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Contester une ordonnance de maintien de saisie pénale d’un compte bancaire. Par Matthieu Hy, Avocat.
Parution : mercredi 13 mai 2020
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Un arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 29 janvier 2020 (n°19-84631), sur question prioritaire de constitutionnalité incidente, donne l’occasion de revenir sur le mécanisme de l’article 706-154 du Code de procédure pénale et l’état actuel du droit sur un type de saisie qui a les faveurs de l’autorité judiciaire.

La procédure de saisie pénale de sommes d’argent versées sur un compte bancaire de l’article 706-154 du Code de procédure n’est qu’une déclinaison de l’article 706-153 du même code, qui est elle-même une catégorie de saisie pénale spéciale relative aux biens ou mobiliers incorporels. Elle présente, pour l’autorité judiciaire, plusieurs intérêts.

Outre la facilité avec laquelle les enquêteurs peuvent identifier les comptes dont sont titulaires les personnes physiques et morales, la rapidité de la saisie, qui résulte de sa réalisation par l’officier de police judiciaire lui-même, est décrite par l’arrêt commenté comme l’un des objectifs de ces dispositions largement dérogatoires au droit commun (Crim., 29 janvier 2020, 19-84.631, paragraphe 6).

Selon la Cour de cassation, la nécessité de saisir serait également justifiée par la volatilité de l’argent (Crim., 24 juillet 2019, n°19-80426 ; n°19-80422), argument à sens unique, comme souvent en droit des saisies pénales et confiscations, dès lors que la Haute juridiction estime inopérant tout argument démontrant l’absence de risque de dissipation (Crim., 5 décembre 2018, n°18-80059 ; Crim., 15 juin 2016, n°15-83636).

Enfin, les sommes d’argent ont l’avantage, pour l’Etat, de générer des intérêts, là où les autres biens saisis peuvent générer des frais.

Pour le titulaire du compte, l’effet de surprise est particulièrement anxiogène. En premier lieu, le blocage du compte intervient fréquemment à un moment où son titulaire n’a aucune connaissance de l’existence d’une procédure pénale. En deuxième lieu, l’établissement bancaire ne fournit pas à son client les raisons exactes du blocage, qu’il ne connaît en tout état de cause que superficiellement. En troisième lieu, la procédure même de l’article 706-154 du Code de procédure pénale a pour effet que l’ordonnance du juge des libertés et de la détention ou du juge d’instruction ne parviendra au titulaire du compte que quelques jours, voire quelques semaines, après la saisie effective.

Les fonds rendus indisponibles sont transférés sur les comptes de l’Agence de Gestion et de Recouvrement des Avoirs Saisis ou Confisqués (AGRASC) qui en centralise la gestion (article 706-160, 2° du Code de procédure pénale). Contrairement aux saisies civiles, la saisie pénale peut conduire à vider l’intégralité du compte bancaire. Dans l’arrêt commenté, cette absence d’obligation de laisser une somme à caractère alimentaire sur le compte (solde bancaire insaisissable) n’est pas considérée par la Cour de cassation comme contraire au principe à valeur constitutionnelle de dignité. Parfois, le contentieux pénal se double d’un contentieux civil lorsque l’établissement bancaire, qui se voit également notifier l’ordonnance, estime pouvoir, de ce fait, dénoncer ses concours.

Pour autant, le titulaire du compte n’est pas juridiquement démuni.

Le recours devant la Chambre de l’instruction.

Le titulaire du compte qui se voit notifier l’ordonnance de maintien de saisie de sommes d’argent au crédit de comptes bancaires dispose de dix jours pour exercer son recours devant la chambre de l’instruction par déclaration au greffe du tribunal (article 706-154, alinéa 2, du Code de procédure pénale).

Sur la forme, outre la question de la compétence de l’autorité policière, qui impose que la saisie ait été réalisée par un officier de police judiciaire, se pose celle de l’autorisation préalable du procureur de la République ou du juge d’instruction. Cette autorisation doit exister même si elle peut être donnée par tous moyens (Crim., 17 avril 2019, n°18-84057). La saisie pénale ainsi réalisée doit avoir été maintenue par ordonnance motivée dans un délai de 10 jours (article 706-154, alinéa 1er, du Code de procédure pénale). Le point de départ du délai est la date de notification de la décision de saisie par l’officier de police judiciaire à l’établissement bancaire et non la date de consignation des fonds auprès de l’AGRASC (Crim., 1er avril 2020, n°19-85770). L’autorisation donnée cesse de produire son effet si le délai n’est pas respecté (Crim., 7 juin 2017, n°16-86898), y compris en cas d’ouverture d’une information judiciaire entre la saisie et l’ordonnance (Crim., 7 juin 2017, n°16-86898), ce qui a pour effet de modifier l’autorité compétente pour ordonner le maintien.

