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Modéliser les clauses de résolution amiable des différends pour en sécuriser l’utilisation. Par Claude Bompoint Laski et Claude Duvernoy, Avocats.
Parution : mercredi 13 mai 2020
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Le législateur du XXIème siècle entend développer la culture du règlement alternatif des différends [1].
Partager une information sur les modes de résolution amiable des différends dès la formalisation de la relation permet d’instaurer, en amont, un climat plus serein entre les partenaires.
C’est l’un des rôles des clauses de résolution amiable à condition qu’elles soient rédigées avec précision, afin d’éviter que leur interprétation ne donne lieu à un contentieux paradoxal.
La modélisation de ces clauses doit permettre d’en sécuriser l’utilisation, « en faisant prévaloir la logique contractuelle sur la logique procédurale » [2].

Les vertus de l’information sur les MARD le plus en amont possible.

Lorsque la médiation est engagée à l’initiative des personnes en conflit avant la cristallisation des positions, le taux d’accords est de 75% à 80%, alors que ce taux tombe à 50% environ quand la médiation est mise en œuvre sur injonction du juge, c’est-à-dire après la naissance du litige.

Ce constat a conduit à intégrer en 2011 la médiation conventionnelle dans la loi cadre n°95-125 du 8 février 1995 qui ne traitait que de la médiation judiciaire [3].

Puis à faire de la médiation conventionnelle un préalable obligatoire à la saisine du juge, véritable fin de non-recevoir destinée à informer les justiciables, sans pour autant les contraindre à un accord, dans le respect de leur droit à l’accès au juge, et sous réserve de dispenses :
- La tentative de médiation préalable obligatoire en matière familiale [4] en 2016,
- La tentative de médiation, de conciliation, de procédure participative, préalable obligatoire en matière de conflits de voisinage ou dont l’enjeu financier est inférieur à 5.000 € [5] en 2019,
- L’expérimentation de la tentative de médiation préalable obligatoire en matière administrative pour les litiges de la fonction publique et ceux liés aux prestations sociales [6] en 2018.

Parallèlement, en matière de consommation, le législateur [7] a imposé en 2016 l’obligation pour tous les professionnels (commerçants, artisans, industriels, professions libérales, agriculteurs) de proposer à leurs clients une médiation/conciliation conventionnelle préalablement à la saisine du juge, ce processus n’ayant cependant aucun caractère coercitif pour le consommateur [8].

Plus en amont encore, c’est à dire avant la naissance du conflit, l’introduction dans un contrat, à titre préventif, d’une clause de médiation, de conciliation, ou de procédure participative, permet fréquemment d’éviter qu’un différend ne dégénère en litige.

Le régime juridique des clauses de résolution amiable des différends a pour origine le droit prétorien, qui déroge au régime des fins de non-recevoir.

Les clauses de résolution amiable des différends sont hybrides :
- à la fois contractuelles – 1. Leur rédaction/interprétation.
La jurisprudence est fondée sur l’interprétation de l’article 1103 du code civil « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits »,
- et processuelles – 2. Une fin de non-recevoir/irrecevabilité.
La qualification de fin de non-recevoir de la clause a pour conséquence l’irrecevabilité de toute action non précédée de sa mise en œuvre.

1. La rédaction des clauses de résolution amiable des différends.

La rédaction de la clause doit démontrer, par sa précision, la volonté claire et déterminée des parties au contrat de privilégier réellement la résolution amiable d’un éventuel différend, obligatoirement et préalablement à toute procédure.

La clause est d’interprétation stricte car elle emporte renonciation, certes temporaire, au droit de saisir le juge.
Aussi, dès lors qu’elle n’est pas claire et précise, elle est interprétée par le juge conformément aux articles 1188 et suivants du code civil (chap.III : L’interprétation du contrat.)

La Cour de cassation veille à ce que les clauses de résolution amiable des différends – compromissoire d’arbitrage, de conciliation, de médiation, de procédure participative – soient rédigées avec clarté et précision de sorte que le type de processus choisi ne soit pas lui-même une cause de conflit supplémentaire.

Il est vrai que la définition de la médiation, à l’article 21 de la loi de 1995, « quelle que soit sa dénomination » prête malheureusement à confusion avec entre les divers modes de résolution amiable [9].

Ainsi, la Chambre civile 3, le 19 mai 2016, n°15-14464, en présence d’une clause prévoyant dans un contrat de maîtrise d’oeuvre « de solliciter l’avis d’un arbitre choisi d’un commun accord », a estimé « nonobstant l’utiliation du terme « arbitre » que cette clause institue une procédure de conciliation obligatoire préalable à la saisine du juge constituant une fin de non-recevoir ».

