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La procédure de licenciement pour motif économique de moins de 10 salariés. Par Xavier Berjot, Avocat.
Parution : mardi 12 mai 2020
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La crise sanitaire que nous rencontrons fait craindre, après le recours à l’activité partielle, de multiples licenciements pour motif économique. La procédure applicable est particulièrement complexe, d’autant que les règles ont récemment évolué, tant sur le fond que sur la forme.

1/ Le motif économique justifiant le licenciement.

Les difficultés économiques sont caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés [1].

Le texte ajoute [2] qu’une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à :

- 1 trimestre pour une entreprise de moins de 11 salariés ;
- 2 trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins 11 salariés et de moins de 50 ;
- 3 trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins 50 salariés et de moins de 300 ;
- 4 trimestres consécutifs pour une entreprise de 300 salariés et plus.

Par ailleurs, un licenciement économique peut être motivé par des mutations technologiques, une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ou la cessation d’activité de l’entreprise [3].

Bien entendu, le Covid-19 ne constitue pas, en soi, un motif de licenciement. L’employeur doit justifier être confronté à l’une des situations susvisées pour diligenter valablement une telle mesure.

A cet égard, le recul historique du PIB de la France (estimé à - 8,2% en 2020) laisse planer peu de doutes sur les conséquences économiques qui seront subies par les entreprises et les salariés.

A titre d’illustration, une enquête publiée le 10 avril 2020 par Syntec Numérique révèle que près de trois quart des dirigeants du secteur anticipent une baisse de leur chiffre d’affaires prévisionnel sur le deuxième trimestre 2020 de 23% en moyenne.

Cette situation est préoccupante puisque les entreprises de ce secteur d’activité peuvent davantage s’adapter à un contexte de crise sanitaire (ex. recours massif au télétravail). Néanmoins, faute de carnets de commandes suffisants, ces acteurs économiques sont fragilisés comme bien d’autres…

2/ Le périmètre d’appréciation du motif économique.

Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise s’apprécient [4] :

- au niveau de cette entreprise si elle n’appartient pas à un groupe ;
- et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d’activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude.
La cause économique d’un licenciement ne s’apprécie jamais à un niveau inférieur à celui de l’entreprise [5], à défaut de quoi celui-ci est sans cause réelle et sérieuse [6].

Par ailleurs, les difficultés économiques invoquées doivent toujours exister à la date de rupture des contrats de travail [7].

3/ La tentative de reclassement préalable.

Le reclassement préalable est une véritable condition du bien-fondé de tout licenciement pour motif économique [8].

En effet, le licenciement ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement du salarié ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l’entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l’entreprise fait partie et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel [9].

Le reclassement doit être recherché dès lors que le licenciement est envisagé et jusqu’à sa notification [10].

Pour l’application de l’obligation de reclassement, la notion de « groupe » désigne celui formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu’elle contrôle dans les conditions définies à l’article L. 233-1, aux I et II de l’article L. 233-3 et à l’article L. 233-16 du Code du commerce [11].

Le reclassement du salarié doit s’effectuer prioritairement sur un emploi relevant de la même catégorie ou sur un emploi équivalent assorti d’une rémunération équivalente. À défaut, et sous réserve de l’accord exprès du salarié, le reclassement peut s’effectuer sur un emploi d’une catégorie inférieure [12].

D’un point de vue pratique, l’employeur peut [13] :

- soit adresser de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié ;
- soit diffuser par tout moyen une liste des postes disponibles à l’ensemble des salariés.

Dans les deux cas, les offres de reclassement proposées doivent être écrites et précises (intitulé du poste et descriptif, nom de l’employeur, nature du contrat de travail, localisation du poste, niveau de rémunération et classification [14]).

Enfin, ce texte prévoit que la liste doit préciser les critères de départage entre salariés en cas de candidatures multiples sur un même poste, ainsi que le délai dont dispose le salarié pour présenter sa candidature écrite (en principe, 15 jours francs au minimum).

L’absence de candidature écrite du salarié à l’issue de ce délai vaut refus des offres.

4/ La détermination des critères d’ordre des licenciements.

Confronté à un licenciement pour motif économique, l’employeur ne doit pas chercher à licencier tel ou tel salarié mais doit procéder à des suppressions de poste (ou à des modifications du contrat de travail qui, si elles sont refusées, peuvent conduire à des suppressions de poste).

