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Réforme de la procédure civile, exécution provisoire des jugements en matière familiale. Par Aude de Lambilly, Etudiante.
Parution : lundi 1er juin 2020
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La suspension de l’exécution provisoire : du principe à l’exception.

Le décret du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile, bouscule quelque peu les habitudes concernant l’exécution des jugements. Le nouvel article 514 du Code de procédure civile, consacre en effet un principe d’exécution provisoire de droit qui renverse l’ancienne règle. Existent cependant quelques exceptions à ce principe, notamment en matière familiale. Le décret est applicable pour les procédures introduites à partir du 1er janvier 2020.

Aude de Lambilly est membre de la clinique juridique de la Sorbonne.

Le droit en vigueur avant la réforme :

Le principe posé à l’ancien article 514 du code de procédure civile prévoyait que les décisions n’étaient pas en principe exécutoires provisoirement, sauf exceptions. La principale de celles-ci concernait les décisions exécutoires de droit provisoirement. Le texte dans son alinéa 2ème précisait que tel était le cas des ordonnances de référé, des mesures provisoires, des mesures conservatoires, ou encore les mesures ordonnées par le juge de la mise en état octroyant une provision au créancier. Non limitative, cette liste permettait une extension progressive de l’exécution provisoire de droit.

En matière de divorce ou de séparation de corps, l’ancien article 1074-1 du CPC prévoyait une liste de mesures provisoires et accessoires bénéficiant de l’exécution provisoire de droit.

Aucune distinction n’était faite entre les mesures provisoires et les mesures accessoires. Cet article incluait par ailleurs les mesures prononcées par le JAF (Juge aux Affaires Familiales) pendant une procédure de divorce ou de séparation de corps, ou hors le cas de ces procédures.

Les mesures visées portaient sur l’autorité parentale, les obligations alimentaires et les mesures prises en vertu de l’article 255 du code civil. Étaient également concernées les mesures prises par le JAF dans l’ordonnance de non conciliation réglant les relations entre époux pour le cours de l’instance en divorce.

N’étaient donc pas assorties de l’exécution provisoire de droit, le jugement de divorce ou de séparation de corps, ainsi que les mesures accessoires non listées par cet article 1074-1 tels que l’usage du nom du conjoint ou encore le droit au bail.

Cependant, des cas d’exécutions provisoires facultatives pouvaient être ordonnées par le juge.

En effet, l’ancien article 515 du CPC prévoyait que le juge auteur de la décision, pouvait ordonner l’exécution provisoire si elle n’était pas interdite par la loi et si elle n’était pas incompatible avec la nature de l’affaire.

Existait un cas d’exécution provisoire à la fois interdite et facultative : la prestation compensatoire.

L’article 1079 CPC prévoyait que la prestation compensatoire ne pouvait pas être assortie de l’exécution provisoire. Mais le texte posait une exception : elle pouvait l’être si le jugement de divorce était passé en force de chose jugée, que le recours portait sur la prestation compensatoire et que l’absence d’exécution avait des conséquences manifestement excessives pour le créancier. En effet, si le jugement de divorce est définitif, il n’ y a plus de devoir de secours entre époux. Si la décision relative à la prestation fait l’objet d’un recours, l’époux créancier est dépourvu, et du devoir de secours, et de la prestation compensatoire, ce qui peut avoir des conséquences non négligeables pour cet époux.

Evidemment la prestation compensatoire provisionnelle était exécutoire de droit. Par sa nature elle entrait dans le champ d’application de l’article 514 alinéa 2, solution rappelée par la 1ère chambre civile le 28 mai 2008 n° 07-14.232.

L’exécution provisoire pouvait aussi être demandée au 1er président de la cour d’appel ou au conseiller de la mise en état s’il y avait eu omission de la part du premier juge.

Le 1er Président de la cour d’appel pouvait cependant arrêter l’exécution provisoire quand elle avait été ordonnée ou de droit, si cela entraînait des conséquences manifestement excessives [1]. Il s’agissait donc pour le juge d’apprécier si l’exécution provisoire n’était pas incompatible avec la nature de l’affaire c’est à dire si cela n’entraînait pas de conséquences irrémédiables.

Quels sont les changement avec la réforme ?

Aujourd’hui le principe est renversé. Le nouvel article 514 prévoit que toutes les décisions bénéficient de l’exécution provisoire. Le principe est applicable pour toutes les décisions de première instance. Les exceptions sont à considérer en fonction de la matière. Par ailleurs, il subsiste des cas dans lesquels l’exécution provisoire est facultative. On le verra notamment en matière de prestation compensatoire [2].

Beaucoup d’exceptions à l’exécution provisoire concernent la matière familiale ; ainsi, les contentieux de la filiation, du divorce, de la séparation de corps, encore des régimes matrimoniaux échappent au principe posé.

En effet l’article 1074-1 vu précédemment a été modifié. Il précise aujourd’hui dans un 1er alinéa que les décisions du juge aux affaires familiales mettant fin à l’instance ne sont pas de droit exécutoires provisoirement. Mais les mesures provisoires et accessoires listées dans le 2nd alinéa restent exécutoires provisoirement.

L’exécution provisoire se trouve aujourd’hui régie par les nouveaux articles 514-1 à 514 -6.

Les règles sont renversées. L’article 514-1 prévoit que l’exécution provisoire est de droit mais elle peut être écartée par le juge lorsqu’elle est incompatible avec la nature de l’affaire. Le principe et l’exception sont donc inversés (l’ancien art 515 prévoyait que le juge pouvait ordonner l’exécution provisoire lorsqu’elle n’était pas incompatible avec la nature de l’affaire).

