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"Veuillez, sous huitaine, régler une dette datant de 1995". Par Paul-Emile Boutmy, Avocat.
Parution : lundi 11 mai 2020
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On vous réclame le paiement d’une dette vieille de 25 ans, vous êtes surpris ? Cela est pourtant très courant. La maîtrise des règles de la procédure civile et du droit de la consommation permet néanmoins d’anéantir ces créances ou, sinon, d’en diminuer considérablement le montant.

La pratique du rachat de créances nées de crédits à la consommation non remboursés par des sociétés spécialisées ou des fonds communs de titrisation a pour conséquence de « réveiller » de vieilles dettes endormies parfois depuis plus de 20 ans.

Dans ce type de conte, le prince charmant qui réveille la belle endormie est souvent un huissier qui pratique une saisie attribution sur le compte bancaire de Cendrillon.

Certains organismes, tels que DSO, MCS, INTRUM, EOS FRANCE, CREDINVEST, CONTENTIA, 1640, HUGO CREANCES (liste non exhaustive) ont pour activité le rachat de créances auprès d’établissements de crédit, tels que COFINOGA, SOFINCO, CETELEM, BNP PERSONAL FINANCE, CARREFOUR BANQUE...

Ces créances, souvent constatées par un titre exécutoire (une ordonnance d’injonction de payer ou un jugement) sont cédées par milliers, les créanciers initiaux n’ayant pas réussi à les recouvrer en temps utile.

L’activité des organismes qui rachètent ces lots consiste alors à réactiver ces créances, en faisant appel à des sociétés spécialisées dans le recouvrement, ou encore à des huissiers.

En pratique, le débiteur reçoit un premier courrier l’invitant à régler immédiatement une dette vieille de 20 ans…dont le montant a triplé.

Après une première mise en demeure, selon les cas, se succèdent courriers de relance, appels téléphoniques au domicile ou auprès de l’employeur ou des proches, et enfin, une saisie des comptes bancaire ou du véhicule.

L’objectif premier de ces organismes reste néanmoins le recouvrement amiable incomparablement plus rentable que le recouvrement judiciaire.

En effet, en l’absence d’un juge ou d’un avocat, ces organismes n’hésitent pas à présenter à un débiteur un « arrangement amiable » grâce auquel une dette non due serait réglée, ou bien une dette due serait bien réglée, mais à un montant qui n’a rien à voir avec son montant réel.

Ainsi, un débiteur pourrait croire s’en tirer à bon compte alors qu’il paie une dette éteinte ou règle 3.000 € quand sa dette est de 1.000 €.

Le cas typique pourrait s’illustrer à travers l’histoire de Bernadette qui s’était portée caution en 1988 de son fils Robert, lequel avait souscrit un crédit de 20.000 francs pour financer le camion qui permettrait à son entreprise de livraison de prospérer. Face à la faillite de Robert, l’organisme de crédit à la consommation avait obtenu une ordonnance d’injonction de payer en 1991 et fait pratiquer chez Bernadette une saisie de tous ses biens meubles, dont notamment une collection de centaine de mignonnettes (ces petites bouteilles de 5 cl). La vente aux enchères n’avait néanmoins pas permis de couvrir les frais de l’huissier…

Bernadette n’avait formé aucune contestation dans le mois suivant cette saisie, si bien que l’ordonnance d’injonction de payer était devenue définitive et constituait un titre exécutoire valable à l’époque pendant 30 ans, donc jusqu’en 2021, mais depuis la réforme intervenue en 2008 et fixant le délai de prescription des titres exécutoire à 10 ans, ce titre avait vocation à être prescrit en 2018.

En 2016, la dette de Bernadette et Robert est cédée à un fonds commun de titrisation qui, par l’intermédiaire de sa société de gestion, fait pratiquer une saisie pour 15.000 € (les 20.000 francs avaient fait des petits) sur les comptes bancaires de Bernadette en 2017, dont les économies n’atteignaient que 1.200 €. Cette saisie a interrompu le délai de prescription de l’ordonnance d’injonction de payer de 1991, qui sera donc valable jusqu’en 2027.

Bernadette a contesté la saisie mais nonagénaire, elle est décédée avant la fin de la procédure.

Tenace, le fonds commun de titrisation a déposé en 2018 une requête en saisie des rémunérations à l’encontre de Robert qui commençait à peine à percevoir sa retraite. Chaque mois, il sera saisi, chaque mois le délai de 10 ans sera interrompu, et le créancier n’a pas oublié de réclamer les intérêts depuis 1991…

Pourtant, Robert aurait pu contester la qualité à agir du fonds commun de titrisation, ainsi que la régularité de la signification de l’ordonnance et sinon, le montant des intérêts réclamés, ou encore leur majoration.

La question des intérêts n’est pas négligeable, les organismes spécialisés dans le rachat de créances anciennes faisant preuve face au principe de la prescription biennale des intérêts fixé par la Cour de cassation d’un aveuglement systématique.

Il s’agit pourtant d’une jurisprudence faite sur mesure puisqu’elle concernait un fonds commun de titrisation.

Or, lorsqu’un huissier de justice use de sa qualité vraie d’auxiliaire de justice et de professionnel du recouvrement de créances pour réclamer le paiement volontaire d’intérêts qu’il sait prescrits, un juge pourrait bien y trouver la caractérisation du délit d’escroquerie défini en ces termes par l’article 313-1 du Code pénal :
« L’escroquerie est le fait, soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge.
L’escroquerie est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 375.000 euros d’amende.
 »

La question pourrait également se poser lorsqu’un organisme, dépourvu de toute qualité à agir, mandate un huissier pour réclamer un paiement volontaire à un particulier.

Il faut aussi savoir que parfois, un huissier peut bluffer et peut vous réclamer le paiement d’une dette vieille de 20 ans, sans qu’elle n’ait été constatée par un titre exécutoire, et qui est bien évidemment prescrite, en faisant appel au principe de l’exécution d’une obligation naturelle…

Enfin, il existe aussi le cas du créancier économe, dont les salariés vous proposent au téléphone de payer une somme symbolique de 10 euros en vous promettant de laisser dormir votre dossier et de plus vous embêter.

Ce paiement volontaire interrompra le délai de prescription, qui recommencera à courir pendant 10 ans, et évitera à votre nouveau prétendu créancier de payer un huissier pour effectuer un acte interrompant la prescription.

En fin de compte, ce paiement volontaire permettra au créancier d’attendre que le débiteur perçoive sa retraite qui fera en temps utile l’objet d’une procédure de saisie des rémunérations…

En définitive, lorsqu’on vous réclame le paiement d’une vieille dette, il ne faut surtout pas payer le montant qu’on vous réclame et vous devez faire appel à un avocat qui pourra soit contester la qualité à agir du créancier, soit contester la validité du titre exécutoire, soit contester le montant réclamé, et dans certains cas, obtenir des dommages et intérêts.

Paul-Emile Boutmy Avocat à la Cour d'appel de Paris [->paulemileboutmy@gmail.com] https://www.avocat-boutmy.com
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