Il doit donc, de manière objective, déterminer le ou les salariés qui seront licenciés, en application de critères d’ordre des licenciements légaux ou conventionnels.

En l’absence de convention ou accord collectif applicable, l’employeur doit définir les critères retenus pour fixer l’ordre des licenciements, après consultation du comité social et économique (ci-après « CSE »).

Ces critères prennent notamment en compte [15] :

1° Les charges de famille, en particulier celles des parents isolés ;
2° L’ancienneté de service dans l’établissement ou l’entreprise ;
3° La situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés ;
4° Les qualités professionnelles appréciées par catégorie.

L’employeur peut privilégier l’un de ces critères, à condition de tenir compte de l’ensemble des autres.

Précisons qu’en l’absence d’accord collectif, le périmètre d’application des critères d’ordre ne peut pas être inférieur à celui de chaque zone d’emplois dans laquelle sont situés un ou plusieurs établissements de l’entreprise concernés par les suppressions d’emplois (l’atlas des zones d’emploi est effectué par l’INSEE).

Les critères d’ordre s’appliquent à l’ensemble des salariés appartenant à la catégorie professionnelle dont relèvent les emplois supprimés.

D’un point de vue pratique, le travail suivant doit être réalisé :

1/ Définir les « catégories professionnelles », qui visent l’ensemble des salariés qui exercent dans l’entreprise des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune.

2/ Regrouper tous les salariés de l’entreprise dans la catégorie professionnelle à laquelle ils appartiennent.

3/ Appliquer les critères d’ordre à chaque salarié par catégorie professionnelle, étant précisé qu’il est possible d’attribuer des points à chaque critère (« pondération »).

Exemples :

- Parent isolé : 3 points ; 1 enfant : 1 points, 2 enfants : 2 points, etc.
- Ancienneté comprise entre 1 et 3 ans : 1 point ; entre 4 et 8 ans : 2 points, etc.
- Age compris entre 18 et 25 ans : 1 point ; entre 26 et 35 ans : 2 points ; entre 36 et 45 ans : 3 points, etc.

Par exception, la détermination des critères d’ordre n’est pas applicable en cas de fermeture de l’entreprise ou si tous les emplois d’une même catégorie professionnelle sont supprimés [16].

5/ La consultation préalable du CSE.

L’employeur qui envisage de procéder à un licenciement collectif pour motif économique de moins de 10 salariés dans une même période de 30 jours doit réunir et consulter le CSE (ou le CSE central) dans les entreprises d’au moins 11 salariés [17].

A cette fin, l’employeur doit adresser aux représentants du personnel, avec la convocation à la réunion tous renseignements utiles sur le projet de licenciement collectif et, notamment :

1° La ou les raisons économiques, financières ou techniques du projet de licenciement ;
2° Le nombre de licenciements envisagé ;
3° Les catégories professionnelles concernées et les critères proposés pour l’ordre des licenciements ;
4° Le nombre de salariés, permanents ou non, employés dans l’établissement ;
5° Le calendrier prévisionnel des licenciements ;
6° Les mesures de nature économique envisagées ;
7° Le cas échéant, les conséquences des licenciements projetés en matière de santé, de sécurité ou de conditions de travail.

Le texte ajoute que le CSE rend son avis dans un délai qui ne peut être supérieur, à compter de la date de la première réunion au cours de laquelle il est consulté, à un mois. En l’absence d’avis rendu dans ce délai, le CSE est réputé avoir été consulté.

Le procès-verbal de la réunion du CSE doit être transmis à l’autorité administrative [18].

Par ailleurs, dans les entreprises de 50 salariés et plus, le CSE doit être saisi en temps utile, pour avis, sur les projets de restructuration et de compression des effectifs [19].

L’avis du CSE doit, ici aussi, être transmis à l’autorité administrative.

NB. Les consultations sur les projets de restructuration et de compression des effectifs et de licenciement sont deux procédures distinctes. Elles peuvent cependant être concomitantes, sous réserve du respect des délais les plus favorables [20]. Il n’est donc pas obligatoire de tenir des réunions séparées [21], sauf stipulations conventionnelles contraires. Enfin, l’employeur ne doit pas oublier la consultation du CSE sur les critères d’ordre (cf. § 4).

6/ Les entretiens préalables.

L’employeur qui envisage de procéder à un licenciement collectif de moins de 10 salariés dans une même période de 30 jours convoque, avant toute décision, les intéressés à un entretien préalable [22].

