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Focus sur "l’avocat propriété intellectuelle". Par Matthieu Dhenne, Avocat.
Parution : jeudi 14 mai 2020
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L’importance croissante des actifs incorporels met en lumière le rôle crucial de la protection de la propriété intellectuelle et invite ainsi à apporter quelques éclaircissements sur le métier d’"avocat propriété intellectuelle".

I. Le rôle de conseil de l’avocat propriété intellectuelle.

L’avocat propriété intellectuelle conseille ses clients en déterminant avec eux des protections légales (A) et/ou contractuelles (B).

A. Protection légales.

L’avocat propriété intellectuelle guide son client en lui proposant la stratégie de protection la plus adéquate, en particulier en identifiant les droits utiles pour cette dernière. On distingue généralement ces droits via deux catégories : la propriété littéraire et artistique (ou droit d’auteur) (1) et les propriétés industrielles (2).

1°) Propriété littéraire et artistique (ou droit d’auteur).

Le droit d’auteur protège des œuvres, c’est-à-dire des formes d’expression originales. Autrement dit, seule une création qui est exprimée sous une forme et qui est originale sera protégeable. Attention : cela implique que le fond d’une création – son idée ou concept – ne soit pas protégée par le droit d’auteur.

Exemple.
Le pitch d’une série comme « un département de la DGSE appelé Bureau des Légendes forme et dirige à distance des "clandestins" travaillant dans l’ombre sous de fausses identités (légendes) » n’est pas protégeable. En revanche, la forme donnée à ce pitch, c’est-à-dire la forme des épisodes de la série (scénarios, noms des personnages, cadrage, etc.) l’est.

Cela étant, l’œuvre sera protégeable quels qu’en soient la forme (écrite, orale, graphique) et le genre (art « pur » ou art appliqué) ou le mérite. Ainsi, on peut autant invoquer un droit d’auteur pour une peinture ou une musique, que pour le code source d’un logiciel, un plan d’architecture, ou encore pour la forme d’un meuble.

Par ailleurs, le droit d’auteur naît de l’acte de création. Cela signifie qu’aucun dépôt de l’œuvre auprès d’une administration – comme l’Institut National de la Propriété Industrielle (dit « INPI ») – n’est nécessaire.

Néanmoins, dans un litige de contrefaçon, la protection par le droit d’auteur pourra être contestée (le plus souvent en arguant d’un défaut d’originalité) et il faudra notamment être à même de rapporter la preuve de la date de la création (qui doit être antérieure à la contrefaçon). Pour ce faire, le mécanisme de l’enveloppe SOLEAU est, notamment, souvent employé).

Aspect stratégique.
Le droit d’auteur naissant de l’acte de création, et n’exigeant donc aucun dépôt administratif particulier, il sera très souvent invocable, à condition de conserver des preuves de la date de la création, comme avec l’enveloppe SOLEAU par exemple.

Notons, enfin, que les artistes-interprètes, les producteurs de vidéogrammes et de phonogrammes, et les entreprises de communication audiovisuelle bénéficient également des droits dits "voisins" du droit d’auteur.

2°) Propriétés industrielles.

Les propriétés industrielles sont vouées aux créations utilitaires. Elles exigent toutes un dépôt auprès d’une administration spécialisée (un office de propriété industrielle, comme l’INPI pour la France par exemple). Cette administration délivrera un titre : un brevet d’invention, un dessin ou modèle, ou une marque.

a) Brevets d’invention.

Le brevet confère un droit d’exploitation exclusive sur une invention pour le territoire qu’il couvre. L’invention consistant dans un produit ou un procédé apportant une nouvelle solution technique à un problème technique donné.

Ici, contrairement au droit d’auteur, on va rechercher à protéger la fonction d’une création et non la forme qu’elle prend.

La demande de brevet doit être déposée auprès d’une administration compétente (INPI pour la France et OEB en Europe).

La protection de l’invention est subordonnée à trois conditions :
• elle doit être technique, c’est-à-dire qu’elle doit aboutir à une transformation de la Nature ;
• elle doit être nouvelle, c’est-à-dire qu’elle ne doit pas avoir été divulguée avant la date de la demande de dépôt de brevet ;
• impliquer une activité inventive, c’est-à-dire qu’elle ne doit pas être évidente pour un homme du métier par rapport à l’état de la technique ;
• être susceptible d’application industrielle, c’est-à-dire qu’elle doit être utilisée ou fabriquée par l’industrie comprise au sens large.

