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Compétence des tribunaux de droit commun en matière de cession de marque. Par Adrien Cohen-Boulakia, Avocat.
Parution : vendredi 8 mai 2020
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Seuls certains tribunaux judiciaires, (anciennement tribunaux de grande instance) figurant sur une liste établie par voie réglementaire sont compétents en matière de marques. Il s’agit des tribunaux de Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Nanterre, Nancy, Paris, Rennes, Strasbourg, Fort-de-France.

1/ Contexte du litige.

L’affaire soumise au juge des référés près le tribunal de grande instance de Montpellier concernait un litige entre les parties à une promesse de cession de marque [1]. Les parties s’opposaient tant sur la question de la formation du contrat, que ses modalités de mise en œuvre. Ils s’opposaient également sur la valeur de la marque cédée, et la demande visait essentiellement, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, à la désignation d’un Expert qui serait chargé de l’évaluation de la marque.

2/ Prétentions des parties et décision.

Le défendeur à l’action soutenait que seul le tribunal de grande instance (désormais tribunal judiciaire) de Marseille était compétent, conformément aux règles de compétence susvisées, contenues à l’époque du litige à l’article L.716-3 du code de la propriété intellectuelle.
Pourtant, la Cour d’appel de Montpellier, par un arrêt du 27 février 2020 [2] a estimé que le juge des référés du tribunal de grande instance de Montpellier était compétent, dans la mesure où le litige n’avait pas à trait à une contrefaçon de marque ni à une protection de la marque elle-même, mais plutôt à la formation et à la mise en œuvre d’un contrat de cession, à savoir l’application de règles de droit des contrats prévues au code civil :
« Le litige susceptible d’opposer les parties sur le fond est donc relatif exclusivement à la formation du contrat de cession et à son exécution, un tel litige n’impliquant pas l’application des règles spécifiques du droit des marques édictées par le code de la propriété intellectuelle, mais celles du droit commun des obligations ».

3/ Appréciation.

L’argumentation retenue pour rejeter l’exception d’incompétence rationae loci est relativement fondée, dans la mesure où les règles de compétence exclusive ont pour objectif une meilleure administration de la justice en prévoyant que seuls certains magistrats spécialisés sont compétents pour appliquer et interpréter les dispositions du code de la propriété intellectuelle. D’ailleurs, plusieurs décisions antérieures ont été rendues dans le même sens, de façon analogue au sujet de litiges relatifs à des contrats de licence de marque, reconnaissant la compétence rationae materiae des tribunaux de commerce pour connaître de ces litiges lorsque les parties au contrat de licence de marque sont des commerçants :
« … que s’agissant d’un simple litige relatif à la bonne ou mauvaise exécution du contrat ne se fondant pas sur des dispositions du droit des marques mais sur le droit commun des contrats, il ne relève pas de la compétence exclusive du tribunal de grande instance mais, par application de l’article L.721-3 du code de commerce, du tribunal de commerce qui connaît des contestations relatives aux engagements entre commerçants ; que le contredit doit donc être rejeté » [3].

Or en l’espèce, le contentieux entre les parties ne concernait pas seulement la formation et l’exécution du contrat : il était également question de l’évaluation de la valeur de la marque objet de la promesse de cession. Et le demandeur à l’incompétence peut légitimement prétendre que l’évaluation d’un droit de propriété intellectuelle suppose la connaissance des règles juridiques qui lui sont applicables… En ce sens, la Cour d’appel aurait pu faire droit à l’exception d’incompétence et estimé que seul le tribunal judiciaire de Marseille était compétent.

Adrien COHEN-BOULAKIA Avocat https://www.nioumark.fr

[2n° 19/05131

[3Cour d’appel de Paris, 17 janvier 2017, n°16/20024