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Souscription automatique en l’absence de refus : légalité des pratiques des opérateurs ? Par Cécile Bury, avocate.
Parution : mercredi 13 mai 2020
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« Evolution de votre contrat », « enrichissement de votre forfait », « bonus », « avantage exclusif », autant d’appellations utilisées par certains opérateurs de télécommunications pour faire augmenter la facture de leurs abonnés par la souscription automatique à un nouveau service en l’absence de réponse de leur part.
→ Rappel de la protection conférée par le droit de la consommation contre ce genre de pratiques pénalement sanctionnées. Qui ne dit mot ne consent pas pour autant.

Vous l’avez peut-être déjà vécu : à l’aide d’un SMS ou d’un message dans l’espace client de l’abonné, le fournisseur de téléphonie / d’accès internet prévient son client qu’il va désormais bénéficier d’un bonus ou avantage exclusif (chaîne de télévision, plateforme tierce de séries ou encore augmentation de la capacité de son forfait actuel par exemple), pour une somme de quelques euros supplémentaires par mois. La proposition, qui ressemble fortement aux autres publicités envoyées au consommateur de façon régulière par l’opérateur, comporte cependant une différence non négligeable : elle s’achève par la mention de la possibilité de renoncer au nouvel avantage en se rendant sur le site de l’opérateur.

Ainsi, dans l’hypothèse où le consommateur ne lirait pas le SMS jusqu’au bout, ou n’irait pas consulter la messagerie de son espace client, il se retrouverait sans le savoir abonné à un nouveau service qui lui serait facturé quelques euros par mois. Un montant susceptible de passer inaperçu pour de nombreux consommateurs et ce d’autant plus que la plupart des factures sont aujourd’hui dématérialisées, accessibles uniquement depuis l’espace client, et donc rarement consultées.

Dans le meilleur des cas pour l’opérateur, le consommateur ne se rend jamais compte que sa facture a augmenté. Dans le moins bon, la manœuvre est tout simplement justifiée par les conseillers de l’opérateur comme une « évolution » normale du contrat de l’abonné et, compte tenu de la méconnaissance probable du droit de la consommation par ce dernier, le tour est joué.

On se souvient pourtant de la pratique tout à fait condamnable et d’ailleurs condamnée qu’était l’envoi d’objets à domicile avec la précision de devoir les renvoyer à l’expéditeur sous peine de s’en voir facturer le prix, pratique qualifiée de vente forcée et réprimée par l’article R.635-2 du Code Pénal. Si cette pratique est aujourd’hui de moins en moins utilisée, les consommateurs étant désormais pour la plupart informés de son illégalité, de nouvelles pratiques leur forçant la main ont fait surface.

Une mise au point s’impose.

Si l’ « évolution », ou plus exactement la modification des conditions contractuelles de fourniture d’un service de communications électroniques peut en principe être imposée par un fournisseur de services (et ce sous réserve de communiquer au consommateur le projet de modification un mois à l’avance par écrit et de préciser la possibilité de résilier le contrat sans pénalité sous quatre mois [1]), la « vente sans commande préalable » est quant à elle strictement interdite et pénalement sanctionnée.

La vente sans commande préalable se définit par le fait « d’exiger le paiement immédiat ou différé de biens ou de services fournis par un professionnel (…) sans que ceux-ci aient fait l’objet d’une commande préalable du consommateur » [2].

Cette pratique commerciale est strictement interdite et punie de deux ans d’emprisonnement, d’une amende pénale allant de 300 000 euros et pouvant être portée de manière proportionnée aux avantages tirés du délit jusqu’à 1 000 000 euros, ainsi que des peines supplémentaires [3], telles que l’affichage de la décision prononcée ou la diffusion de celle-ci par la presse écrite ou tout moyen de communication au public [4]. Elle est encore sanctionnée par la DGCCRF, autorité chargée de la répression des fraudes en matière de concurrence et de droit de la consommation, qui peut également prononcer une amende administrative plus élevée.

Cette pratique de souscription forcée contrevient également aux principes édictés par la directive européenne 2011/83/UE selon lesquels « l’absence de réponse du consommateur dans un tel cas de fourniture ou de prestation non demandée ne vaut pas consentement », il n’y a donc pas de consentement tacite qui vaille en matière de prestation non demandée.

Le Conseil d’Etat a en outre déjà pu expressément préciser que l’adjonction d’un nouveau service par acceptation tacite du client d’un opérateur de télécommunication s’apparentait à une vente sans commande préalable. [5].