Les juges recherchent la réalité de la volonté des parties de recourir à un processus amiable dans un but constructif et non dilatoire.

La clause d’un contrat de fabrication de produits de cosmétologie prévoyant la saisine du juge « en cas d’échec ou de refus de la médiation », faute d’établir la preuve d’une tentative de médiation, le demandeur, dont l’action a été déclarée irrecevable, « ne pouvait, par avance, refuser une procédure de médiation qui n’avait pas encore été mise en œuvre » [10].

La mauvaise foi de celui qui invoque le défaut de mise en œuvre d’une clause de conciliation, alors qu’il n’a pas donné suite à l’offre réitérée de l’autre partie, est sanctionnée par la recevabilité de la demande de cette dernière, la Chambre commerciale - pourvoi n°12-17089, 3 juin 2014, relevant que le défendeur « a manifesté par son silence son peu d’empressement à respecter la clause dont il demande le bénéfice ».

Ainsi, les modalités de mise en jeu de la clause doivent être suffisamment précises pour permettre un fonctionnement effectif du processus.
« N’institue pas une telle procédure la clause prévoyant simplement l’obligation de tenter un règlement amiable » : Cass.com., 29 avril 2014 n°12-27004 (prestations informatiques).
Cass.com. 3 octobre 2018 n° 17- 21089 : « faute de préciser, au moins, les modalités de la désignation du médiateur ».

Il a même été exigé par la Chambre commerciale de la Cour de cassation que la clause délimite les litiges qu’elle vise, malgré l’intention avérée des parties de recourir à une médiation dans le cas d’une brusque rupture d’une relation commerciale entre deux entreprises qui avaient conclu, entre 2002 et 2006, des contrats de référencement successifs, la clause de médiation qui ne figurait que dans le dernier contrat de 2006 a été interprétée comme « limitée aux différends portant sur la fin de ce contrat précis » [11].

La 3ème Chambre civile, le 23 mai 2012 n°10-27596, a aussi estimé, à propos du paiement du prix de vente d’un immeuble, que « l’ambiguité des termes de l’acte de vente rendait nécessaire que les parties n’avaient pas fait de l’inobservation de la clause de conciliation une fin de non-recevoir. »

Ces différentes interprétations incitent à une vigilance toute particulière lors de la rédaction de ce type de clause qui doit traduire, sans ambiguité, la volonté éclairée des partenaires de faire du règlement amiable un préalable obligatoire.

2. Les conséquences du non respect de la clause de résolution amiable : l’irrecevabilité et le refus de régularisation.

La jurisprudence antérieure à 2003.

Dans une procédure en matière de propriété littéraire et artistique, la Chambre Civ 1, le 6 mars 2001 n°98-15502 , a relevé que la Cour d’appel avait retenu que « l’inobservation de la clause prévoyant un préalable de conciliation avant toute procédure ne constituait pas une fin de non-recevoir, ce qui impliquait que ce préalable n’était pas obligatoire ».

Le 23 janvier 2001, la Chambre civile 1, n°98-18679 a dit que « la clause du contrat d’exercice professionnel (en cause), surbordonnant une action judiciaire à une conciliation des parties par l’autorité ordinale, ne constitue pas une fin de non-recevoir, n’est pas d’ordre public et ne se trouve assortie d’aucune sanction »

Le non respect du caractère obligatoire de la clause est sanctionné par l’irrecevabilité.

Afin d’encourager l’utilisation de clauses de résolution amiable, la Cour de cassation a dit qu’elles contituent une fin de non-recevoir pour « défaut de droit à agir » au sens de l’article 122 du C.P.C.

Cette position a été considérée comme dérogatoire au régime des fins de non-recevoir, car, en fait, ce droit à agir est simplement différé dans le temps, par la volonté commune des contractants.

Ce principe a été consacré par le célèbre arrêt « Valentin » rendu en chambre mixte le 14 février 2003 n° 00-19423 et 00-19424 (contrat commercial de cessions d’actions) au visa des articles 122 et 124 du code de procédure civile, en ces termes « Attendu que les fins de non recevoir ne sont pas limitativement énumérées ; que, licite, la clause d’un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la sasisine du juge, dont la mise en œuvre suspend jusqu’à son issue le cours de la prescription, constitue une fin de non-recevoir qui s’impose au juge si les parties l’invoquent ».