Classiquement, la convocation est effectuée par lettre recommandée avec AR ou remise en main propre contre décharge indiquant la date, l’heure, le lieu et l’objet de la convocation, ainsi que la possibilité, pour le salarié, de se faire assister.
L’entretien préalable ne peut avoir lieu moins de 5 jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou la remise en main propre de la convocation.

Au cours de l’entretien préalable, l’employeur doit informer le salarié concerné des dispositifs de reclassement qui lui sont proposés :

- le contrat de sécurisation professionnelle (ci-après « CSP ») dans les entreprises de moins de 1000 salariés ;
- ou le congé de reclassement dans les entreprises de 1000 salariés ou appartenant à un groupe comprenant 1000 salariés.

7/ La notification des licenciements.

A l’issue de l’entretien préalable, et à défaut de possibilité de reclassement, l’employeur doit, une fois sa décision prise, notifier le ou les licenciements [23].

La lettre de licenciement ne peut être expédiée moins de 7 jours ouvrables à compter de la date prévue de l’entretien préalable auquel le salarié a été convoqué.

Pour mémoire, ce délai est de 15 jours ouvrables pour le licenciement individuel d’un membre du personnel d’encadrement.

Par ailleurs, lorsque la rupture du contrat de travail résulte de l’acceptation par le salarié du CSP, l’employeur doit en énoncer le motif économique [24] :

- soit dans le document écrit d’information sur ce dispositif remis obligatoirement au salarié concerné par le projet de licenciement ;
- soit dans la lettre qu’il est tenu d’adresser au salarié lorsque le délai de réponse expire après le délai d’envoi de la lettre de licenciement ;
- soit encore lorsqu’il n’est pas possible à l’employeur d’envoyer cette lettre avant l’acceptation par le salarié du CSP, dans tout autre document écrit, porté à sa connaissance au plus tard au moment de son acceptation.

8/ L’information de la Direccte.

Dans les 8 jours suivant l’envoi des lettres de licenciement, l’employeur doit en informer la Direccte par voie dématérialisée, sur le portail https://ruptures-collectives.emploi.gouv.fr, en précisant : ses nom et adresse, la nature de l’activité et l’effectif de l’entreprise ou de l’établissement, les nom, prénoms, nationalité, date de naissance, sexe, adresse, emploi et qualification du ou des salariés licenciés et la date de la notification des licenciements.

L’autorité administrative compétente est celle dans le ressort duquel est situé le siège de l’entreprise ou celui de l’établissement au titre duquel l’employeur envisage de licencier le ou les salariés [25].

Xavier Berjot Avocat Associé SANCY Avocats [->xberjot@sancy-avocats.com] [->https://bit.ly/sancy-avocats] Twitter : https://twitter.com/XBerjot Facebook : https://www.facebook.com/SancyAvocats LinkedIn : https://fr.linkedin.com/in/xavier-berjot-a254283b

[1C. trav. art. L. 1233-3, al. 2

[2al. 3 à 7

[3al. 8 à 10

[4C. trav. art. L. 1233-3, al. 12

[5Cass. soc. 26-6-2012, n° 11-13.736

[6ex. Cass. soc. 26-2-2013, n° 11-22.265, concernant un motif lié à l’établissement et non à l’entreprise

[7Cass. soc. 3-5-2011, n° 09-43.335

[8Cass. soc. 10-7-1995, n° 94-40.137

[9C. trav. art. L. 1233-4, al. 1

[10Cass. soc. 28 septembre 2011, n° 10-23703

[11C. trav. art. L. 1233-4, al. 2

[12C. trav. art. L. 1233-4, al. 3

[13C. trav. art. L. 1233-4, al. 4 et 5

[14C. trav. art. D. 1233-2-1

[15C. trav. art. L. 1233-5

[16Cass. soc. 14 janvier 2003, n° 00-45.700

[17C. trav. art. L. 1233-8, al. 1

[18C. trav. art. L. 1233-20

[19C. trav. art. L. 2312-39

[20Cass. soc. 16-4-1996, n° 93-20.228

[21Cass. soc. 9-2-2000, n° 98-12.143

[22C. trav. art. L. 1233-11, al. 1

[23C. trav. art. L. 1233-15

[24Cass. soc. 22-9-2015, n° 14-16.218

[25CE 8-2-1985, n° 43161

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