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La suspension du cours de la prescription lors de l’exécution d’une clause de médiation, par Guillaume Huchet, docteur en droit
Parution : mercredi 26 mars 2008
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La Cour de cassation réunie en Chambre mixte a admis dans un arrêt du 14 février 2003 que « la clause instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge, dont la mise en œuvre suspend jusqu’à son issue le cours de la prescription (…) ». La Cour reconnaît ainsi que la suspension du droit d’action de chacune des parties créée par la clause de médiation a nécessairement une influence sur le déroulement de la prescription. Cette position prise par la Cour de cassation semblant s’imposer par son évidence ou sa logique se justifie pourtant difficilement et soulève corrélativement plusieurs interrogations ayant de fortes incidences pratiques.

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1. La faveur actuelle pour la clause de médiation trouve en partie sa justification tant dans la crise de la Justice étatique que par la mise en valeur récurrente du phénomène de juridictionnalisation de l’arbitrage. S’ajoute aussi le souhait pour les acteurs économiques d’obtenir une solution satisfaisante dans des délais relativement brefs, de conserver une gestion de leur conflit, avec un coût moindre et une confidentialité garantie.

Tout l’intérêt de la clause de médiation est de mettre en place un processus de médiation afin de négocier sous l’égide d’un médiateur les termes d’une solution amiable. Afin de faciliter ce rapprochement, les parties s’interdisent d’agir en justice et ce, jusqu’au terme du processus de médiation. L’absence d’un tel engagement rendrait en effet inutile l’insertion d’une telle clause en raison d’un risque de saisine périphérique du juge étatique ou arbitral, amène de trancher le différend et d’y apporter, à la différence du processus de médiation, une solution définitive

2. Etant une stipulation issue de la pratique et ne disposant d’aucun régime juridique spécifique, la Cour de cassation, à travers plusieurs arrêts , avait commencé à esquisser les premiers traits de ce régime essentiellement autour de la question de la détermination de la sanction en cas de non-respect par l’une des parties de son engagement de ne pas agir en justice.

A la suite de certaines divergences apparues entre plusieurs Chambres de la Cour de cassation, une Chambre mixte a été réunie afin de prendre une position de principe sur cette question. Cet arrêt en date du 14 février 2003 a été le point de départ d’une véritable effervescence doctrinale autour de la clause de médiation et de conciliation.

La Cour de cassation énonce dans cet arrêt : «  qu’il résulte des articles 122 et 124 du nouveau Code de procédure civile que les fins de non-recevoir ne sont pas limitativement énumérées ; que, licite, la clause d’un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge, dont la mise en œuvre suspend jusqu’à son issue le cours de la prescription, constitue une fin de non-recevoir qui s’impose au juge si les parties l’invoquent (…)  ».

La solution posée par la Cour de cassation dans cet arrêt a permis de mettre un terme aux divergences antérieurement apparues. Désormais, seule une fin de non-recevoir pourra être prononcée ; la Cour fait ainsi le choix d’une sanction forte, et reconnaît en outre que la clause de médiation développe des effets processuels. Les parties n’auront donc pas d’autre alternative que de mettre en place le processus de médiation et de le mener à son terme avant toute saisine du juge étatique ou arbitral. Toute action en justice engagée au mépris de la clause de médiation sera dite prématurée. Chacune des parties est ainsi astreinte à n’entreprendre aucune action en justice avant que le préalable de médiation n’ait été accompli.

3. La prescription constitue un moyen de consacrer en droit une situation de fait au bout d’un certain temps. Cette institution se justifie dans un double souci de ne pas encombrer les tribunaux par de trop anciens différends et d’éviter un dépérissement des preuves .

Dans le souci d’éviter une telle situation, la Cour de cassation, dans son arrêt précité, a retenu que « la mise en œuvre [de la clause de conciliation obligatoire] suspend jusqu’à son issue le cours de la prescription ». La Cour reconnaît ainsi que la suspension du droit d’action de chacune des parties a nécessairement une influence sur le déroulement de la prescription . Cette dernière peut difficilement continuer à s’écouler alors même que les parties ne peuvent faire valoir leurs droits autrement qu’au cours du processus de médiation ; ainsi est évité le risque d’opposition d’une nouvelle fin de non-recevoir. Il reste cependant à justifier une telle solution (I) et à dégager des solutions pratiques quant à sa mise en œuvre (II).