Sur le fond, conformément au droit commun des saisies spéciales, la condition principale de validité de l’ordonnance réside dans la confiscabilité des sommes d’argent saisies. En effet, la saisie pénale spéciale a pour objet de garantir l’exécution de la peine complémentaire de confiscation (article 706-141 du Code de procédure pénale). Ainsi, avant même d’auditionner un suspect, l’autorité judiciaire s’assure de la bonne exécution d’une peine, pourtant facultative, mais qui ne manquera pas, dans son esprit, d’être prononcée une fois le suspect déclaré coupable. La chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle régulièrement, sans jamais convaincre, sans doute parce qu’il en va de la saisie pénale comme de la détention provisoire, que la saisie pénale ne constitue pas en soi une violation de la présomption d’innocence (Cass. crim., 12 mai 2015, n°14-81590 ; Crim., 24 juillet 2019, 19-80426, n°19-80422).

Néanmoins, cette culpabilité du titulaire du compte bancaire, qui saute au visage du ministère public dès les premiers temps de l’enquête ou du magistrat impartial qu’est le juge d’instruction, se doit d’être objectivée. L’autorité judiciaire a donc l’obligation de constater l’existence d’indices de commission d’une infraction de nature à justifier la saisie (Crim., 4 mars 2020, n°19-81371), ce que l’arrêt commenté appelle « présomptions (sic) ou indices rassemblés contre la personne mise en cause » (Crim., 29 janvier 2020, 19-84.631, paragraphe 7). Lorsque le titulaire du compte n’est pas suspecté, il sera qualifié de tiers. Sa mauvaise foi, qui ne se présume pas, devra alors être démontrée par le ministère public (Crim., 26 juin 2019, 18-84650), le tiers étant protégé y compris dans l’hypothèse où la somme d’argent saisie serait le produit de l’infraction (Crim., 26 juin 2019, n°18-84651).

Il arrive fréquemment que le titulaire du compte, tiers au moment de la saisie, soit mis en examen ou déjà cité devant le Tribunal correctionnel au jour de l’examen de son recours par la chambre de l’instruction. Si les conditions de la confiscation doivent également être réunies au moment de l’infraction reprochée (Crim., 4 mars 2020, n°19-81818), la Cour d’appel devra alors se prononcer en fonction des seules infractions qui subsistent lors de cet examen, ce qui peut modifier radicalement l’analyse lorsque les principales qualifications ont été abandonnées au fur et à mesure des investigations. De manière générale, la chambre de l’instruction doit tenir compte des nouvelles circonstances telles qu’un classement sans suite (Crim., 23 octobre 2019, n°18-86062, n°18-86058, 18-86060, n°18-86061), le décès d’un mis en cause (Crim., 21 novembre 2018, n°18-80089), l’annulation d’une mise en examen faute d’indices graves ou concordants (Crim., 4 mars 2020, n°19-81371) ou l’abandon de certaines qualifications (Crim., 20 novembre 2019, n°18-86781).

En matière de maintien de saisie pénale de sommes d’argent au crédit d’un compte bancaire, une difficulté particulière tient au fondement le plus fréquent de la saisie. En effet, compte-tenu de la fongibilité de l’argent, la saisie est plus souvent en valeur (article 706-141-1 du Code de procédure pénale et article 131-21, alinéa 9 du Code pénal) qu’en nature. Cela signifie que les sommes sont saisies pour la valeur qu’elles représentent et non pour leur éventuel lien avec une infraction pénale. Dans cette hypothèse, il est vain de démontrer que les sommes saisies ont une origine licite.

En outre, il s’agit généralement d’une saisie en valeur du produit de l’infraction (article 131-21, alinéa 3 du Code pénal). Dans ce cas, contrairement à la saisie reposant sur la confiscation de l’instrument de l’infraction (article 131-21, alinéa 2 du Code pénal), sur la présomption d’illicéité (article 131-21, alinéa 5 du Code pénal) ou sur la confiscation de patrimoine (article 131-21, alinéa 6 du Code pénal), le principe de proportionnalité ne trouve pas à s’appliquer (Crim., 5 janvier 2017, n°16-80275).