Aspect stratégique.
Le brevet permet de protéger efficacement l’aspect technique d’une innovation, autrement dit sa fonction. Une telle protection n’empêchera cependant pas de bénéficier également d’un droit d’auteur ou d’un droit de modèle si, en outre, ladite fonction s’incorpore à un objet ornemental.

Exemples :
1/ Le fabricant de tasse en verre susceptible de conserver la chaleur peut envisager de protéger cette fonction. Cela lui permettra de valoriser la qualité de ses tasses, de mettre en avant leur particularité, de gagner finalement en crédibilité sur un marché en indiquant simplement "breveté" ou "patented" sur le produit en cause.
2/ La jeune pousse à l’origine d’une application pourra envisager de protéger la fonction particulière réalisée par cette application et d’utiliser son brevet comme marque de crédibilité et finalement comme levier auprès d’éventuels investisseurs.

La durée de la protection sera de 20 ans pour un brevet protégé en France et/ou au niveau Européen.

b) Dessins et modèles.

Un droit de dessin ou modèle protège l’aspect ornemental d’un objet. Bidimensionnel, c’est un ensemble de lignes et de couleurs. Tridimensionnel, c’est la forme ou la surface de l’objet.

Un dessin ou modèle doit, en principe (sauf cas particulier du dessin et modèle communautaire non enregistré) être déposé auprès d’une administration compétente (INPI pour la France et EUIPO pour l’Europe).

Il sera protégeable à deux conditions :
• être nouveau, c’est-à-dire qu’aucun dessin ou modèle identique ne doit avoir été divulgué antérieurement ;
• présenter un caractère propre ou individuel, c’est-à-dire que l’impression global d’ensemble produit par le dessin ou modèle sur l’utilisateur averti diverge de celle produite par tout autre dessin ou modèle divulgué antérieurement.

Exemples :
1/ La forme d’un meuble peut être déposée comme modèle tout en étant également protégée par le droit d’auteur si elle est originale.
2/ Le dessin d’un plan d’architecture peut être déposé comme dessin tout en étant également protégée par le droit d’auteur si elle est originale.

Aspect stratégique :
Un dessin ou modèle contribue à protéger la valeur d’un objet se démarquant par son aspect ornemental. Il peut se cumuler avec le droit d’auteur si l’objet en cause constitue également une œuvre au sens du droit d’auteur…
La durée de la protection sera de 5 ans renouvelable pour un dessin ou modèle français et/ou communautaire.

c) Marques.

La marque constitue un signe servant à distinguer les produits ou services d’une personne physique ou morale.

Le signe doit être déposée auprès d’une administration compétente (INPI pour la France et EUIPO pour l’Europe), sauf cas particulier du signe qui aurait acquis une notoriété par l’usage qui en a été fait.

Il sera protégeable à trois conditions :
distinctif eu égard aux produits ou services en cause, il distingue les produits ou services par rapport à ceux des concurrents ;
licite, conforme à l’ordre public et aux bonnes mœurs et ne pas être de nature à tromper le public.
disponible, il ne doit pas déjà être utilisé ou déposé par des tiers.

Exemples :
1/ Les dénominations sous toutes les formes telles que : mots, assemblages de mots, noms patronymiques et géographiques, pseudonymes, lettres, chiffres, sigles ;
2/ Les signes sonores tels que : sons, phrases musicales ;
3/ Les signes figuratifs tels que : dessins, étiquettes, cachets, lisières, reliefs, hologrammes, logos, images de synthèse ; les formes, notamment celles du produit ou de son conditionnement ou celles caractérisant un service ; les dispositions, combinaisons ou nuances de couleurs.

Aspect stratégique.
Une marque contribue à protéger la valeur d’un objet en l’identifiant sur le marché. Elle peut se cumuler avec le droit d’auteur si l’objet en cause constitue également une œuvre au sens du droit d’auteur.
La durée de la protection sera de 20 ans renouvelable pour les marques internationales et de 10 ans renouvelable pour les marques françaises et européennes.

B. Protection contractuelle.

La protection de la propriété intellectuelle passe également par des contrats spéciaux (1) et des clauses s’intégrant dans le cadre de contrats liés à des projets (2).

1°) Contrat de propriété intellectuelle.

L’avocat propriété intellectuelle peut être amené à rédiger des contrats de cession ou de licence de titres de propriété industrielle. Dans le premier cas, il s’agira de céder son titre à un acquéreur, par exemple à l’occasion de la vente d’un fonds de commerce. Dans le second cas, il s’agira de seulement concéder un droit d’usage en contrepartie d’une redevance. Il s’agit, en quelque sorte, de louer une marque ou la technique couverte par un brevet, par exemple, à un tiers tandis que la cession constitue une sorte de vente.

