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Covid-19 : que faire si les compagnies ne survivent pas ? Par Anaïs Escudié et Guilhem Della Malva, Juristes.
Parution : mercredi 13 mai 2020
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La pandémie actuelle a provoqué l’interruption d’une très grande majorité du transport aérien, et donc une chute vertigineuse du nombre de vols. Il suffit de lever le nez pour observer l’absence d’avions de ligne dans le ciel, ce qui était impensable il y a peu !
Article vérifié par l’auteur en septembre 2023.

En conséquence, les compagnies aériennes sont menacées : elles ne gagnent plus d’argent, mais continuent d’en brûler afin de rester à flot. La première compagnie à disparaître a été la britannique Flybe, qui est passée en redressement judiciaire dès février 2020. D’autres ont suivi, et il est possible que la liste de compagnies en faillite [1] s’allonge.

Or, les passagers qui ont réservé un vol auprès d’une compagnie disposent d’une créance sur celle-ci, notamment ceux couverts par le règlement européen n°261/2004 (qui s’applique à tout vol au départ de l’Union Européenne, ou tout vol en direction de l’Union Européenne opéré par une compagnie dont le siège social est situé sur le territoire d’un Etat membre de l’Union Européenne). Alors qu’une importante majorité des compagnies refusent de rembourser [2] les passagers dans les meilleurs délais, ou n’ont toujours pas indemnisé les passagers de vols retardés ou annulés, ceux-ci risquent de perdre définitivement leur créance en cas de faillite de la compagnie.

Dans ce climat incertain pour les compagnies aériennes, il apparaît important que tout particulier disposant d’une créance à l’égard d’un transporteur aérien (réservation pour un vol prochain, indemnisation ou remboursement qui n’a pas encore été versé ou effectué notamment) soit informé de leurs droits en cas de procédure collective, en France, dans l’hypothèse d’une faillite de la-dite compagnie.

Rappels succincts sur les enjeux d’une faillite et de la procédure collective en résultant.

Il existe différentes procédures lorsqu’une compagnie se retrouve en situation de cessation des paiements. Le problème est qu’elles dépendent largement du droit de l’État dans laquelle la compagnie qui fait faillite a son siège.

Un point reste commun à la majorité de ces droits : en cas de faillite, tous les créanciers des compagnies cherchent à récupérer le montant qui leur est dû, ou au moins une partie de cet argent. Les passagers sont également des créanciers, au même titre qu’une banque qui a accordé un prêt à la compagnie ou au salarié de la compagnie qui doit toucher sa rémunération. Pour les passagers, la plupart du temps, il s’agira de récupérer l’argent déboursé pour réserver un vol qui a été annulé. Il peut également s’agir d’une indemnisation qui n’a pas encore été payée par la compagnie, ou d’un remboursement qui n’a pas encore été effectué à suite de l’annulation d’un vol.

Ces différents créanciers sont organisés selon un certain ordre qui leur donne ou non le droit d’être payés avant un autre. Les premiers créanciers auront plus de chance de récupérer leur montant que les derniers. Or, les passagers d’une compagnie en faillite sont à la fin de cet ordre. Ce sont des créanciers chirographaires, qui ne détiennent aucun privilège, aucun droit d’être payés avant un autre. Le résultat : les passagers ont malheureusement peu d’espoir de récupérer leur argent.

L’obligation de déclarer sa créance dans un délai précis.

Pour autant, il peut rester un espoir pour les passagers concernés. En France, il existe trois principales procédures collectives pour une entreprise en difficulté : la procédure de sauvegarde, le redressement judiciaire, et enfin la liquidation judiciaire. Entre ces procédures existe un point commun, qui est un principe général : tout créancier, s’il veut être admis dans les répartitions et les dividendes, doit déclarer l’existence de sa créance.

L’article L. 622-24 du Code de commerce dispose ainsi qu’”à partir de la publication du jugement, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d’ouverture [...] adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire dans des délais fixés par décret en Conseil d’Etat”. L’article R.622-24 prévoit quant à lui que “le délai de déclaration […] est de deux mois à compter de la publication du jugement d’ouverture au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC)”.

Les particuliers devront donc respecter un certain délai : à compter de la publication au BODACC du jugement d’ouverture de la procédure choisie, les créanciers bénéficient d’un délai de 2 mois pour déclarer leur créance au mandataire judiciaire (ou au liquidateur, le cas échéant).

Un point intéressant : l’article R.622-24 prévoit un délai rallongé de deux mois, dans l’hypothèse où des créanciers résidant en outre-mer seraient concernés par l’ouverture d’une procédure collective en France métropolitaine, et vice-versa. Ainsi, si la compagnie Air Austral faisait l’objet d’une procédure collective à la Réunion, les passagers résidant en France métropolitaine bénéficieraient d’un délai total de 4 mois. A l’inverse, des passagers résidant dans un département d’outre-mer bénéficieraient d’un délai de 4 mois s’ils détenaient une créance à l’encontre d’une compagnie (Air Caraïbes par exemple) qui ferait l’objet d’une procédure collective ouverte en France métropolitaine.

A défaut de respect de ce délai, le droit du créancier est forclos, c’est-à-dire qu’il n’est plus possible pour le créancier de bénéficier de la répartition et donc de récupérer ne serait-ce qu’une partie du montant auquel il a droit. Il existe certes une exception, le relevé de forclusion. L’article L.622-26 précise que l’action en relevé de forclusion doit être faite dans un délai de 6 mois à compter de la publication du jugement d’ouverture au BODACC. L’article explique également que cette action est restreinte aux cas où les créanciers seraient en mesure de démontrer qu’ils n’avaient pas été en mesure de déclarer leur créancier à cause d’un fait qui ne leur était pas propre, ou parce que la compagnie avait omis de les déclarer dans la liste de créancier qu’elle doit établir en début de procédure.

En conclusion, si les passagers respectent ces délais, ils peuvent déclarer leur créance au mandataire ou au liquidateur judiciaire, dont les coordonnées seront publiées sur l’annonce faite dans le BODACC.

Les conditions de forme et contenu de la déclaration de créance.

Concernant la forme de la déclaration elle-même, celle-ci doit être formalisée par écrit et mentionner de façon non équivoque la volonté d’obtenir sa créance. Toute créance déclarée doit être certifiée sincère par le créancier et doit être justifiée.

Concernant le contenu de la déclaration, certaines mentions sont obligatoires, ainsi qu’en disposent les articles L.622.25 et R.622-23 du Code de commerce. Voici celles qui peuvent concerner des passagers :
Le montant de la créance due au jour du jugement d’ouverture ;
Si la créance est en monnaie étrangère, la conversion en euros selon le cours du change à la date du jugement d’ouverture ;
Si vous avez engagé une instance, toujours en cours, contre la compagnie en vue du remboursement ou du paiement d’une indemnisation : l’indication de la juridiction saisie ;
Les documents justificatifs, à joindre sous bordereau.

Il est obligatoire de chiffrer sa créance précisément. Une déclaration ne portant aucun montant, un montant indicatif ou un montant ne concordant pas avec les justificatifs fournis sera rejetée.

Les passagers pourront eux-même faire leur déclaration de créance, ou choisir un mandataire pour vous représenter et le faire en leur nom. A moins qu’il ne s’agisse d’un avocat, ce mandataire devra justifier de son rôle à l’aide d’un pouvoir. Le greffe du Tribunal de commerce de Paris a publié un modèle de déclaration de créances susceptible d’aider les passagers concernés.

Anaïs Escudié, Présidente de RetardVol et Guilhem Della Malva, Juriste expert chez RetardVol