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Plateformes d’avis en ligne de consommateurs : la création d’un compte est-elle une fatalité pour le professionnel mis en cause ? Par Romain Darriere, Avocat et Henri de Charon, Juriste
Parution : mercredi 27 mai 2020
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Les professionnels visés par des commentaires de consommateurs publiés sur des sites d’avis en ligne sont immanquablement confrontés à ce choix : s’inscrire pour pouvoir y répondre ou ne pas s’inscrire et laisser les avis négatifs sans réponse.

Si la plupart décident de s’inscrire et de créer un compte sans trop se poser de questions, certains considèrent que certaines plateformes abusent de la situation. Ils n’ont pas tort.

En effet, rappelons que les plateformes d’avis s’apparentent à des entreprises commerciales dont l’objet est nécessairement lucratif. Contrairement à ce que l’on veut bien croire, l’usage de leurs services - que ce soit par le consommateur ou par le professionnel - n’est pas gratuit, comme l’a jugé le Tribunal de grande instance de Paris dans une décision fleuve du 12 février 2019 [1].

Sous l’apparente gratuité se cache en effet un juteux marché des « données ».

En s’inscrivant sur ces plateformes, l’utilisateur conclut en réalité un contrat de prestation de services qui ne dit pas son nom. En échange de l’usage du service, il fournit aux plateformes un certain nombre de données, lesquelles sont ensuite monnayées, notamment auprès de divers annonceurs.

Lorsque l’utilisateur en question est un professionnel, tout est d’ailleurs mis en œuvre pour qu’il souscrive à ce contrat. Par exemple, lorsqu’il découvre qu’une fiche Google My Business au nom de son entreprise a été créée sans son autorisation préalable, Google lui propose de « revendiquer » cette fiche. Comment ? En créant un compte.

L’emploi du terme « revendiquer » n’est pas un hasard. Il s’agit d’un choix logique et réfléchi, lequel s’appuie sur la psychologie humaine. En effet, « revendiquer » signifie « s’arroger quelque chose de manière exclusive ». Google mise ainsi sur la crainte du professionnel de voir un tiers s’accaparer l’usage exclusif de la fiche Google My Business de son entreprise et d’en perdre, par conséquent, le contrôle.

En tout état de cause, et pour en revenir à la problématique des avis, les plateformes peuvent-elles conditionner l’exercice du droit de réponse d’un professionnel à son inscription préalable ?

Pour pouvoir répondre à cette question, encore faut-il déterminer dans quelle mesure les plateformes d’avis sont soumises ou non au régime du droit de réponse en ligne.

Un bref rappel de la réglementation s’impose.

En matière d’Internet, l’article 6 IV de la loi du 21 juin 2004 sur la confiance dans l’économie numérique (dite « LCEN ») dispose que : « Toute personne nommée ou désignée dans un service de communication au public en ligne dispose d’un droit de réponse ».

En l’absence de précisions du texte quant à la nature des personnes concernées, l’on doit en conclure que ce texte concerne tout autant les personnes physiques que les personnes morales. Une entreprise peut donc exercer un droit de réponse.

De plus, il suffit d’être « désigné », ce qui signifie qu’un commentaire publié sur une page ou une fiche dédiée à une entreprise suffit à considérer que l’entreprise est visée par ce commentaire.

Quant au service de « communication au public en ligne », il s’agit d’un service dont l’objet est de permettre la « transmission, sur demande individuelle, de données numériques n’ayant pas un caractère de correspondance privée, par un procédé de communication électronique permettant un échange réciproque d’informations entre l’émetteur et le récepteur. »

Au sens de la loi, les plateformes d’avis en ligne sont donc des services de communication au public en ligne, tout comme les réseaux sociaux, les blogs, etc.

Ainsi, toute personne physique ou morale visée par un commentaire dispose d’un droit de réponse et ce « sans préjudice des demandes de correction ou de suppression du message qu’elle peut adresser au service », ce qui signifie qu’en parallèle de l’exercice de son droit de réponse, elle peut également demander le retrait de l’avis ou du commentaire auquel elle entend répondre.

L’exercice du droit de réponse est strictement encadré. Ainsi, la réponse doit être « présentée au plus tard dans un délai de trois mois à compter de la mise à disposition du public du message justifiant cette demande », soit dans un délai de trois mois à partir de la publication de l’avis ou du commentaire. Les professionnels doivent donc se montrer constamment vigilants quant à ce qui se dit de leur activité sur la toile.