Rappel :
Article 122 CPC « Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. »

Article 124 CPC « Les fins de non-recevoir doivent être accueillies sans que celui qui les invoque ait à justifier d’un grief et alors même que l’irrecevabilité ne résulterait d’aucune disposition expresse ».

L’irrecevabilité de l’action tend à faire respecter le caractère obligatoire de la clause de résolution amiable du différend.
L’arrêt rendu par la Chambre civile 1, le 30 octobre 2007 n°06-13.366, illustre l’application rigoureuse de ce principe en déclarant irrecevable l’action engagée à la suite d’un processus mis en oeuvre par un organisme différent de celui désigné dans la clause dans le cadre d’un contrat d’exercice en commun.

La clause instituant un préalable de conciliation obligatoire s’impose devant toutes les juridictions [12].
Par contre, elle ne fait pas obstacle au référé probatoire de l’article 145 du C.P.C. [13], ordonnant une mesure d’instruction, ni à la délivrance d’un commandement de payer avant une saisie-vente [14].

Sur l’opposabilité de la clause de résolution amiable :
- « La clause de conciliation préalable figurant au contrat d’un architecte est opposable » au cessionnaire subrogé dans les droits et actions du vendeur [15].
« La clause du code des devoirs professionnels des architectes fixe une obligation générale et préalable de conciliation » opposable à tous les architectes, et dont l’inobservation constitue une fin de non-recevoir [16].
- La clause de conciliation préalable figurant dans l’accord collectif est opposable au salarié, la Cour de cassation retenant toutefois « qu’il ne résulte pas de sa rédaction que le préliminaire de conciliation était obligatoire » [17].

A noter que la loi n°2015-990 du 6 août 2015 a abrogé l’article 24 de la loi n°95-125 du 8 février 1995 qui limitait l’application de la médiation aux litiges inviduels du travail transfrontaliers et que la phase de conciliation judiciaire ne fait pas obstacle à la mise en œuvre d’une médiation conventionnelle.

La renonciation à la mise en jeu d’une clause de conciliation est possible, mais du fait de son régime dérogatoire, cette renonciation doit être réciproque et expresse [18].

Le non respect du caractère préalable de la clause est sanctionné par le refus de régularisation en cours d’instance.

Afin d’atténuer la rigueur de la sanction d’irrecevabilité, la Chambre civile 2 a estimé le 16 décembre 2010, n°09-71575, à propos de la réitération d’un compromis de vente, que cette fin de non-recevoir était régularisable du fait « que la cause d’irrecevabilité avait disparu »,

Et ce, en application des dispositions de l’article 126 du code de procédure civile :
« Dans le cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d’être régularisée, l’irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue ».

La Chambre commerciale le 3 mai 2011 n°10-12187 a également reproché à la Cour d’appel de ne pas avoir recherché « si la mise en œuvre de la procédure de conciliation avant les dernières conclusions n’avait pas régularisé la situation donnant lieu à la fin de non-recevoir » au sujet d’un contrat de partenariat et de distribution.

Ces décisions remettaient en cause l’engagement des contractants de recourir obligatoirement à un mode de résolution amiable préalablement à toute procédure.

Par un arrêt du 12 décembre 2014, la Chambre mixte, pourvoi n°13-19684, a écarté l’application des dispositions de l’article 126 du CPC et rappelé que « la situation donnant lieu à la fin de non-recevoir, tirée du défaut de mise en œuvre d’une clause contractuelle, qui constitue une procédure obligatoire et préalable à la saisine du juge, favorisant une solution du litige par le recours à un tiers, n’est pas susceptible d’être régularisée par la mise en œuvre de la clause en cours d’instance »

Cette jurisprudence est rigoureusement appliquée :
- Cas.civ 2, 29 janvier 2015 n°13-24269, à propos de la réitération d’un compromis de vente,
- Cas.civ 3, 6 octobre 2016 n°15-17989, au sujet du bail d’un local dépendant d’un centre commercial,
- Cas.civ 3, 16 novembre 2017 n°16-24642, concernant un contrat de maîtrise d’œuvre.

Le processus peut être mis en œuvre APRES la décision d’IRRECEVABILITE.

Dans le cadre d’une action en paiement de loyers déclarée irrecevable par un arrêt devenu définitif, faute d’avoir engagé la tentative préalable de conciliation prévue au contrat, sa mise en œuvre postérieurement à cette décision « constituait une circonstance nouvelle privant cet arrêt de l’autorité de la chose jugée à l’égard de la demande dont elle était saisie » [19].

Cependant, il est à craindre que l’esprit de conciliation qui présidait à la rédaction de la clause ait été fort malmené durant la longue procédure qui a opposé les parties de 1997 à 2005, à moins que « l’usure procédurale » ne les rapproche finalement... !

