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Le contentieux du paiement des charges locatives dites récupérables. Par Thomas Crétier, Avocat.
Parution : mardi 19 mai 2020
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Les charges locatives, payées en plus du loyer par le locataire, font l’objet d’un contentieux récurrent. La faute à des textes souvent ambigus et dispersés en l’absence d’une quelconque codification.

Les charges locatives, dites récupérables, sont constituées par un ensemble de dépenses « neutres » pour le bailleur, lequel en avance par principe le paiement pour son locataire qui en supporte in fine seul le coût.

Ces charges se divisent en 3 catégories définies par l’article 23 de la Loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 et correspondent à :

« 1° Des services rendus liés à l’usage des différents éléments de la chose louée ;

2° Des dépenses d’entretien courant et des menues réparations sur les éléments d’usage commun de la chose louée. Sont notamment récupérables à ce titre les dépenses engagées par le bailleur dans le cadre d’un contrat d’entretien relatif aux ascenseurs et répondant aux conditions de l’article L125-2-2 du code de la construction et de l’habitation, qui concernent les opérations et les vérifications périodiques minimales et la réparation et le remplacement de petites pièces présentant des signes d’usure excessive ainsi que les interventions pour dégager les personnes bloquées en cabine et le dépannage et la remise en fonctionnement normal des appareils ;

3° Des impositions qui correspondent à des services dont le locataire profite directement (…) ».

Le législateur a tenu à ce que ces trois catégories soient volontairement très « larges » (donc relativement vagues) et a renvoyé pour plus de précisions à une liste limitative fixée par décret en Conseil d’Etat.

Cette liste, énumérée par l’annexe du « Décret n°87-713 du 26 août 1987 pris en application de l’article 18 de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 tendant à favoriser l’investissement locatif, l’accession à la propriété de logements sociaux et le développement de l’offre foncière et fixant la liste des charges récupérables », est malheureusement réputée pour elle aussi manquer de clarté.

Annexe du Décret n°87-713 du 26 août 1987 énumérant de manière limitative les charges récupérables

La Cour de cassation a ainsi rendu des dizaines d’arrêts afin d’en préciser ces contours, s’aidant pour cela des 3 catégories visées par l’article 23 de la Loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 et de notes ministérielles relatives au fonctionnement des HLM. 

L’énumération figurant dans l’annexe du décret est en effet particulièrement importante dans la mesure où elle est limitative et d’ordre public.

Aussi, le bailleur ne peut exiger le remboursement d’une dépense qui n’y figurerait pas et toute stipulation contractuelle qui ajoute une clause contraire dans un contrat de bail est réputée non écrite.

Aux termes de l’article 23 de la Loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, ces charges locatives sont par principe exigibles sur justification des dépenses avancées par le bailleur pour son locataire. En d’autres mots, la charge de la preuve du montant de ces charges et de leur caractère récupérable pèse sur le bailleur.

Pour des raisons pratiques, l’alinéa 6 de ce même article dispose que des provisions sur charges peuvent toutefois être facturées chaque mois au locataire et donnent alors lieu à une régularisation annuelle des charges : « (…)Les charges locatives peuvent donner lieu au versement de provisions et doivent, en ce cas, faire l’objet d’une régularisation au moins annuelle. Les demandes de provisions sont justifiées par la communication de résultats antérieurs arrêtés lors de la précédente régularisation et, lorsque l’immeuble est soumis au statut de la copropriété ou lorsque le bailleur est une personne morale, par le budget prévisionnel(…) ».

Si le bailleur ne justifie pas du caractère récupérable des charges et de leur montant, le locataire peut solliciter le remboursement des provisions qu’il a réglées devant le Juge des contentieux de la protection du Tribunal Judiciaire, [1], lequel remplace depuis le 1er janvier 2020 l’ancien Tribunal d’Instance compétent en la matière.

Initialement soumis à une prescription de 5 ans, la Loi ALUR du 24 mars 2014 a raccourci le délai de prescription de ce contentieux pour le porter à 3 ans, modifiant pour cela l’article 7-1 de la Loi du 6 juillet 1989, lequel dispose désormais que « toutes actions dérivant d’un contrat de bail sont prescrites par trois ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer ce droit. (…) ».