La plateforme est quant à elle tenue d’insérer le texte de la réponse « dans les trois jours » de sa réception et dans les conditions prévues à l’article 13 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Si elle échoue à publier cette réponse dans le délai indiqué, la plateforme encourt une peine de 3 750 € d’amende, « sans préjudice des autres peines et dommages-intérêts » prévus par la loi, en ce compris l’insertion forcée de la réponse.

L’article 6 IV précise enfin : « La réponse sera toujours gratuite ». La plateforme ne peut donc conditionner l’insertion de la réponse à une contrepartie, financière ou autre.

Enfin, le décret n°2007-1527 du 24 octobre 2007 relatif au droit de réponse applicable aux services de communication au public en ligne est venu préciser les modalités d’application de l’article 6 IV précité.

Surtout, son article 1er a consacré une exclusion de taille : le régime juridique du droit de réponse en ligne – et donc ce qu’il implique en termes de responsabilité pénale et civile – ne s’applique pas aux services de communication au public dont « les utilisateurs sont en mesure, du fait de la nature du service de communication au public en ligne, de formuler directement les observations qu’appelle de leur part un message qui les met en cause ».

S’agissant des plateformes d’avis, certaines d’entre elles ont soutenu qu’elles n’étaient pas soumises au régime contraignant du droit de réponse en ligne, leurs utilisateurs professionnels pouvant, de leur point de vue, « formuler directement » des observations.

Selon ces plateformes, l’étape préalable de l’inscription et de la création de compte n’était pas de nature à remettre en cause cette appréciation.

La Cour d’Appel de Paris en a toutefois décidé autrement.

En effet, dans un arrêt du 5 novembre 2013, la Cour a considéré que lorsqu’il est conditionné à une inscription, l’accès à la rubrique « commentaire » d’un site ne permet pas à la personne concernée d’exercer directement son droit de réponse au sens du décret [2].

Pour la Cour, la nécessité d’une inscription agit tel un « filtre » qui prive « le mis en cause de la réponse directe visée au décret du 24 octobre 2007 ».

En d’autres termes, dès lors que le professionnel ne peut pas répondre directement à un message le mettant en cause, en ce que sa réponse est soumise à son inscription préalable, la réglementation relative au droit de réponse en ligne a vocation à s’appliquer à la plateforme d’avis concernée.

Il convient alors de rappeler que le droit de réponse est qualifié de « droit général et absolu » par la Cour de cassation, en vertu d’une jurisprudence plus que constante [3]. Ce caractère absolu signifie donc que son exercice ne peut être conditionné autrement que par la loi et ne peut en outre être monnayé, comme en dispose l’article 6 IV de la LCEN.

Par conséquent, une plateforme d’avis en ligne ne peut conditionner l’exercice du droit de réponse d’un professionnel à la conclusion d’un contrat, en l’espèce à l’acceptation de ses conditions d’utilisation au moment de la création d’un compte utilisateur.

Ainsi, tout professionnel mis en cause peut exiger l’insertion d’une réponse, par « simple » courrier recommandé ou par email, sans avoir à s’inscrire au préalable. Dans le cas où une plateforme refuserait de faire droit à sa demande, au motif qu’il n’aurait pas créé de compte, elle pourrait alors voir sa responsabilité pénale engagée.

La plupart des plateformes sont aujourd’hui conscientes de cette situation.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle une plateforme danoise bien connue dans le domaine propose aux professionnels souhaitant exercer leur droit de réponse, soit de créer un compte, soit de lui envoyer « un email ».

Attention cependant, un email ne permet pas de connaître avec certitude sa date de réception, ni même de savoir s’il a effectivement été reçu. Il est donc préférable, pour des raisons probatoires, d’adresser un courrier recommandé avec accusé de réception au service juridique de la plateforme concernée. Le délai de trois jours prévu pour l’insertion de la réponse débutera ainsi à la date indiquée sur l’accusé de réception.

Romain Darriere, Avocat au Barreau de Paris Henri de Charon, Juriste Cabinet d'avocats Romain Darriere www.romain-darriere.fr

[1TGI Paris, 12 février 2019, n° 14/07224, UFC Que choisir / GOogle

[2Cour d’appel de Paris, 5 novembre 2013, n° 13/02425.

[3Voir par exemple : Cour de cassation, 1ère Chambre civile, 27 juin 2018, n° de pourvoi : 17-21.823.