestations assurées…, que les jours,… cités dans les annonces en ligne sont tous aussi aléatoires, que de même les attestations de clients qu’il produit… plus encore, le calendrier dressé par l’employeur corroboré par des affiches de spectacle contredit celui établi par le salarié… ».

Un renversement de la charge de la preuve mis à tort sur les épaules du salarié que la cour de cassation ne pouvait que contester :

« Alors qu’ayant constaté que le contrat de travail à temps partiel ne répondait pas aux exigences de l’article L. 3123-14 du code du travail (ancien du code du travail aujourd’hui L.3123-6 du nouveau code), la cour d’appel, qui ne pouvait écarter la présomption de travail à temps complet qui en résultait sans constater que l’employeur faisait la preuve de la durée de travail exacte, mensuelle ou hebdomadaire, convenue, a violé le texte susvisé ».

4. Lorsque les juges requalifient les contrats à temps partiel en contrat de travail à temps plein.

Une grande partie du contentieux des contrats précaires concerne la requalification des contrats à durée déterminée à temps partiel en contrat à temps plein.

Les articles L3123-6 et suivants du Code du travail exigent de préciser par écrit la durée hebdomadaire mensuel prévue et de la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois.

En l’absence d’écrit, il appartient à l’employeur d’établir que le salarié n’était pas dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu’il n’avait pas à se tenir constamment à sa disposition.

Les Juges requalifient régulièrement les situations bancales dans lesquelles l’employeur peine à établir qu’il a respecté les dispositions légales.

C’est ainsi que l’assistante réalisateur depuis 1998 (arrêt précité) a obtenu la requalification de ses CDD en contrat à durée indéterminé présumé à temps complet, la Cour retenant :

« qu’aucun élément ne démontrait que le travail du salarié lui offrait une certaine autonomie dans l’organisation de son temps ou s’effectuait sur une durée hebdomadaire ou mensuelle constante selon une répartition régulière, que les plannings mensuels étaient sommaires sans indication des horaires quotidiens ou hebdomadaires et que l’examen des bulletins de paie sur les années de collaboration démontrait que le salarié ne travaillait pas toujours les mêmes jours du mois ni les mêmes semaines ni le même nombre de jours et de semaines… » [5]

Ainsi, sur cette durée particulièrement longue, l’employeur remplissait les exigences légales pour certain contrat mais pas pour d’autres.

La Cour a cependant apprécié d’une manière globale les carences de preuve de l’employeur compte tenu de la durée d’embauche particulièrement longue et requalifié les contrats à durée déterminée en contrat de travail à temps plein malgré l’existence de périodes non travaillées entre les contrats.

Dans le même sens [6] s’agissant d’une chargée d’enquête intermittente demandant la requalification de ses contrats à durée déterminée d’usage en contrat de travail à durée indéterminée à temps complet, la Cour a relevé que :

« Le contrat de travail intermittent ne mentionnait pas la durée annuelle minimale de travail de la salariée, ce dont (la Cour) a exactement déduit que le contrat était présumé à temps complet… »

Et l’arrêt de la Cour de Cassation du 15 janvier 2020 [7] concernant un animateur chanteur pour lequel la Cour d’Appel a renversé la charge de la preuve en exigeant de sa part que le salarié prouve que son emploi était à temps complet, alors qu’un contrat à temps partiel doit mentionner la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue et la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois [8].

Ainsi, la Cour suprême en conclut :

« Qu’ayant constaté que le contrat de travail à temps partiel ne répondait pas aux exigences de l’article L. 3123-14 du code du travail, la cour d’appel, qui ne pouvait écarter la présomption de travail à temps complet qui en résultait sans constater que l’employeur faisait la preuve de la durée de travail exacte, mensuelle ou hebdomadaire, convenue, a violé le texte susvisé ».

A suivre 2ème partie : l’activité permanente et durable, les périodes interstitielles... comment déjouer les pièges de la précarité salariale.

Judith Bouhana Avocat spécialiste en droit du travail www.bouhana-avocats.com

[1article L.1221-2 du Code du travail

[2n°17-26273

[3n°17-31048

[4Cass. Soc 15 janvier 2020 n°18-16158

[5Cass. Soc. 22 mai 2019 n°17-31048.

[6Cass. Soc 18 décembre 2019 n°18-25322.

[7n°18-16158

[8Ancien article L3123-14 transposé au L3123-6 du nouveau code du travail.