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Ordonnance sur requête : le recours au détective privé validé par la Cour de cassation. Par Antoine Senex, Détective Privé.
Parution : lundi 25 mai 2020
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Dans son arrêt du 14 novembre 2019 [1], la Cour de cassation valide entièrement le recours au détective privé afin de motiver une demande d’ordonnance sur requête article 145 CPC.

Bien que méconnu, le recours à une ordonnance sur requête article 145 du Code de procédure civile est fort d’utile pour fixer des preuves avant un procès.

Dans la mesure où cet outil juridique déroge au principe du contradictoire, la difficulté consiste à convaincre le magistrat de l’accorder.

Aussi, un rapport d’enquête de détective privé consignant des premiers éléments de preuves vient souvent appuyer la requête de l’avocat afin d’emporter la décision du juge.

Dans son arrêt du 14 novembre 2019, la Cour de cassation valide entièrement ce procédé et confirme le rôle majeur du détective privé dans l’administration de la preuve.

1. Arrêt du 14.11.2019 : rappel des faits.

Créé en 1988, le Groupe Alten compte plus de 37 000 salariés à travers le monde dont 14 000 collaborateurs en France et réalise un chiffre d’affaire de 2,6 milliards d’euros en 2019.

Leader mondial de l’ingénierie et du conseil en technologies, côté au prestigieux SBF 120, le groupe est un fleuron de l’entrepreneuriat français.

Le Groupe Alten accuse le Groupe Astek de concurrence déloyale par « débauchage massif ». Bien que créé la même année, le Groupe français Astek est un challenger de moindre envergure car il ne compte que 4 000 salariés pour un chiffre d’affaires annuel de 270 millions d’euros pour l’exercice 2019.

Par requête an date du 15 juin 2016, ALTEN sollicite une ordonnance sur requête auprès du président d’un tribunal de commerce en raison du :

« débauchage massif de la moitié du personnel d’encadrement et de management en suite du recrutement par Astek de M. L..., directeur des opérations pour le pôle parisien de la division ASD d’Alten supervisant environ 25 managers commerciaux et plus de 620 ingénieurs ».

Outre le débauchage massif, la concurrence déloyale est caractérisée par la « transmission d’informations et documents confidentiels appartenant à Alten ».

Des mesures d’investigation sont demandées afin de rechercher

« tous documents susceptibles d’établir et/ou confirmer la réalité et l’étendue des pratiques illicites des sociétés Groupe Astek, Astek et Astek Sud Est ne disparaissent pas ou ne soient pas dissimulées avant l’exécution des mesures. L’effet de surprise est en conséquence une condition d’efficacité des mesures sollicitées  ».

Pour mémoire, l’ordonnance sur requête article 145 du Code de procédure civile équivaut à une perquisition en matière civile et se justifie par le besoin de preuves :

« S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ».

Elle est rendue de façon non contradictoire comme le précise l’article 493 du Code de procédure civile :

« L’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse ».

En outre, l’ordonnance « doit être motivée » comme l’indique l’article 494 du même code.

Aussi, toutes les allégations d’Alten sont motivées au moyen d’un rapport d’enquête de détective privé et de sommations-interpellatives d’huissiers délivrées simultanément sur les différents sites d’Astek.

Enfin, pour motiver sa requête, l’avocat d’Alten souligne le risque de dépérissement et de destruction des preuves ainsi que la nécessité d’un effet de surprise.

Il souligne que l’efficacité d’une intervention des huissiers de justice est subordonnée et la « non-information préalable des sociétés Astek, afin d’éviter tout risque de concertation pour dissiper le cas échéant tout document compromettant ».

Il est fait droit à la requête par ordonnance du 16 juin 2016 [2] :

« en raison de la nature des éléments recherchés susceptibles de disparaître et de la concurrence vive entre la requérante et la requise, il est nécessaire d’avoir recours à une procédure non contradictoire en l’espèce ».

Les mesures d’investigation sont exécutées le 4 juillet 2016.

Le 13 septembre 2016, ALTEN assigne au fond Astek devant le tribunal de commerce.