Ainsi, bien que certains opérateurs tentent de le faire croire, la souscription à un nouveau service non demandé par le consommateur semble difficilement pouvoir constituer une « évolution » du contrat actuel, mais s’approche davantage de « l’exigence d’un paiement différé pour des services sans que ceux-ci aient fait l’objet d’une commande préalable du consommateur », autrement-dit de la vente sans commande préalable interdite par l’article L121-12 du Code de la consommation.

A titre d’illustration, prenons un contrat ayant pour objet la fourniture d’accès à Internet et à des chaînes télévisées publiques. En schématisant, les conditions pour bénéficier de ces services sont le paiement du prix de l’abonnement ainsi que celui de la location d’une box. La souscription à un Bouquet cinéma bonus pour un prix additionnel de 5 euros par mois ne saurait être une simple modification des conditions du contrat initial qui ne portait que sur Internet + des chaînes publiques, mais constitue en réalité un ajout au contrat et nécessite donc le consentement exprès du consommateur.

En résumé, un nouveau service proposé n’est pas une évolution, c’est une nouvelle offre. Et toute offre nouvelle nécessite l’acceptation expresse de l’autre partie. Qui ne dit mot ne consent pas.

Enfin, le fait de laisser au consommateur la possibilité de contester l’ajout du nouveau service pendant 4 mois après son entrée en vigueur ne saurait faire échapper le professionnel au délit susvisé, dès lors que la seule mise en place de cette pratique est interdite.

Pour contribuer à faire respecter la loi à tous les fournisseurs de services téléphonique ou internet indélicats, tout consommateur victime d’une telle pratique peut, en plus de mettre fin à ses relations avec l’opérateur frauduleux :

1. Signaler la pratique de l’opérateur en question à la DGCCRF, en documentant son signal à l’adresse suivante : https://signal.conso.gouv.fr. Il est recommandé de joindre une lettre explicative accompagnée de captures d’écran des messages reçus de l’opérateur / de l’espace client afin de maximiser les chances que le signalement soit efficace. Un tel signalement peut par ailleurs être effectué de manière anonyme. Ce signalement permettra à l’autorité de régulation de sanctionner l’opérateur si le manquement est constaté, ainsi que de lui enjoindre de cesser sa pratique illicite [6].

2. Prévenir également par e-mail la direction départementale de la protection des populations (DDPP) du lieu du siège de l’opérateur  [7]

3. Porter également plainte auprès du procureur de la République près du tribunal de grande instance de son domicile, par simple lettre exposant les faits [8]

4. Dans le cas où plusieurs consommateurs auraient subi un préjudice financier, contacter une association de consommateurs agréée afin de solliciter l’exercice d’une action de groupe pour obtenir une réparation du préjudice causé (ce serait par exemple le cas si plusieurs consommateurs ne se rendaient compte de leur abonnement surprise que longtemps après l’entrée en vigueur du nouveau service dont la souscription a été forcée, et que l’opérateur refuse de les rembourser).

5. Enfin et surtout, relayer l’information sur ce genre de pratiques (aux proches, amis, réseaux) dans l’espoir de permettre à un maximum de personnes de vérifier leurs factures afin d’éviter qu’elles ne se fassent piéger (et que l’on se rassure, empêcher les gens de se faire piéger n’empêchera pas l’opérateur de se faire condamner pour la pratique par la DGCCRF si le délit est reconnu).

En attendant une éventuelle condamnation, il est souhaitable que les opérateurs de télécommunication s’autorisant de telles pratiques revoient leur éthique.

A l’heure où la RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) est un critère de choix pour les consommateurs, la mauvaise image causée par une pratique apparaissant manifestement abusive peut parfois nuire bien davantage qu’une quelconque pénalité financière.

Cécile Bury, Avocate Avocate au barreau de Paris en contentieux pénal, civil, et commercial Adresse e-mail: [->c.bury@veil.fr] Twitter: @_Cassiopee Linkedin: https://www.linkedin.com/in/cécile-bury-18889a89/

[1Article L224-33 du Code de la Consommation

[2Article L121-12 du Code de la consommation

[3Prévues aux 2° à 9° de l’article 131-39 du Code Pénal

[4Articles L132-17, L132-18 du Code de la consommation et 131-38 du Code Pénal

[5CE, 15 octobre 2003, n°240645

[6Articles L521-1, L521-2 du Code de la consommation

[7pour Paris : ddpp chez paris.gouv.fr :
liste : https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/coordonnees-des-DDPP-et-DDCSPP

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