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Expulsion locative : que faire en cas de refus de concours de la force publique ? Par Romain Rossi-Landi, Avocat.
Parution : mercredi 20 mai 2020
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Pour le propriétaire bailleur, il ne suffit pas d’obtenir une décision du juge judiciaire ordonnant une expulsion, encore faut-il la faire exécuter si le locataire ne libère pas les lieux spontanément.

Il est alors nécessaire d’obtenir le « concours de la force publique », c’est-à-dire l’assistance du commissaire de police, pour procéder à l’expulsion manu militari.

Le refus du concours de la force publique peut être justifié par des considérations sociales liées à l’âge et à la situation financière et familiale de l’occupant.

Néanmoins, lorsque ce concours de la force publique est refusé au bailleur, ce dernier est en droit d’obtenir réparation auprès de l’Etat. Cette procédure en indemnisation s’est considérablement accélérée ces dernières années.

La réquisition du concours de la force publique.

Le bailleur qui dispose d’une décision définitive (jugement, ordonnance de référé ou arrêt) ordonnant l’expulsion d’un occupant (ancien locataire ou occupant sans droit ni titre dès l’origine de l’occupation), doit saisir un huissier de justice pour qu’elle soit exécutée, c’est-à-dire pour que le ou les occupants soient expulsés.

Attention, le fait de forcer une personne à quitter les lieux sans avoir obtenu le concours de la force publique est passible d’une peine d’emprisonnement de trois ans et de 30.000 € d’amende (Article 226-4-2 du code Pénal).

Dans la pratique, l’huissier de justice mandaté par le bailleur doit s’adresser au Préfet pour requérir le concours de la force publique.

Le procès-verbal de réquisition de la force publique contient une copie du dispositif du titre exécutoire, c’est-à-dire de la décision judiciaire. Elle est accompagnée d’un exposé des diligences auxquelles l’huissier de justice a procédé et des difficultés d’exécution.

Le Préfet dispose alors d’un délai de deux mois pour accorder au bailleur le concours de la force publique, étant précisé que « le défaut de réponse dans un délai de deux mois équivaut à un refus  » selon l’article R 153-1 du Code des Procédures Civiles d’Exécution.

Pendant ce délai, la Préfecture demande une enquête sociale et un rapport au commissaire de police qui convoque l’occupant. C’est notamment au vu de l’enquête sociale et du rapport du commissaire de police que la Préfecture prend sa décision.

A l’issue de ce délai de deux mois, la responsabilité de l’Etat pour refus de concours de la force publique peut être engagée.

Le refus du concours de la force publique ouvre droit à réparation pour le bailleur.

Dès lors que l’ordre public n’est pas en cause, l’Etat dont le concours a été sollicité, a l’obligation, en application de l’article L 153-1 du Code des Procédures Civiles d’Exécution, de fournir son concours à l’expulsion et il ne peut s’y soustraire, sauf à voir sa responsabilité engagée :

« L’Etat est tenu de prêter son concours à l’exécution des jugements et des autres titres exécutoires. Le refus de l’Etat de prêter son concours ouvre droit à réparation. »

Le bailleur peut donc réclamer à l’Etat l’indemnisation du préjudice qu’il subit du fait de la carence de ce dernier.

Le recours indemnitaire devant l’Etat.

Le recours gracieux.

La première étape permettant au propriétaire bailleur d’obtenir une indemnisation, est un recours gracieux adressé par lettre recommandée avec avis de réception au Préfet.

Dans ce recours, le propriétaire expose les diligences de l’huissier depuis l’expiration du délai de deux mois suivant le commandement de quitter les lieux notifié à l’occupant et, chiffre le préjudice dont il demande réparation.

Il existe des formulaires de « Demande d’indemnisation au titre du refus de concours de la force publique » mis en place par les Préfectures à remplir avec la liste des documents à fournir.

Le Préfet dispose d’un délai de quatre mois pour rendre sa décision. Il peut aussi faire une offre d’indemnité différente, en général plus faible, que le propriétaire peut accepter.

Un protocole transactionnel d’accord est alors signé entre la Préfecture et le propriétaire bailleur.

Ce protocole prévoit :

- Le montant de l’indemnité versée par l’Etat au propriétaire en réparation de tous les chefs de préjudice nés de l’occupation prolongée des locaux en raison du retard apporté à l’octroi du concours de la force publique aux fins d’exécuter la décision judiciaire d’expulsion

- Une déclaration du propriétaire selon laquelle il subroge l’Etat dans tous ses droits et actions à l’encontre de l’occupant pour la période et le préjudice définis. En effet, le propriétaire ne peut pas recevoir l’indemnité relevant la responsabilité de l’État et en même temps le montant des indemnités d’occupation de la part du locataire évincé [1]

Le recours contentieux devant le Tribunal Administratif.