I. La justification de la suspension du cours de la prescription

4. La justification de la position de la Cour de cassation dans son arrêt précité ne va pas de soi. En effet, les solutions retenues tant par les pouvoirs publics que par la jurisprudence sur la question de la prescription dans le cadre de conciliations prévues par des textes, créent une étrange impression d’absence d’unité (A). Pour pallier ces difficultés, d’aucuns ont pu proposer le recours à l’adage « Contra non valentem agere non currit praescriptio » comme possible solution pour éviter toute prescription des droits en raison de l’écoulement du temps passé à la recherche d’une solution amiable (B). Pour autant, la Cour de cassation ne semble pas réellement consacrer une application dudit adage, mais davantage créer une nouvelle cause de suspension du cours de la prescription (C).

A. Un dispositif légal et jurisprudentiel contradictoire

5. Le préliminaire obligatoire et conventionnel de médiation n’appartient pas aux différentes causes d’interruption ou de suspension de la prescription prévues par la loi . Dès lors, il n’est pas impossible que les parties soucieuses de respecter leur engagement et négociant une issue amiable à leur différend, soient privées d’agir devant le juge en raison de l’écoulement du temps. En d’autres termes, l’une d’elles lui opposera une fin de non-recevoir tirée de la prescription libératoire.

Cette conséquence créerait ainsi un réel sentiment d’injustice ou plutôt d’incompréhension. L’acquisition de la prescription est certes un élément à prendre en considération puisqu’elle a pour fonction de consolider des situations de fait et de permettre un droit à l’oubli . Il apparaît difficilement compréhensible que l’une des parties puisse opposer une telle fin de non-recevoir, alors même qu’aucune d’elles ne pouvait ni interrompre ni suspendre le cours de la prescription du fait de la neutralisation de l’action ! «  A l’impossible nul n’est tenu », serait-on tenté de répliquer. Un conflit existe donc entre la neutralisation de l’action en justice issue de la clause de médiation et l’écoulement du temps permettant l’acquisition de la prescription libératoire. « Il peut sembler assez singulier qu’à l’heure où notre droit recherche des solutions amiables, un effort de conciliation de la part du créancier puisse en fin de compte se retourner contre lui  ».

6. La faveur actuelle pour les règlements amiables contraste avec la relative absence de cohérence sur la question de la prescription. En effet, le rapprochement entre la clause de médiation et d’autres techniques de résolution amiable des conflits ne permet pas de réellement dégager une solution unique pour le traitement de la prescription.

7. Les pouvoirs publics semblent pour leur part faire preuve d’une certaine cohérence, lorsqu’ils envisagent la question de la prescription. Ainsi, dans le cas d’une conciliation extrajudiciaire menée par un conciliateur de justice, l’article 5 du décret du 20 mars 1978 énonce que « la saisine du conciliateur de justice n’interrompt ni ne suspend la prescription, les délais de déchéance ou de recours ». La solution est sévère et risque de sérieusement dissuader les parties intéressées par ce type de conciliation lorsqu’elles apprendront que l’écoulement du temps a eu un effet sur leurs droits respectifs.

A l’inverse, la contestation portant sur l’application de l’article L 611-7 du Code la Propriété intellectuelle relatif aux inventions réalisées par un salarié dans ou hors le cadre de sa mission de travail peut amener à la saisine de la Commission nationale sur les inventions des salariés. Dans cette hypothèse, l’article R 615-26 du Code précité retient que la saisine (obligatoire) de la commission paritaire de conciliation suspend toute prescription.

A travers ces deux exemples, on constate que selon le degré de coercition existant pour le recours à la conciliation, il existe alors un effet sur la prescription. Le cours de la prescription est donc suspendu à partir du moment où le processus de conciliation est préalable et obligatoire, dans le cas contraire les parties doivent prendre conscience de ce risque en concluant une convention de suspension de prescription. Cette défaveur pour la conciliation non obligatoire ne participe pas à son attraction, puisque l’une des parties pourrait voir son droit prescrit, alors même qu’elle a entrepris une démarche de règlement amiable de son différend.

8. L’examen de la jurisprudence permet d’aboutir à une solution inverse, puisque le caractère obligatoire ou non d’une tentative de conciliation n’entraîne ni interruption ni suspension du cours de la prescription.
Ainsi, dans le cadre de la procédure de saisie sur rémunération, l’article R 145-9 du Code du travail énonce que : «  la saisie des rémunérations est précédée, à peine de nullité, d’une tentative de conciliation devant le juge d’instance ». En dépit du caractère obligatoire de la conciliation, la Cour de cassation dans un arrêt du 8 juin 1988 a retenu que « (…) la requête adressée aux fins de conciliation n’est pas interruptive de la prescription ». La solution de la Cour de cassation est difficile à comprendre puisque le créancier n’avait pas d’autre issue pour procéder à la saisie que de présenter préalablement une requête aux fins de conciliation. La Cour considère en effet que cette démarche ne traduit pas de la part du créancier une réelle volonté d’empêcher son débiteur de prescrire.

