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Quelles sont les règles pour la vente à emporter en restauration ? Par Baptiste Robelin, Avocat.
Parution : lundi 18 mai 2020
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Avec la multiplication des plateformes de vente à distance (Uber Eat, Deliveroo, etc.) de très nombreux restaurants mettent en place un système de vente à emporter.
Ce phénomène a d’ailleurs été encore accentué avec l’épisode de crise de Covid-19, où de nombreux établissements ont été contraints de recourir à de la vente à distance, afin de pallier aux difficultés engendrées par la fermeture administrative de leurs établissements.

Article actualisé par son auteur en mars 2021.

Dans ce contexte, nombreux sont les restaurateurs à s’interroger sur le cadre légal de la vente à emporter : tous les établissements sont-ils autorisés à faire de la vente à emporter ? Quelles sont les règles à respecter pour ce type d’activité ? Existe-t-il des formalités spécifiques ? Et qu’en est-il de la vente d’alcool à distance ?

Nous vous apportons ici quelques éclairages juridiques et des conseils pratiques.

Quels sont les établissements autorisés à exercer une activité de vente à emporter ? Faut-il une mention dans le bail commercial ou une autorisation du bailleur ?

L’activité de vente à emporter est censée être mentionnée dans le bail commercial pour être autorisée. Il est donc important de bien examiner la clause de destination.

Pendant longtemps, il était clair qu’à défaut de mention expresse dans le bail de l’activité de vente à emporter, le locataire ne pouvait pas exercer cette activité. Il devait donc solliciter une déspécialisation du bail commercial auprès du bailleur, en s’exposant à une hausse du loyer et au règlement d’une indemnité de déspécialisation [1].

Avec la Covid-19, les choses ont évolué. D’abord, l’activité de vente à emporter a été autorisée par Décret pour tous les restaurants, afin de pallier à l’interdiction de recevoir du public. Cela a eu tendance à accélérer le développement de cette pratique.

Parallèlement, s’est développée une nouvelle forme de restauration : les restaurants en ligne, également appelés « Dark Kitchen » ou encore « Ghost Kitchen » (Voir notre article sur les Dark Kitchen).

Face à ces phénomènes, l’activité de vente à emporter devient pratiquement une règle pour tous les restaurants.

Dans ce contexte, la Cour d’appel de Paris a opéré un premier revirement de jurisprudence en énonçant :

« Il convient de tenir compte de l’évolution des usages en matière de restauration traditionnelle. Si les plats confectionnés sont essentiellement destinés à être consommés sur place, la tendance croissante est de permettre à la clientèle, particulièrement en milieu urbain, comme en l’espèce, de pouvoir emporter les plats cuisinés par les restaurants ou se les faire livrer à domicile, notamment par l’intermédiaire de plateformes » [2].

Difficile d’être plus clair : les « usages » ont changé en matière de restauration. L’activité de vente à emporter semble désormais être considérée comme une activité incluse dans l’activité de restauration.

Si cette tendance jurisprudentielle se confirme - et tout tend à démontrer que ce devrait être le cas - on doit désormais pouvoir affirmer que l’activité de restauration, ou petite restauration, prévue dans le bail, autorise l’activité de vente à emporter.

Faut-il anticiper des formalités administratives spécifiques ?

Eventuellement, oui.

L’activité de vente à emporter/restauration rapide relève, selon la nature de l’activité, soit de la Chambre des Métiers, soit de la Chambre du Commerce.

La vente à emporter est de nature artisanale, en cas de fabrication artisanale de plats à partir de produits frais pour consommation immédiate à emporter ou à livrer (camions de ventes de pizzas, tartes, tourtes, viennoiseries, sandwiches, crêpes, gaufres, frites, hamburgers, plat, etc.).

La vente à emporter est de nature commerciale si l’entreprise compte plus de 10 salariés. La restauration rapide est commerciale, en cas de consommation sur place.

Ainsi, si vous souhaitez poursuivre une activité de vente à emporter sur le long terme, il conviendra, selon le cas, de procéder à une modification du Kbis et à une inscription à la Chambre des Métiers.

Une exception doit être notée en ce qui concerne le Bas-Rhin, le Haut-Rhin et la Moselle, l’activité de vente à emporter étant systématiquement artisanale, quel que soit l’effectif de l’entreprise, dès lors qu’elle n’utilise pas de procédé industriel.

Point pratique à avoir en tête pour effectuer ces formalités :

Le CFE compétent est la Chambre de commerce lorsque l’activité est commerciale : en cas d’activité artisanale secondaire, le CFE de la Chambre de commerce reste compétent pour recevoir le dossier d’immatriculation de l’entreprise au RCS, mais il transmet ce dossier à la Chambre de Métiers pour une immatriculation au Répertoire des Métiers (ou au registre des entreprises dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle).

Le CFE compétent est la Chambre de Métiers lorsque l’activité est artisanale : en cas d’activité commerciale secondaire ou en cas de création d’une société commerciale, le CFE de la Chambre de Métiers reste compétent pour recevoir le dossier d’immatriculation de l’entreprise au répertoire des métiers (ou au registre des entreprises dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle), mais il transmet ce dossier au greffe du tribunal de commerce pour une immatriculation au RCS.