La Cour de Cassation a précisé que cette prescription vaut tant pour le locataire que pour le bailleur. Aussi, un bailleur négligeant, lequel ne justifie pas sa demande de provision de charges chaque année, conserve le droit de réclamer ultérieurement les charges récupérables dès lors qu’il présente les justificatifs adéquats : « qu’en statuant ainsi, alors que le paiement des charges sur justificatifs peut être demandé dans la limite de la prescription (…), le tribunal a violé les textes susvisés » [2].

Le point de départ du délai de prescription n’est toutefois pas la même pour le bailleur et pour le locataire :
- Le bailleur ne peut exiger le remboursement d’une charge récupérable que dans les 3 années qui suivent son paiement ;
- Le locataire peut quant à lui solliciter le remboursement des provisions payées indûment dans les 3 ans qui suivent la régularisation des charges : « le point de départ du délai de prescription de trois ans de l’action en répétition des charges indûment perçues par le bailleur (…) est le jour de la régularisation des charges, qui seule permet au preneur de déterminer l’existence d’un indu, et non celui du versement de la provision » [3].

En toute hypothèse, l’absence de régularisation de charges ne dispense pas le locataire de payer les provisions qui lui sont réclamées chaque mois. Elle lui permet seulement de solliciter le remboursement des provisions payées dans la limite de 3 années.

Afin de justifier le contenu de la régularisation de charges, le bailleur doit communiquer à son locataire :
- Le mode de répartition des charges lorsque l’immeuble est soumis au statut de la copropriété : les charges afférentes à chaque lot sont déterminées en fonction du contenu du règlement de copropriété et de l’état descriptif de division ;
- Le décompte par nature des charges : ce décompte sommaire mentionne le montant des dépenses par nature de charges (ascenseur, eau, chauffage, etc.). Dans les immeubles en copropriété, il s’agit souvent du relevé général des dépenses et de l’arrêté des charges de la copropriété, lesquels doivent bien entendu être lus et interprétés au regard du règlement de copropriété et de l’état descriptif de division.

Le bailleur doit également mettre à la disposition du locataire les pièces justificatives des charges, lesquelles sont essentiellement constituées par les factures des prestations effectuées dans l’immeuble ou certains avis d’imposition. La question de la mise à disposition de ces avis d’imposition pose des difficultés récurrentes dans la mesure où le bailleur refuse fréquemment de les mettre à disposition du locataire. C’est plus particulièrement le cas de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) qui figure dans l’avis d’imposition de taxe foncière du propriétaire (…).

En toute hypothèse, le bailleur n’a pas à envoyer directement les pièces justificatives au locataire, mais doit seulement lui indiquer où et quand il peut les consulter.

La Cour de Cassation a précisé que ces justificatifs peuvent être communiqués dans le cadre d’une instance en justice, du moment que la prescription n’est pas acquise : « Qu’en statuant ainsi, sans constater que les bailleurs avaient tenu à la disposition des locataires, fût-ce devant elle, les pièces justificatives des charges locatives que ceux-ci réclamaient, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ; » [4].

Les juridictions sont particulièrement sévères avec le bailleur qui ne respecte pas son obligation de régularisation. Le locataire peut dans cette hypothèse obtenir jusqu’au remboursement total des charges locatives qu’il a réglées.

Il est également possible de saisir la Commission Départementale de conciliation, laquelle est composée de représentants d’organisations de bailleurs et d’organisations de locataires.

Il convient toutefois d’être vigilant dans la mesure où ce mode de règlement amiable des litiges n’interrompt pas la prescription et n’a aucune force contraignante, contrairement à la saisine de la juridiction compétente.

- Avocat au Barreau de LYON

[1Notamment : Cass. Civ. 3ème, 8 décembre 2010, n° de pourvoi 09-71124.

[2Notamment : Cass. Civ. 3ème, 27 mai 2003, n° de pourvoi 02-12253 ; Cass. Civ. 3ème, 3 avril 1996, n° de pourvoi 94-13891.

[3Cass Civ. 3ème, 9 novembre 2017, n° de pourvoi 16-22445.

[4Cass. Civ. 3ème, 1er avril 2009 - n° de pourvoi 08-14854.