En matière de droit d’auteur, les droits peuvent aussi faire l’objet de contrats de cession. Certains contrats sont réglementés explicitement par le Code de la propriété intellectuelle comme le contrat d’édition.

En tout cas, le créateur aura intérêt à faire rédiger l’acte par un avocat, en vue afin de préserver ses intérêts au regard de ses projets futurs et notamment des utilisations de l’œuvre envisagées. Il s’agira en particulier de délimiter précisément l’étendue de la cession des droits, ce qui revient, parallèlement, à déterminer quels demeureront les usages que le cédant pourra lui-même accomplir.

2°) Clause de propriété intellectuelle.

Il est fréquent que dans le cadre d’un projet (ex. projet architectural) qu’un contrat comprenne une clause dédiée à la propriété intellectuelle. Dans ce cas, il conviendra autant pour l’innovateur qui pourrait résulter de l’innovation à venir que pour le Maître d’ouvrage d’être particulièrement attentif à l’attribution des droits de propriété intellectuelle (à l’un ou à l’autre) et à l’étendue des droits cédés, qui conditionnera à la fois sa validité et les prérogatives précises des parties sur les droits liés aux créations.

De telles clauses de droit de propriété intellectuelle sont fréquentes, et on les retrouvera notamment dans le cadre des opérations de fusion et d’acquisition de sociétés ou encore dans le cadre d’un apport en société.

II. Le rôle de l’avocat propriété intellectuelle dans un contentieux.

L’avocat propriété intellectuelle sera également amené à défendre le créateur devant les juridictions en demande (A) ou en défense (B).

A. En demande.

Le plus souvent, en demande, on envisagera soit une action en contrefaçon (1) soit une action en annulation d’un titre de propriété industrielle (2).

1°) Action en contrefaçon.

Le contentieux de la contrefaçon se déroule exclusivement devant les Tribunaux judiciaires, juridictions devant lesquelles la représentation par avocat est obligatoire.

Si un créateur constate une reproduction sans autorisation - une contrefaçon - de sa technique ou de sa marque, par exemple, l’avocat pourra le représenter dans le cadre d’une action en contrefaçon.

Dans un premier temps, il conviendra de réunir les preuves de la contrefaçon : constat d’huissier en magasin ou sur Internet, saisie-contrefaçon pour se rendre dans les locaux du contrefacteur afin de saisir directement des produits contrefaisant et/ou de décrire la contrefaçon.

Dans un second temps, l’avocat pourra introduire une action en contrefaçon devant la juridiction compétente et demander des dommages et intérêts susceptibles d’indemniser du préjudice subi.

2°) L’action en annulation d’un titre de propriété industrielle.

Gêné par les titres de propriété industrielle d’un concurrent, qui bloque ainsi un marché, le créateur peut également envisager une action en annulation d’un titre de propriété industrielle.

Ce type de situation se présente souvent dans le domaine des brevets d’invention, qui sont régulièrement annulés par les juridictions françaises. C’est par exemple le cas dans le secteur pharmaceutique quand un fabricant de médicaments génériques souhaite lancer un médicament ou dans le secteur des télécommunications, où les « champs de mines » de brevets sont légions, en particulier dans le secteur de la téléphonie mobile.

L’avocat propriété intellectuelle devra alors démontrer que le titre de propriété est invalide parce que le brevet, par exemple, porte sur une invention ne satisfaisant pas les conditions de brevetabilité.

B. En défense.

L’avocat propriété intellectuelle peut également défendre son client accusé d’actes de contrefaçon. Trois systèmes de défense cumulables seront à envisager :
absence de contrefaçon, en prouvant que l’œuvre, le brevet, le dessin ou modèle ou la marque n’est pas reproduit ;
absence de preuve de la contrefaçon, en contestant les preuves de la contrefaçon comme, par exemple, le constat d’achat ou la saisie-contrefaçon.
annulation du titre ou l’inexistence du droit d’auteur, dans ce cas il s’agira de prouver que les conditions de la protection ne sont pas satisfaites (ex. une œuvre n’est pas originale ou la preuve de son antériorité n’est pas rapportée).

Finalement, autant en dehors de tout procès que durant un procès, l’avocat propriété intellectuelle sera un intermédiaire indispensable pour assurer la protection de la propriété intellectuelle, de telle sorte que le créateur puisse valoriser ses créations et protéger ses parts de marché.

Matthieu Dhenne Avocat à la Cour, Docteur en droit https://www.dhenne-avocats.fr