La Cour de cassation adopte une position similaire dans l’hypothèse inverse où le préalable de conciliation est facultatif. Ainsi dans le cadre des baux commerciaux, la fixation du loyer peut être source de contentieux important, aussi les pouvoirs publics ont crée une Commission départementale de conciliation qui s’efforce de rapprocher à l’amiable les parties en émettant notamment un avis sur le montant du loyer.

La saisine de ladite Commission reste à la discrétion des parties , ainsi la question s’est posée de savoir si le recours à cette dernière avait une quelconque influence sur le cours de la prescription. Dans un arrêt en date du 18 février 1998, la Troisième Chambre civile a retenu que : « la saisine de la commission départementale de conciliation, qui ne fait pas obstacle à celle du juge des loyers, n’a pas d’effet interruptif de la prescription ».

9. La Cour de cassation, à travers ces arrêts, marquent ainsi son attachement à la lettre des textes du Code civil relatifs à la prescription, puisqu’elle considérait, jusqu’à récemment , que les causes d’interruption et de suspension du cours de la prescription étaient limitativement énumérées .
Dès lors qu’un texte légal n’a pas prévu une cause de suspension ou d’interruption du cours de la prescription, le juge ne peut suppléer cette carence. Il appartiendra alors aux parties de porter une attention toute particulière à l’écoulement du temps pour ne pas se voir fermer le recours au juge. « Rechercher la conciliation ou interrompre la prescription, il faut choisir ! ».

Toutefois, il semble que le recours à un vieil adage utilisé par les canonistes en vue de lutter contre les injustices de la prescription pourrait justement aider à trouver une solution plus équilibrée sur la question de l’écoulement du temps dans le cadre notamment d’un processus de conciliation ou de médiation.

B. L’adage « Contra non valentem agere non currit praescriptio »

10. Cet adage fut systématisé par Bartole dans la célèbre formule : « Contra non valentem agere non currit praescriptio ». Cette maxime repose avant tout sur l’équité et le pouvoir modérateur du juge . Les canonistes étaient scandalisés par l’institution même de la prescription, car l’écoulement du temps, selon eux, ne pouvait engendrer la disparition de droits. Dès lors, ils ont confié au juge le soin d’adapter cette règle permettant ainsi le rejet de la prescription, lorsque l’injustice était trop criante. Une sorte de mesure de grâce était instaurée .

Le souvenir de l’équité des Parlements et de l’arbitraire des juges a amené le législateur de 1804 à anéantir un tel pouvoir. Désormais, les causes de suspension de la prescription relèvent du domaine de la loi comme l’énonce l’article 2251 du Code civil : « la prescription court contre toutes les personnes, à moins qu’elles ne soient dans quelque exception établie par une loi ». La cause semblait dès lors entendue. A moins que les parties aient prévu une suspension conventionnelle de la prescription , les pourparlers ou les négociations en vue d’un règlement amiable n’interrompent ni ne suspendent le cours de la prescription.

11. Pourtant, la jurisprudence ne va pas hésiter à utiliser de nouveau cette maxime en vue de relever de la prescription acquise un créancier empêché d’agir en justice. Elle énonce de manière constante que : «  la prescription ne court pas contre celui qui est dans l’impossibilité absolue d’agir, par suite d’un empêchement quelconque résultant soit de la loi, soit de la convention ou de la force majeure ».

L’adage ne se comprend que dans le cadre d’une impossibilité de fait et non de droit. Dans cette seconde hypothèse, le droit d’action n’est pas encore né en raison de la nature du droit en cause (créance à terme, créance conditionnelle…) ou encore pour des motifs de bon sens (le vice de violence n’a pas cessé, l’éviction n’a pas encore eu lieu empêchant ainsi la mise en œuvre de la garantie…). Dans ces cas, le point de départ de la prescription est retardé, on applique alors l’adage « actioni non natar non praescribitur ». On ne pourra dans cette hypothèse reprocher à une personne de n’avoir pas agi puisque la loi ne le lui permettait pas encore .