Dernière formalité à avoir en tête, l’information auprès de la Direction départementale de la Protection des Populations (DDPP).

Pour rappel, conformément à l’article L233-2 du Code rural et de la pêche maritime, tout exploitant d’un établissement produisant, manipulant ou entreposant des denrées d’origine animale destinées à la consommation humaine doit déclarer son établissement auprès de la DDPP.

Au vu de ce texte, l’information mise à disposition des autorités compétentes doit être à jour, et toute modification significative de l’activité doit être signalée. Il faudra donc penser à mettre à jour cette déclaration, si ce n’est pas le cas, en cochant simplement l’activité de livraison. La formalité peut être faite en ligne directement sur le site de la DDPP [3].

Qu’en est-il de la vente d’alcool à emporter ?

Il existe deux licences autorisant la vente d’alcool à emporter :

- la « petite licence à emporter », permettant de vendre à emporter des boissons du 2ème groupe (boissons ne comportant pas, à la suite d’un début de fermentation, de traces d’alcool supérieures à 1,2 degré - vin, bière, cidre, poiré, les vins doux naturels, crèmes de cassis, jus de fruits ou de légumes fermentés comportant de 1,2 à 3 degrés d’alcool),
- la « licence à emporter », permettant de vendre à emporter toutes les boissons dont la vente est autorisée. La licence de vente d’alcool à emporter concerne également la vente par internet ainsi que la livraison, ce type de vente étant assimilée à de la vente à emporter.

Aucune licence spécifique n’est requise pour de la vente à emporter de boissons non alcoolisées.

A noter : la vente de boissons alcoolisées la nuit peut être interdite par certaines communes. Il est donc nécessaire de se renseigner sur la politique municipale avant de mettre en place ce type d’activité.

Et même si la commune l’autorise, une autorisation spécifique est nécessaire pour la vente d’alcool de nuit, entre 22h00 et 8h00.

Conformément à l’article L3331-4 du Code de la santé publique, cette autorisation est conditionnée au suivi d’une formation de quelques heures afin de sensibiliser le commerçant aux normes particulières régissant la vente d’alcool de nuit.

A noter enfin, s’il s’agit d’une vente à distance : la plateforme de vente en ligne doit obligatoirement comporter les mentions légales relatives à l’interdiction de vente d’alcool aux mineurs.

Quelles sont les sanctions en cas de non-respect de la règlementation ?

Conformément aux dispositions de l’article 3352-4-1 du Code de la santé publique celui ou celle qui démarre une activité de vente d’alcool à emporter sans autorisation préalable encourt une peine de 3 750 euros d’amende.

De plus, il convient de rappeler que la vente de boissons alcoolisées dans des distributeurs automatiques est interdite et punie de 3 750 euros d’amende conformément aux dispositions de l’article 3351-6 du Code de la santé publique. Même si cela ressemble à s’y méprendre à de la vente à emporter, cela n’est pas autorisé en France car aucun contrôle de l’âge des consommateurs ne peut être appliqué.

Dois-je mettre en place une organisation spécifique pour les livreurs ?

Il faut surtout éviter les attroupements de livreurs ou de clients à l’entrée de l’établissement, qui pourraient être générateurs de troubles.

En effet, l’article L332-1 du Code de la sécurité intérieure dispose que la fermeture temporaire d’un établissement effectuant de la vente à emporter peut être imposée par l’autorité administrative en cas de non-respect de l’une des trois composantes de l’ordre public : tranquillité, salubrité, sécurité publique.

Ce point est particulièrement important à l’occasion de la crise sanitaire actuelle : le restaurateur devra notamment veiller à faire respecter les mesures de distanciation sociale qui s’imposent pour des raisons de sécurité.

De leur côté, les voisins pourraient également chercher à mettre en cause votre établissement sur le fondement des troubles anormaux du voisinage, ou du tapage nocturne ou diurne, si la mise en place de la vente à emporter était génératrice de nuisances sonores importantes. Des décisions sont régulièrement rendues sur ce point, condamnant les exploitants à indemniser leurs voisins du préjudice subi à raison des nuisances sonores [4].

Il incombe donc au restaurateur de s’organiser pour éviter les attroupements de livreurs ou de clients devant son enseigne.

Me Baptiste Robelin - Avocat au Barreau de Paris NovLaw Avocats - www.novlaw.fr (English : www.novlaw.eu)

[1CA Paris, 16e ch. A, 23 mai 2001, n° 1999/16524 : JurisData n° 2001-146810.

[2CA Paris, 5, 3, 17-02-2021, n° 18/07905 ; voir notre commentaire complet sur cet arrêt sur : https://novlaw.fr/bail-commercial-activite-de-restauration-et-vente-a-emporter

[4Par exemple, pour le préjudice causé par la nuisance des scooters de livreurs, voir une décision de la Cour d’appel de Paris, Pôle 5 chambre 2 du 25 février 2015, RG 13/05156.

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