2. Rétractation de l’ordonnance sur requête article 145 CPC.

Le 3 août 2017, Astek saisit le juge des référés à fin de rétractation de l’ordonnance sur requête.

Elle précise que, si la jurisprudence a toujours admis que l’effet de surprise était nécessaire à la réussite d’une telle mesure, son caractère non-contradictoire implique que l’ordonnance ou la requête ne se prononcent pas par voie d’affirmation abstraite et stéréotypée.

Ainsi, Astek considère que les mesures d’investigation déployées à son encontre, ne pouvaient déroger au principe du contradictoire car ALTEN ne motivait pas sa requête in concreto :

« les motifs susvisés se contentent de faire état d’un risque de dépérissement et de destruction des preuves et de la nécessité d’un effet de surprise à travers des formules générales non circonstanciées, sans démonstration ni prise en compte d’éléments propres au cas d’espèce ».

Elle poursuit en affirmant que les allégations d’Alten n’étaient pas étayées par des éléments de fait ou de preuve.

Cette demande en rétractation est rejetée par ordonnance du 3 novembre 2017.

Astek interjette appel et obtient gain de cause par arrêt de la cour d’appel de Versailles le 21 juin 2018 sur le motif que :

« la requête se contentent de faire état d’un risque de dépérissement et de destruction des preuves et de la nécessité d’un effet de surprise, sans démonstration ni prise en compte d’éléments propres au cas d’espèce et que ne sont pas plus précis les termes invoquant, sans être étayés par des éléments de fait ou de preuve, l’existence d’une concurrence vive ».

3. La Cour de cassation casse l’arrêt de rétractation.

Le groupe Alten se pourvoit en cassation sur le moyen unique que les termes de la requête et de l’ordonnance étaient dûment justifiés, conformément aux articles 145 et 493 du Code de procédure civile.

Par arrêt du 14 novembre 2019 N° pourvoi 18-24153, la Cour de cassation casse l’arrêt infirmatif de la cour d’appel de Versailles car :

« l’ordonnance rectifiée du 16 juin 2016 était motivée par renvoi à la nature des faits de concurrence déloyale expressément dénoncés dans la requête comme justifiant le recours à une procédure non contradictoire, seule susceptible de garantir un nécessaire effet de surprise à la suite des premières investigations diligentées à l’initiative des sociétés Alten et Alten Sud Ouest, la cour d’appel a violé les textes susvisés »

et

« remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles, autrement composée »

4. Le recours au détective privé pour motiver une ordonnance sur requête article 145 CPC.

Cet arrêt de cassation confirme une nouvelle fois le rôle prépondérant du détective privé dans l’administration de la preuve.

En l’espèce, dans le cadre d’une ordonnance sur requête, l’avocat du demandeur doit motiver sa requête comme le précise l’article 494 CPC. Toutes ses allégations doivent être prouvées afin de justifier une exception au principe du contradictoire.

Ainsi, le détective privé devient le partenaire idoine de l’avocat pour soutenir ses allégations.

Dans le cas d’un débauchage massif, l’enquêteur privé apporte la preuve du débauchage massif de salariés au moyen de filatures, photographies, échange de correspondances, appels téléphoniques…

Ses investigations menées dans le plus grand secret sont parfaitement légales car l’activité de détective consiste à :

« recueillir, même sans faire état de sa qualité ni révéler l’objet de sa mission, des informations ou renseignements destinés à des tiers, en vue de la défense de leurs intérêts (article L621-1 du Code de la sécurité intérieure) ».

Une fois l’ordonnance sur requête obtenue, des mesures d’investigation coercitives pourront être exécutées avec l’intervention d’huissier de justice, d’experts informatiques, de serruriers et de la force publique.

Copies de disques durs et saisies de documents seront notamment réalisées afin d’établir l’ampleur des actes de concurrence déloyale et la mesure du préjudice subi.

Antoine SENEX, détective privé SENEX - Cabinet de détectives privés

[1Cas. Civ. 2, 14.11.2019, pourvoi n° 18-24153.

[2Rectifiée le 24 juin 2016.