Pour autant, la saisie en valeur du produit de l’infraction n’est pas incontestable. D’une part, elle rend relativement complexe la saisie d’un compte dont le titulaire est un tiers à la procédure, dans la mesure où l’examen de la question de la mauvaise foi se double de celui de la question de la libre disposition. D’autre part, elle impose comme plafond la valeur du produit de l’infraction (Crim., 21 novembre 2018, n°18-83041, n°18-82042, n°18-82040, Crim., 24 octobre 2018, n°18-80834). Le montant de ce produit éventuel peut être discuté, à l’aide d’indications chiffrées fournies par l’appelant (sur ce point : Crim., 3 avril 2019, n°18-83052), notamment lorsqu’il s’agit d’une économie (comme en matière de fraude fiscale : Crim., 3 avril 2019, n°18-83052 ; ou de travail dissimulé : Crim., 6 novembre 2019, n°18-85070).

En outre, même lorsque le montant de la saisie est inférieur au montant du produit, le principe de proportionnalité peut être invoqué lorsqu’il reste supérieur au profit généré pour l’appelant par l’infraction reprochée (Crim., 24 octobre 2018, n°18-80834). Dans ce cas, la chambre de l’instruction devra examiner la proportionnalité de la saisie au regard de la gravité des faits et de la situation personnelle de l’appelant (Crim., 29 janvier 2020, 19-84.631), notamment de sa situation économique (Crim., 4 mars 2020, n°19-81818). Cette situation peut se trouver particulièrement fragilisée, notamment pour les entreprises, lorsque les montants en jeu sont si importants que la saisie s’apparente plus à une peine de dissolution prononcée de manière anticipée qu’à une véritable mesure conservatoire.

Des garanties procédurales sont offertes à l’appelant pour assurer sa défense devant la chambre de l’instruction. L’accès au dossier existe mais il est limité aux pièces se rapportant à la saisie, ce qui, en droit commun comme en matière de maintien de saisie pénale de sommes inscrites au crédit de comptes bancaires, a toujours été jugé conforme aux règles conventionnelles (Crim., 25 février 2015, n°14-86450, n°14-86447) et constitutionnelles (Crim. 9 octobre 2019, n°19-82172, Crim., 3 mai 2018, n°18-90004, Crim. 28 mars 2017, n°17-90002). Cela implique nécessairement la mise à disposition de la requête par laquelle le Procureur de la République sollicite du juge des libertés et de la détention le maintien de la saisie (Crim. 24 octobre 2018, n°17-86199). Cependant, pour respecter le principe du contradictoire, l’accès au dossier est loin de se limiter à cette seule pièce. En effet, les pièces précisément identifiées sur lesquelles se fonde la chambre de l’instruction dans ses motifs décisoires, doivent avoir été communiquées à l’appelant (Crim. 23 octobre 2019, n°18-87097 ; Crim., 20 novembre 2019, n°19-80422, n°19-80426). Le contradictoire exige également que l’appelant soit en mesure de discuter le nouveau fondement envisagé lorsque la chambre de l’instruction songe à le modifier (Crim., 17 mai 2017, n°16-87320).

Les requêtes relatives à l’exécution et les requêtes en mainlevée.

Au-delà de l’appel, l’arrêt commenté mentionne l’article 706-144 du Code de procédure pénale (Crim., 29 janvier 2020, 19-84.631, paragraphe 9.) qui rend compétent le magistrat qui a ordonné ou autorisé la saisie « pour statuer sur toutes les requêtes relatives à l’exécution de la saisie », notamment, indique la Haute juridiction, « sur la situation financière dans laquelle est susceptible de se retrouver la personne titulaire d’un compte bancaire dont le solde a été saisi ».

La référence à cette disposition surprend dès lors qu’il ne s’agit pas du fondement des requêtes en mainlevée et restitution. Ces dernières, qui peuvent être déposées à tout moment (Crim., 24 juillet 2019, 19-80426, n°19-80422) relèvent des dispositions de droit commun (Crim., 5 février 2013, n°12-90069) et doivent donc, selon la phase de la procédure, être soumises au procureur de la République (article 41-4 du Code de procédure pénale), au juge d’instruction (article 99 du Code de procédure pénale) ou encore au tribunal correctionnel, avant même le jugement (article 481, alinéa 1er, du Code de procédure pénale).

L’article 706-144 du Code de procédure pénale, rarement utilisé, semblait, jusqu’alors, se limiter aux difficultés d’exécution de la saisie, ce qui renvoyait notamment à la situation des créanciers. Ainsi, l’arrêt commenté soulignerait la possibilité, pour le titulaire du compte, de présenter des demandes qui, sans être des demandes de mainlevée et de restitution à son profit, pourraient consister à solliciter une décision susceptible de régler certaines difficultés relatives à sa situation financière, et de sauvegarder ainsi le principe de dignité.

Matthieu Hy Avocat au Barreau de Paris www.matthieuhy.com [mail->contact@matthieuhy.com]
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