Comme le rappelle l’arrêt « Valentin » la fin de non-recevoir n’interrompt pas la prescription, seule « la mise en œuvre (de la clause) suspend jusqu’à l’issue de la procédure préalable le cours de la prescription » [20], conformément aux dispositions de l’article 2238 du Code civil.

Au terme de cette analyse de la jurisprudence, établie principalement par deux décisions
de principe de la Cour de cassation en Chambre mixte, on peut s’interroger sur la pertinence du choix de la sanction de fin de non-recevoir, telle qu’aménagée, qui peut être invoquée en tout état de cause – article 123 CPC –, au regard de la sécurité de la rédaction des clauses de résolution amiable préalable obligatoire, et donc de leur efficacité.

Certains auteurs suggèrent que l’inobservation du préalable amiable soit sanctionnée par une forclusion procédurale « véritable couperet du juge » déjouant les manœuvres dilatoires [21].

D’autres estiment que la sanction de fin de non-recevoir « fait prévaloir la logique contractuelle sur la logique procédurale et qu’il s’agit d’une solution d’ensemble équilibrée et proportionnée » [22].

Mais, comme en médiation, ne serait-il pas préférable d’intervenir en amont, en proposant quelques modèles de clauses qui respectent, à la fois, l’esprit de conciliation des parties et les critères d’adhésion du consensualisme juridique ?

La Fédération Française des Centres de Médiations (FFCM) a tenté de le faire (voir la pièce jointe ci-dessous) ! Le moteur de recherche www.legifrance.gouv.fr a sélectionné 152 décisions de la Cour de cassation sur le sujet.
N’est ce pas le rôle de l’intelligence artificielle d’élaborer, à partir de ces données, des standards qui sécuriseraient l’usage de ces précieuses clauses préventives et curatives ?

Clause type de médiation en l’état des textes et de la jurisprudence au 7 mai 2020.
Claude Bompoint Laski Avocat honoraire Médiateur Vice Présidente de la F.F.C.M. Présidente de BAYONNE MEDIATION Bâtonnier Claude Duvernoy, Président de la FFCM Président de MEDIATION EN SEINE

[1La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019.

[2Professeur Hugues Kenfack. Rec.Dalloz 19 février 2015 « La reconnaissance des véritables clauses de médiation ou de conciliation obligatoire lors de toute instance ».

[3Article 21 « processus structuré...avec l’aide d’un tiers, le médiateur, choisi par les parties ou désigné...par le juge ». Ordonnance du 16 novembre 2011, transposant la directive 2008/52/CE du 21 mai 2008, et décret n°2012-66 du 20 janvier 2012 aux articles 1532 à 1535 et 1565 0 1567 du code de procédure civile.

[4Instituée à titre expérimental par la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 – article 7.

[5Article 3 de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 – article 750 -1 du C.P.C.

[6Décret n°2018-101 du 16 février 2018.

[7Transposition de la directive 2013/11/UE du 21 mai 2013 aux articles L611-1 à L616-3 et R612-1 à R616-2 du code de la consommation.

[8Cass.civ.1, 16 mai 2018 n°17-16197.

[9www.ffcmediation.org. « Proposition de loi de refonte de la loi cadre du 8 février 1995 ».

[10Cass. Civ 1, 8 avril 2009 n°08-10866.

[11Cass.com, 12 juin 2012, n°11-18852.

[12Cass.Civ 1, 1er octobre 2014 n° 13617920.

[13Cass.civ 3, 28 mars 2007 n° 06613209.

[14Cass. Civ 2, 19 février 2015 n°13-27968.

[15Cass. Civ 3, 28 avril 2011 n°10-30721.

[16Cass.Civ1 29 mars 2017 n°16-16585.

[17Cass.Sociale, 13 janvier 2010 n°08- 18202.

[18Cass.civ.3. 20 janvier 2015 n°13-12127 (contrat d’architecte).

[19Cass.Civ 2, 21 avril 2005 n°03-10237.

[20Cass.Civ.3, 20 septembre 2011 n°10- 20990.

[21« L’impossible régularisation de la fin de non-recevoir tirée du non-respect d’une clause de conciliation préalable » Professeur Soraya Amrani Mekki Gaz.Pal.10 mars 2015 p.9 à 11.

[22Professeur Hugues Kenfack. Rec.Dalloz 19 février 2015 « La reconnaissance des véritables clauses de médiation ou de conciliation obligatoire hors de toute instance » cité à la note 2.