Le nouvel article 514-1 reprend dans son alinéa 3 les exceptions à l’ancien article 514. En effet, il n’est pas possible d’écarter l’exécution provisoire pour les décisions prises en référé, les mesures provisoires prises pour le cours de l’instance, les mesures conservatoires, ainsi que pour les provisions accordées au créancier par le JME.

L’article 514-4 du CPC prévoit que, lorsque l’exécution provisoire a été écartée en tout ou partie par le juge de première instance, son rétablissement ne peut être demandé, en cas d’appel, qu’au premier président ou au magistrat chargé de la mise en état. On pense ici aux exécutions provisoires facultatives.

La prestation compensatoire reste un cas d’exécution provisoire facultative. Son régime ne change pas avec la réforme, l’article 1079 du CPC se trouvant inchangé. Par ailleurs, les décisions rendues en matière de prestation compensatoire relèvent du régime mis en place par l’article 514-1.

L’exécution provisoire facultative est régie par les articles 515 à 517-4. On retrouve à l’article 515 nouveau la règle ancienne. Aujourd’hui, le texte énonce que lorsque l’exécution provisoire est facultative par la loi le juge peut l’ordonner si elle n’est pas incompatible avec la nature de l’affaire. Mais on peut noter une différence : le texte s’applique pour les cas d’exécution provisoire facultative. Or, avant le réforme, le juge pouvait décider lui-même de l’exécution provisoire si elle n’était pas incompatible avec la nature de l’affaire, la seule limite étant l’interdiction énoncée par la loi de l’exécution provisoire. Le périmètre de l’exécution provisoire judiciaire est donc aujourd’hui restreint, circonscrit par deux conditions : être en présence d’une exécution provisoire facultative et, bien que le texte ne le précise pas, l’absence d’interdiction de l’exécution provisoire.

S’agissant de l’arrêt de l’exécution provisoire de droit, l’article 514-3 prévoit celui-ci en cas d’opposition, si les conséquences de l’exécution sont manifestement excessives. En cas d’appel, les conditions de l’arrêt de l’exécution provisoire changent. En effet le 1er Président de la cour d’appel, statuant en référé, ne peut être saisi que s’il y a un moyen sérieux d’annulation ou de réformation de la décision, et si l’exécution risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives. Celles-ci ne peuvent cependant être invoquées par la partie qui n’a pas fait d’observation sur l’exécution en 1er instance, que si elles surviennent postérieurement à la décision, précision qui n’existait pas dans les textes antérieurs.

S’agissant de l’arrêt de l’exécution provisoire judiciaire par le premier Président de la cour d’appel, l’article 517-1 subordonne celui-ci aux conditions alternatives suivantes : soit elle est interdite par la loi, soit elle risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives et qu’il existe des moyens sérieux d’annulation et de réformation de la décision ce qui est un ajout par rapport au droit antérieur.

Il est à noter que l’arrêt de l’exécution provisoire, est prévu par deux articles [3] qui visent pour l’un le cas de l’exécution provisoire de droit, pour l’autre le cas de l’exécution provisoire judiciaire, situations régies par un unique texte avant la réforme [4].

L’exécution provisoire a ainsi pris une place grandissante. Certains y voient un rôle du juge devant être plus modérateur en prenant en compte tous les intérêts en cause. En effet, l’exécution provisoire présente un risque plus grand pour les parties, qui devront selon la décision prise en appel, restituer ce qui a été versé au titre de la décision de 1ere instance. Le risque est alors de se trouver face à l’insolvabilité de l’autre partie. La décision de 1ere instance prend alors plus d’importance, et le contentieux pourrait s’accroître quant à cette exécution provisoire.

L’ordonnance du 25 mars 2020 :

Le principe de l’exécution provisoire peut se trouver problématique dans le cadre de la crise sanitaire que nous surmontons aujourd’hui. Une ordonnance a été prise le 25 mars 2020 pour adapter certaines règles, de procédure civile notamment, à la crise sanitaire.

Tout d’abord, l’ordonnance prévoit la suppression des audiences devant avoir lieu pendant la crise. Les délais sont prorogés, notamment le délai d’appel qui est prorogé d’un mois à compter de l’expiration du délai d’un mois normalement prévu pour faire appel. L’exécution provisoire se trouve nécessairement allongée.

S’agissant de l’arrêt du l’exécution provisoire, celle-ci est ordonnée par le 1er président de la cour d’appel statuant en référé. Or on pourrait craindre qu’il soit plus difficile de saisir cette juridiction en référé pendant la crise, les justiciables pour qui l’exécution provisoire présente des « conséquences manifestement excessives » se trouveraient dans une position dangereuse.

L’article 9 de l’ordonnance permet au juge des référés de rejeter avant l’audience, par une ordonnance non contradictoire, la demande qui lui est soumise si elle est irrecevable ou s’il considère qu’il n’y a pas lieu à référé.

On pense donc ici à toutes les demandes dont les conditions requises pour être prises en référé sont manifestement absentes. Pour saisir le premier président de la cour d’appel afin d’obtenir l’arrêt de l’exécution provisoire, nous avons vu les conditions requises par les nouveaux textes, et en particulier la nouvelle condition quant au moyen sérieux de réformation ou d’annulation de la décision de première instance. Celle-ci sera sans doute examinée avec plus de rigueur dans le cadre de la crise.

Aude de Lambilly Etudiante en Master 1 Droit Privé Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Membre de la Clinique juridique de la Sorbonne

[1Article 524.

[2Art 1079 CPC.

[3Article 514-3 et 517-4.

[4Article 524.