A l’inverse, l’adage Contra non valentem n’a de sens qu’en présence d’un obstacle de fait qui a placé le créancier dans un état d’impossibilité absolue. L’écho à la force majeure est ici symptomatique. Il apparaît important de s’interroger sur le champ d’application de cet adage, d’analyser dans quelles circonstances il peut être appliqué et quels sont ses effets.

12. En règle générale, l’adage a vocation à s’appliquer à de véritables cas de force majeure, rendant ainsi compte d’une impossibilité absolue d’agir durant le temps où le délai de prescription s’écoule. Traditionnellement, le créancier pouvait demander l’application de l’adage si une inondation, un fait de guerre, un cataclysme l’avait mis dans l’impossibilité absolue d’agir avant l’extinction du délai .

Puis, la jurisprudence s’est ému de certaines situations qui sans traduire une impossibilité absolue d’agir amenaient à des situations quelque peu iniques. Dès lors, les juges ont commencé à élargir le champ d’application de l’adage en prenant en considération l’impossibilité morale d’agir qui en réalité exprimait davantage une impossibilité relative d’agir en justice. L’exemple topique était celui des pourparlers et négociations en vue d’un règlement amiable du différend opposant créancier et débiteur. En engageant de telles discussions, il semblait moralement difficilement acceptable que l’une des parties agisse en justice : « (…) c’est que le créancier serait singulièrement gêné pour prendre des mesures de défiance contre un co-contractant avec qui il discute encore amiablement. Il y a, pour lui, une impossibilité morale d’agir tant que les pourparlers se prolongent ».

Dans un premier temps, la jurisprudence a admis qu’une telle situation pouvait amener à l’application de la règle Contra non valentem , élargissant ainsi le contenu de la notion dans un souci d’équité. Elle a par la suite abandonné cette solution dans le sens d’un raidissement en retenant que «  ni l’expertise, ni les pourparlers ne pouvaient suspendre le délai de prescription ». Quelle que soit l’intensité des démarches entreprises pour le règlement non juridictionnel des conflits, la prescription accomplie est définitivement acquise. La solution est regrettable, puisqu’elle conduit les parties à délaisser les modes alternatifs de règlement des conflits pour préférer l’action contentieuse dans le but d’éviter l’accomplissement de la prescription notamment pour les brefs délais.

13. En réalité, le retour à l’exigence d’une impossibilité absolue a pour but d’éviter que les délais de prescription ne soient vidés de leur substance par un accueil trop favorable de la règle Contra non valentem. La crainte tient au risque d’un allongement automatique des délais ; «  le créancier serait donc autorisé à remonter indéfiniment dans son passé, à en extraire tous les cas de force majeure, qui sont inévitables dans une vie humaine (…), à additionner les jours de maladie aux jours de grève, et à se prévaloir de circonstances indifférentes pour allonger à son gré le délai légal ». Cette appréhension s’avère cependant infondée, car elle repose en réalité sur une incertitude quant au mécanisme de la règle Contra non valentem.

En effet, tant la jurisprudence que la doctrine hésitent sur les effets réels de cette règle. S’agit-il d’un cas de suspension du cours de la prescription ou d’une mesure exceptionnelle visant à permettre au créancier d’agir en dépit de l’accomplissement de la prescription ?

Apporter une réponse à cette interrogation est nécessaire en raison des effets propres à chacune de ces hypothèses ; les parties ne sont effectivement pas placées dans la même situation. Ainsi, l’éventuelle application de l’adage à la clause de médiation importe de connaître ses modalités d’application et ses effets, car une suspension du cours de la prescription n’engendre pas les mêmes conséquences qu’un relèvement exceptionnel de la prescription acquise.

14. Dans la première hypothèse, la règle viendrait ainsi compléter les cas de suspension de la prescription prévue par la loi. Elle agirait comme un correctif face à des situations inéquitables. Dès lors, le cours de la prescription serait suspendu durant toute la période où l’impossibilité aurait existé ; le délai se trouverait alors allongé de la durée de la suspension .

15. Dans le seconde hypothèse, il s’agit de revenir sur une prescription d’ores et déjà accomplie. Il n’y aucune suspension, le temps est restauré mais seulement pour permettre au créancier d’agir en justice afin que le juge se prononce sur sa prétention. La règle Contra non valentem apparaît alors comme une mesure exceptionnelle qui ne peut recevoir application que dans des hypothèses limitées. Selon la jurisprudence, la règle Contra non valentem ne peut s’appliquer si le créancier au moment de la disparition de l’impossibilité avait encore le temps nécessaire pour agir en justice. En d’autres termes, l’impossibilité doit avoir débuté au cours de l’accomplissement de la prescription et n’avoir cessé qu’après l’expiration du délai de prescription.

