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Règlements partiels de plusieurs crédits immobiliers, quid de l’affectation ? Par Laurent Latapie, Avocat.
Parution : mardi 26 mai 2020
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En présence de plusieurs crédits immobiliers ayant tous fait l’objet de déchéance du terme, le débiteur qui effectue des règlements pour tenter de réduire sa dette peut-il choisir l’affectation des sommes versées ?

Il convient de s’intéresser à un arrêt rendu en novembre dernier qui vient aborder la problématique de l’affectation d’un paiement lorsque le débiteur a souscrit plusieurs crédits.

La question est de savoir dans quelles conditions les paiements doivent être affectés et si le débiteur a la possibilité de choisir la dette qu’il entend acquitter en 1er.

Cette question de l’affectation des sommes versés par l’emprunteur peut avoir une importance cruciale lorsque, in fine, la banque décide de poursuivre le débiteur et de s’attaquer à l’ensemble de ses biens, notamment dans le cadre d’une procédure de saisie immobilière.

Dans cette affaire, Monsieur et Madame M ont, entre 2000 et 2005, contracté plusieurs prêts en vue de l’acquisition de biens immobiliers situés à Courchevel, Annecy et Cannes, auprès de la banque aux droits de laquelle se trouve désormais un fonds commun de titrisation.

À la suite d’incidents de paiement, la banque, a, par lettre du 7 novembre 2012, prononcé la déchéance du terme de l’ensemble des prêts immobiliers.
Rappelons que la déchéance du terme peut être contestée dans certaines conditions en l’état des jurisprudences rendues en la matière.

Rappelons encore qu’en cas de difficulté, l’emprunteur malheureux qui n’arrive pas à trouver un accord avec sa banque pour suspendre temporairement les échéances du prêt, peut aussi saisir la Justice et demande une suspension judiciaire des échéances de son prêt immobilier pour éviter une déchéance du terme catastrophique.

Après différents règlements partiels effectués par les emprunteurs et de nouvelles défaillances de leur part, la banque a, par lettre du 9 octobre 2014, de nouveau prononcé la déchéance du terme des prêts.
Ce point la encore méritait peut être aussi discussion.

Par actes des 18 mars, 13 avril et 4 septembre 2015, le créancier a délivré aux emprunteurs des commandements de payer différentes sommes emportant saisie des biens immobiliers.

Ces commandements étant demeurés sans effet, le prêteur a assigné devant le Juge de l’Exécution les emprunteurs qui ont, notamment, sollicité l’annulation des commandements de payer pour défaut de décompte sincère et vérifiable en l’absence de respect par le prêteur d’ordres d’imputation des paiements.
Le débiteur a, à titre subsidiaire, invoqué la prescription de l’action en recouvrement des prêts relatifs aux biens situés à Annecy et Cannes.

En effet, madame M rappelait que dans un courriel en date du 30 juin 2013 adressé à la banque, Madame M écrivait : « Pour faire suite à notre discussion téléphonique de la semaine dernière, nous vous confirmons comme convenu que nous allons suivre votre conseil et affecter tous nos paiements à notre dette concernant nos deux prêts de Courchevel.
Ainsi les 50.000 euros que vous avez reçus par chèque du 7 juin 2013 sont à affecter à ces deux prêts.
Tous nos virements futurs et sauf instruction contraire et expresse de notre part seront aussi à affecter à ces 2 prêts jusqu’à leur extinction
 ».

Cette affectation des paiements telle que demandée par les débiteurs sera reprise par un second courriel en date du 8 juillet 2014.

La banque contestait cette idée d’affectation en soutenant que l’ordre d’affectation était postérieur de près de 23 jours au virement effectué.
Elle reprochait de choisir l’attribution d’un paiement à une date particulière alors que le règlement avait déjà été effectué.

La banque considérait que les époux M ne justifiaient pas d’un ordre d’affectation précis daté du jour même du paiement en question.

