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La bonne foi en matière de diffamation. Par Avi Bitton, Avocat.
Parution : jeudi 14 mai 2020
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En cas de poursuites pour diffamation, le prévenu peut invoquer sa bonne foi comme moyen de défense. Qu’est-ce que la bonne foi ? Comment la démontrer ?

La diffamation est définie par l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse comme « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé, est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés ».

Il existe deux types de faits justificatifs en matière de diffamation :

- La bonne foi,
- L’exception de vérité.

Un fait justificatif est un moyen pour une personne poursuivie d’écarter sa responsabilité pénale.

La jurisprudence recherche traditionnellement la réunion de quatre critères pour établir la bonne foi de la personne poursuivie (I). Toutefois, deux critères émergent progressivement et peuvent parfois être substitués aux critères classiques (II).

I/ Les critères traditionnels.

La preuve de la bonne foi nécessite de pouvoir établir :

- l’absence d’animosité personnelle,
- la légitimité du but poursuivi,
- la prudence et la mesure dans l’expression,
- la vérification des sources.

1/ L’absence d’animosité personnelle.

Pour établir l’absence d’animosité personnelle, il est nécessaire de prouver que la personne poursuivie n’avait aucun ressenti antérieur et étranger à l’imputation poursuivie.

2/ La légitimité du but poursuivi.

La légitimité du but poursuivi quant à elle impose que le propos litigieux ait pour finalité de contribuer à un débat politique, historique, intellectuel ou scientifique. Autrement dit, l’information doit légitimement intéresser le public.

3/ La prudence et la mesure dans l’expression.

Le juge doit également apprécier la prudence et la mesure dans l’expression. En effet, la bonne foi peut difficilement être établie si le ton utilisé est violent, outrancier ou provocateur.

Par exemple, qualifier un maire « d’élu qui n’est pas digne de la République » a été jugé diffamatoire. Dans cette affaire la bonne foi du journaliste n’a pas pu être établie [1].

De même il a été jugé que s’il n’était pas interdit à un juge d’instruction de donner son avis personnel sur une affaire qu’il avait pu connaître dans le passé, il ne pouvait pas exposer son point de vue sans rappeler objectivement les « éléments essentiels pour l’information des lecteurs », en l’espèce la décision d’acquittement dont avait bénéficié la partie civile [2].

4/ La vérification des sources.

Enfin, le dernier critère devant être établi est la vérification des sources.

Par exemple, il a été jugé qu’un journaliste qui reproduit un texte diffamatoire dont il n’est pas l’auteur commet une diffamation. La chambre criminelle rappelle que « la reprise par le journaliste, des propos tenus par un tiers (dans le cadre d’une interview), ne fait pas disparaître l’obligation à laquelle il est tenu d’effectuer des vérifications sérieuses pour s’assurer que ceux-ci reflètent la réalité des faits » [3].

II/ Les critères émergeants.

Sous l’impulsion de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, de nouveaux critères permettent de caractériser la bonne foi et d’écarter la responsabilité pénale de l’auteur poursuivi pour diffamation.

1/ Le débat d’intérêt général.

La Cour Européenne des Droits de l’Homme a érigé « le débat d’intérêt général » comme nouveau critère.

Elle juge que « les limites de la critique admissible sont plus larges à l’égard d’un homme politique agissant en sa qualité de personne public que d’un simple particulier » [4].

Dans la droite ligne de cette jurisprudence, la chambre criminelle admet que pour apprécier la bonne foi de la personne poursuivie, les juges peuvent tenir compte notamment « du caractère d’intérêt général du sujet sur lequel portent les propos litigieux et du contexte politique dans lequel ils s’inscrivent » [5].

Le débat d’intérêt général ne se limite pas aux critiques portés aux personnalités politiques.

Par exemple, la chambre criminelle a jugé qu’un écrit incriminé « relatif au conflit israélo-palestinien de la bande de Gaza, traitait d’un débat portant sur la couverture médiatique d’un évènement ayant un retentissement mondial et constituant un sujet d’intérêt général au sens de l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme ». L’auteur pouvait donc voir sa bonne foi établie [6].

2/ La base factuelle suffisante.

Enfin, un second critère émerge également, il consiste à établir « la base factuelle suffisante ».

Ainsi, la bonne foi peut être établie en apportant la preuve que le prévenu disposait d’éléments suffisants pour s’exprimer au moment où il l’a fait.

Par exemple, il a été jugé que « les propos incriminés, qui s’inscrivaient dans un débat d’intérêt général sur l’achat et la gestion, par des multinationales de l’agro-alimentaire parmi lesquelles la société Bolloré, de terres agricoles essentiellement situées en Afrique, en Asie et en Amérique latine et reposaient sur une base factuelle suffisante constituée par plusieurs rapports d’organismes internationaux ». Par conséquence ils ne dépassaient pas les limites admissibles de la liberté d’expression et le prévenu a été relaxé des faits de diffamation pour lesquels il était poursuivi [7].

Avi Bitton, Avocat, Ancien Membre du Conseil de l’Ordre Tél. : 01.46.47.68.42 Courriel: [->avocat@avibitton.com] Site: [->https://www.avibitton.com]

[1TGI Paris 20 mai 2011

[2Cass. Crim 17 novembre 2015 n° 14-81.410

[3Cass. Crim 8 avril 2008 n° 07- 82972

[4CEDH 1er juillet 1997, Oberschlick c/ Autriche

[5Cass. Crim 19 janvier 2010 n°09-84.408

[6Cass. Crim 10 septembre 2013 n° 12-81990

[7Cass. Crim 7 mai 2018 n° 17-82663