16. La Cour de cassation semble retenir la seconde hypothèse, puisqu’elle énonce que : «  la règle selon laquelle la prescription ne court pas contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement quelconque résultant soit de la loi, soit de la convention ou de la force majeure, ne s’applique pas lorsque le titulaire de l’action disposait encore, au moment où cet empêchement a pris fin, du temps nécessaire pour agir avant l’expiration du délai de prescription ». Cette solution démontre que l’empêchement n’a pas pour finalité d’augmenter le délai du temps de la suspension, il ne s’agit que d’une mesure visant à assurer au créancier un délai suffisant pour agir en justice sitôt l’empêchement disparu .

Dans l’hypothèse où la négociation en vue d’un règlement amiable se serait poursuivie au-delà du délai de prescription, le créancier pourrait alors exceptionnellement bénéficier d’un délai pour saisir le juge.

17. Néanmoins, le refus actuel de la jurisprudence de prendre en considération les démarches de règlements non juridictionnel des différends sur le cours de la prescription laisse augurer d’une solution peu satisfaisante pour des parties soumises à une clause de médiation.

En effet, celle-ci entraîne une neutralisation du droit d’action de chacune des parties. Dès lors, jusqu’au terme du processus de médiation, les parties ne peuvent agir en justice et, faute d’avoir prévu conventionnellement une suspension ou une interruption de la prescription, celle-ci continue à courir. Il serait alors effectivement tentant pour celle à qui l’on oppose une fin de non-recevoir tirée de la prescription de demander son rejet par le biais de la maxime Contra non valentem et ainsi d’obtenir un délai supplémentaire pour saisir le juge de ses prétentions.

C. La position de la Cour de cassation dans son arrêt du 14 février 2003

18. Dans un remarquable obiter dictum, la Cour de cassation, dans son arrêt du 14 février 2003, précise sa position et énonce que la clause de conciliation obligatoire suspend la prescription dès sa mise en œuvre et jusqu’à son issue.
L’intervention de la Cour de cassation est sur ce point salvatrice, et semble s’insérer dans une politique d’assouplissement quant à la possibilité de modifier le déroulement du cours de la prescription et plus particulièrement ses conditions de suspension et d’interruption . La volonté individuelle pénètre ainsi dans une sphère qui, auparavant, était qualifiée d’ordre public .
La Cour confirme ainsi cette pénétration de la liberté contractuelle dans l’aménagement du cours de la prescription et reconnaît donc le plein effet processuel de la clause de médiation.

En neutralisant le droit d’action de chacune des parties, elle admet de manière induite que cette suspension s‘applique également à la prescription. Laisser le cours de celle-ci s’écouler, alors même que le droit d’action des parties contractantes est suspendu, aurait amené à une solution peu cohérente. La neutralisation n’est que temporaire et en ce sens ne doit pas conduire à une neutralisation définitive en raison de l’écoulement du temps. Il existe une imbrication nécessaire et logique entre l’action en justice et la prescription.

19. Les termes employés par la Cour laisse toutefois douter de la nature de cette suspension. L’interrogation est effectivement permise, puisqu’il importe de savoir si la Cour a fait application de l’adage Contra non valentem ou si au contraire elle a créé une véritable cause de suspension.

La plupart des commentateurs de cet arrêt de la Cour de cassation y ont vu plutôt une application de l’adage précité .

La plasticité dans l’appréhension des effets de la règle Contra non valentem autorise en effet à pouvoir parler de suspension de la prescription. La clause de conciliation ou de médiation peut être vue comme créant un véritable empêchement d’agir en justice tant que le processus de médiation n’a a pas abouti. La prescription sera ainsi suspendue et le délai allongé de la durée dudit processus.

Pour autant, il est difficile de réellement y voir une référence à l’adage précité, car la Cour de cassation ne reprend pas son attendu classique lorsqu’elle applique la règle Contra non valentem. Ainsi, on pourrait tirer de cette constatation deux conséquences.

20. La première inviterait à comprendre que la Cour de cassation a pris implicitement position sur les effets de la dite règle en restreignant son champ d’application à la seule restauration du droit d’action du créancier pour lui permettre de saisir le juge sitôt l’empêchement disparu.