Si la Préfecture oppose un refus explicite à la demande d’indemnisation, ce qui est de plus en plus rare, le propriétaire dispose d’un délai de deux mois à compter de ce refus pour exercer un recours contentieux devant le Tribunal Administratif dans le ressort duquel se trouve le bien loué.

Il faut alors s’armer de patience car la procédure est très longue mais elle aboutit quasiment toujours à la condamnation de l’Etat.

Dans certains cas d’urgence, il est possible d’engager une procédure d’urgence dénommée référé-liberté, et aux termes de laquelle le juge doit se prononcer dans les 48 heures à compter de la requête.

Il faudra alors prouver un danger pour la sécurité des habitants de l’immeuble par exemple.

Attention, n’est pas considéré comme étant constitutif d’une urgence la perte de revenus locatifs et l’incidence d’une occupation sans droit ni titre d’une partie de l’immeuble [2]

La période indemnisable.

Le préjudice subi par le propriétaire en cas de refus de concours de la force publique commence à courir :
- à compter du refus de concours de force publique (ou en cas de silence du Préfet, deux mois après la réquisition du concours de la force publique, exemple : la réquisition du concours de la force publique est faite le 10 juin ce qui signifie que la responsabilité de l’Etat pour refus de concours de force publique est engagée à partir du 10 août)
- pour se terminer à la date à laquelle le préfet accorde le concours de la force publique (ou lors de la libération des lieux par l’occupant)

Il est d’ailleurs possible de faire un recours indemnitaire complémentaire tant que le concours de la force publique n’est pas accordé.

La trêve hivernale.

Attention, le point de départ du délai de la période indemnisable est prolongé par l’effet de la trêve hivernale (qui débute le 1er novembre pour se terminer le 31 mars de l’année suivante).

Exemple : la réquisition du concours de la force publique est faite le 10 octobre, le délai de deux mois expire le 10 décembre pendant la trêve hivernale, ce qui signifie que la responsabilité de l’Etat pour refus de concours de force publique ne sera engagée qu’à partir du 1er avril de l’année suivante.

La trêve hivernale 2020 a été exceptionnellement prolongée jusqu’au 10 juillet 2020 en raison de l’épidémie COVID 19. Cela signifie-t-il que la responsabilité de l’Etat pour refus de concours de la force publique ne démarre qu’à compter du 10 juillet 2020 ?

L’Etat, en prolongeant à l’extrême cette trêve hivernale, empêche que de nombreuses décisions de justice soient exécutées et ce au préjudice des bailleurs.

Il serait donc juste pour les bailleurs que la responsabilité de l’Etat pour refus de concours de force publique reste engagée à compter du 1er avril 2020 et non pas du 10 juillet 2020.

C’est ce qui semble ressortir des dernières déclarations du Ministre du Logement Julien de Normandie.

Le préjudice indemnisable.

Le préjudice subi par le propriétaire en cas de refus de concours de la force publique correspond au montant de l’indemnité d’occupation due par l’occupant (équivalente au loyer contractuel).

Ainsi, les loyers et indemnités d’occupation impayés antérieurs au refus du concours de la force publique ne sont pas couverts. Il ne s’agit donc pas pour le bailleur de se faire rembourser par l’argent public l’intégralité de sa créance locative.

Dans l’hypothèse, rarissime, où l’indemnité d’occupation est réglée par l’occupant, le préjudice est constitué par l’impossibilité pour le propriétaire de disposer de son bien soit pour le louer à nouveau, soit pour le vendre libre d’occupation, ou pour le reprendre pour ses besoins personnels.

Le propriétaire peut également réclamer à l’Etat le paiement des charges ou encore les taxes récupérables sur le locataire comme la taxe sur les ordures ménagères voire même les dégradations sur présentation des justificatifs.

En définitive, les délais d’attente pour être indemnisé par l’Etat ont été considérablement réduits ces dernières années car, dans la majorité des cas, la Préfecture accepte de négocier et propose une indemnisation sans que le bailleur ne soit obligé d’engager une procédure devant le tribunal administratif.

Il ne faut donc pas hésiter à faire valoir vos droits en cas de refus de concours de la force publique.

Romain ROSSI-LANDI Avocat à la Cour www.rossi-landiavocat.fr

[1CE req. 389690 27 juillet 2016

[2CE n°261353 30/10/2003, Sté Kentucky

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