Elle considérait qu’au visa de l’article L. 312-21 du Code de la Consommation, l’emprunteur peut toujours, à son initiative, rembourser par anticipation, en partie ou en totalité, un crédit immobilier.

Pour autant, Madame et Monsieur M considéraient qu’en retenant que les emprunteurs ne pouvaient imposer à la banque d’affecter leurs paiements aux deux prêts de Courchevel dans la mesure où une telle affectation aurait conduit à un remboursement anticipé des prêts non prévu par les parties, la Cour d’Appel avait violé ledit article.

Monsieur et Madame M faisaient valoir que la banque n’avait pas respecté leur ordre d’imputation s’agissant des deux sommes de 4 000 euros chacune qu’ils avaient payées respectivement le 5 novembre 2014 et le 15 décembre 2014 pour les avoir imputées sur le prêt contracté pour l’acquisition du bien situé à Cannes et non sur les deux prêts consentis pour l’acquisition du bien de Courchevel conformément à leur demande formulée dans leurs mails des 30 juin 2013 et 8 juillet 2014.

Ils considéraient qu’aux termes de l’article L. 312-21 du Code de la Consommation l’emprunteur peut toujours, à son initiative, rembourser par anticipation, en partie ou en totalité, un crédit immobilier.

Ils rappelaient que l’article 1253 du code civil, ne pose aucune limite au droit du débiteur de plusieurs dettes de choisir celle qu’il entend payer et qu’ils étaient parfaitement en droit de soutenir la prescription.

Les époux M reprochaient à la Cour d’Appel d’avoir retenu que les emprunteurs ne pouvaient imposer à la banque d’affecter leurs paiements aux deux prêts de Courchevel dans la mesure où une telle affectation aurait conduit à un remboursement anticipé des prêts non prévu par les parties.

Les époux M reprochaient à la Cour d’appel de considérer qu’une telle imputation aurait été contraire à ses intérêts puisqu’elle aurait abouti à la prescription des poursuites au titre des autres prêts en l’absence de paiement, et en retenant ainsi que la banque avait légitimement pu refuser d’imputer les paiements effectués par les emprunteurs sur les deux prêts consentis pour l’acquisition du bien de Courchevel, ainsi que ceux-ci le lui avaient demandé.

La Cour de Cassation rejoint l’analyse de la banque, tout comme celle de la Cour d’appel, puisqu’elle considère qu’il résulte de des dispositions des articles 1244 et 1253 du Code Civil, que, si le débiteur de plusieurs dettes a le droit de déclarer, lorsqu’il paye, quelle dette il entend acquitter, l’exercice de ce droit implique, sauf accord de son créancier, qu’il procède au paiement intégral de cette dette et ne sont dès lors pas fondés à se prévaloir de leur droit légal d’imputer leurs paiements, des emprunteurs qui, ayant contracté plusieurs prêts, effectuent des paiements partiels.

Cette jurisprudence est regrettable.

Par ailleurs elle n’apporte pas toutes les réponses aux questions posées.
Car si, in fine, l’ensemble des paiements partiels désintéressent que partiellement plusieurs prêts, peut être que leur affectation à un seul des prêts en question permettrait d’en désintéresser au moins un.
Pourquoi alors ne pas retenir cette hypothèse ?

Pourquoi ne pas permettre à l’emprunteur de choisir l’affectation des paiements et choisir ce qui est pour lui le plus prioritaire, sachant que la Loi précise dans certains cas qu’en cas de doute, la banque a l’obligation de l’affecter à la créance la plus couteuse en frais et intérêts.

Pourquoi enfin ne pas permettre à l’emprunteur de choisir l’affectation des paiements sur un prêt et opposer d’autres moyens de défense contre la banque, et notamment de prescription, de validité de la déchéance du terme….

Laurent Latapie, Avocat à Fréjus et Saint-Raphaël, Docteur en Droit, Barreau de Draguignan www.laurent-latapie-avocat.fr