La deuxième conséquence serait que la Cour de cassation s’est autorisée à créer une nouvelle cause suspension du cours de la prescription, qui aurait ainsi vocation, à terme, à s’appliquer à l’ensemble des modes non juridictionnels de règlement des conflits. Une telle position constituerait à la fois un revirement au regard des solutions antérieurement adoptées et aussi une réelle prise de distance par rapport aux termes précis de l’article 2251 du Code civil.

La Cour de cassation, dans cet arrêt, semble donc prendre pleinement en considération les effets processuels de la clause de médiation. La Cour reconnaît ainsi que la suspension conventionnelle du droit d’action de chacune des parties crée nécessairement une véritable cause de suspension du cours de la prescription. Cette conséquence ne serait ainsi qu’une suite logique de l’effet processuel de la clause de médiation.

L’affirmation de la suspension du cours de la prescription amène néanmoins à résoudre certaines questions pratiques.

II. La mise en œuvre en pratique de la suspension de la prescription

21. La Cour de cassation dans cet arrêt du 14 février 2003 retient que le cours de la prescription est suspendu de la mise en œuvre de la clause de médiation jusqu’à son issue ; le délai de prescription est donc arrêté le temps du processus de médiation et reprendra ensuite son cours. La lecture de cette solution laisse pourtant un goût amer ; pourquoi la Cour de cassation énonçant à juste titre la suspension de la prescription ne précise-t-elle pas davantage sa position sur ces notions de « mise en œuvre » et d’ « issue » ?

Il faut au contraire louer cette prudence, car la Cour rappelle implicitement que cette décision appartient aux seules parties ; elles sont libres de déterminer les modalités pratiques de mise en œuvre de ladite clause et de son issue. Cela relève de l’exercice de leur liberté contractuelle .

22. L’importance de ces notions n’est toutefois pas à négliger, puisqu’elles définissent la période au cours de laquelle le cours de la prescription sera suspendu. Ainsi, il est conseillé aux parties de déterminer dans la clause de médiation ou à défaut dans le contrat de médiation l’acte constatant la mise en œuvre de la clause de médiation et celui attestant de son issue. Il est néanmoins possible de suggérer quelques éléments de solutions.

23. La mise en œuvre de la clause de médiation pourrait débuter lors de l’expression par l’une des parties de sa volonté de recourir à la médiation. En d’autres termes, la suspension du cours de la prescription pourrait commencer dès cet acte officiel de notification, la forme de celle-ci relevant de la liberté contractuelle des parties.

En règle générale, la clause de médiation prévoira la forme de cette notification qui, le plus souvent se réalisera par le biais d’une lettre recommandée avec accusé de réception, le cachet de la poste faisant foi. Le cours de la prescription sera donc suspendu à compter de cette date.
La liberté dans la détermination de la date de mise en œuvre de la clause de médiation recommande cependant d’adopter une certaine prudence dans ce choix. Il est ainsi déconseillé de prévoir que la nomination du médiateur puisse valoir mise en œuvre de la clause de médiation, ce serait sans doute offrir une arme de blocage au cocontractant malicieux ou indélicat.

24. Quant à l’issue du processus de médiation, la date de la signature par les parties du procès-verbal de non conciliation semble être une solution équilibrée . Elle marque ainsi la fin de la suspension du cours de la prescription, qui coïncide avec l’arrêt de la neutralisation du droit d’action de chacune des parties.

Pour autant, l’inévitable refus de l’une des parties de signer le procès-verbal de non conciliation peut se poser. Dans cette hypothèse et afin de ne pas perdre inutilement du temps, l’autre partie pourrait officiellement prendre acte du refus de signer le procès-verbal de non conciliation en informant son partenaire qu’à défaut de réaction de sa part dans un délai relativement bref (une quinzaine de jours), il saisira le juge compétent d’une demande en justice .

25. L’échec du processus de médiation marque le désaccord persistant des parties sur l’élaboration d’une solution amiable à leur conflit. Cet échec leur permet de retrouver leur liberté d’agir en justice devant le juge étatique et arbitral, mais a aussi pour conséquence d’entraîner l’arrêt de la suspension du cours de la prescription. Le délai de prescription recommençant à courir, les parties devront alors veiller à l’écoulement du temps afin d’éviter la prescription de leurs droits, tout particulièrement pour les prescriptions brèves.

Il existe donc une véritable cohérence dans l’exécution de la clause de médiation ; les parties ne risquent pas de voir leur droits se prescrire par l’écoulement du temps lors du processus de médiation.

Guillaume HUCHET
Docteur en droit